LA VALEUR D’UN BRONZE : « LIONNE RAPPORTANT UN MARCASSIN A SES LIONCEAUX » DE A.CAIN

Nous allons parler cette fois d’un très bon sculpteur sur qui je n’avais pas encore fait de note : Auguste Cain. Monsieur K. m’a en effet envoyé quelques photos d’un grand bronze de ce sculpteur : on y voit un fauve tenant dans sa gueule un jeune sanglier ; trois lionceaux lui font bon accueil.

Auguste Cain est né Paris en 1821 et y est mort en 1894. Un article d’un journal de 1879 l’appelait “le statuaire des lions et des tigres”. Cain a eu un parcours étonnant puisqu’il fut d’abord apprenti boucher avant de commencer la sculpture sur bois chez Alexandre Guionnet puis chez le grand Rude, le sculpteur de La Marseillaise de l’Arc-de-Triomphe de l’Etoile à Paris.
Il épousa Julie Mêne, la fille de Pierre-Jules Mêne et il fut là à bonne école. On apprend d’ailleurs en lisant la vie de Mêne que les parents Mêne et les enfants Cain partageaient la même grande maison. Après la mort de Mêne, c’est d’ailleurs Julie Cain puis les enfants Cain qui superviseront – très bien – l’édition des bronzes de PJ Mêne.
Cain a, dans une première partie de sa vie, surtout modelé de petits modèles qui seront fondus en bronze, notamment chez Susse (après sa mort). Puis, à partir de 1868, il est accaparé par des grandes commandes de l’Etat, objectif que souhaite atteindre tout sculpteur. A l’entrée des Tuileries, de chaque côté du grand escalier, on peut admirer deux très grands groupes : Lion et lionne se disputant un sanglier, et Tigres attaquant un rhinocéros. Dans le jardin des Tuileries, on trouve encore plusieurs œuvres de Cain, ainsi qu’à Chantilly. Certains de ces modèles ont été édités en petite taille, et bien souvent en plusieurs tailles différentes. C’est le cas par exemple du lion ayant tué une autruche.

 Rhinocéros attaqué par deux tigres

Lion et lionne se disputant un sanglier

Auguste Cain a participé au Salon des Artistes Français de 1846 à sa mort. Selon le Dictionnaire des bronzes du XIXème (P.Kjelleberg), de son vivant, Cain a fait fondre ses bronzes dans la fonderie de son beau-père Pierre-Jules Mêne. Mais selon MM.Poletti et Richarme (Catalogue raisonné des bronzes de PJ Mêne), Mêne n’a jamais eu de fonderie ! J’avoue avoir plutôt tendance à croire MM.Poletti et Richarme car aucun bronze de Mêne ne porte une quelconque marque de sa propre fonderie. Cain et Mêne faisaient donc certainement fondre leurs bronzes chez divers sous-traitants dont ils surveillaient très étroitement le travail. Après la mort de Cain, ses bronzes seront principalement édités par Susse (comme celui de notre internaute) et parfois Barbedienne. Les grands bronzes seront fondus par Thiébaut, Gonon, Barbedienne et d’autres grands fondeurs.

 Lion ayant tué une autruche (petit modèle)
Dans le catalogue ancien des bronzes de Cain, Susse propose deux versions pour notre bronze : l’une au prix de 1300 francs avec un seul lionceau, l’autre au prix de 1600 francs avec trois lionceaux. Les deux ont pour longueur 62 cm de haut mais la version 1 lionceau mesure 76 cm de long contre 87 cm pour la version 3 lionceaux. Il est précisé qu’il s’agit d’une “Lionne rapportant un marcassin” et non un sanglier.

Coq sur un panier (petit modèle) – A.Cain

Le thème du fauve rapportant du gibier à ses petits a été exploré de deux façons par Cain : d’une part la lionne rapportant un marcassin, d’autre part le tigre rapportant un paon (et qui existe également en deux tailles). On ne peut s’empêcher de rapprocher ces bronzes de celui de Delabrierre (1829-1912) : “lion rapportant un lièvre à ses lionceaux” ou “Premier gibier”, mais le modèle de Cain est beaucoup plus beau, même si, comme dans celui de son confrère, le fauve est un peu trop triomphant et fier de lui. Dans le bronze de Cain, la lionne aurait eu la tête baissée vers ses petits, la scène aurait été beaucoup plus naturelle. Le marcassin est admirable : on croit le voir encore vivant se secouer et agiter ses pattes dans l’espoir vain de desserrer l’étau de la mâchoire du félin.
Il faudrait voir ce bronze en vrai mais le modèle qui nous est présenté semble être une bonne fonte : la signature du fondeur (la fonderie Susse existe d’ailleurs toujours), la ciselure, la patine le montrent. C’est probablement une fonte ancienne, postérieure à 1894 mais qui pourrait être du début XXème.

Coq (petit modèle) – A.Cain

Quelle valeur donner à ce grand bronze ?
Il a pour avantage d’être grand, en bon état, d’être d’un très bon sculpteur et de porter l’estampille de Susse, même si cela signifie donc fonte posthume. Toutefois, c’est un modèle un peu “pompier”, avec la lionne – dont la tête est d’ailleurs un peu celle d’un tigre, avec ses favoris – si fière d’elle, et certains amateurs peuvent la juger, à tort selon moi, un peu trop cruelle. Enfin, c’est un sujet qui a été assez abondamment édité et que l’on trouve donc régulièrement en salle des ventes. Tout ceci fait que, comme pour la tigresse apportant un paon à ses petits, il n’a pas une valeur toujours aussi élevée qu’on pourrait s’y attendre pour un modèle de cette taille.

Voici quelques résultats relevés en salle des ventes :
– Issy les Moulineaux en nov. 2014 : estimé 1500 à 2000 € (ce qui est quand même très faible !), il a été adjugé à 3500 €
– Doullens en déc 2013 : il était estimé 7500  à 9000 €, ce qui cette fois me semble beaucoup trop élevé, mais je n’ai pas le résultat des enchères
Il a été mis en vente à Reims trois fois fin 2004 puis courant 2005, mais je n’ai pas les résultats. Il a probablement été vendu la 3ème fois donc il ne l’a pas été la 2ème alors qu’il était estimé 3000 à 4000 €
– Lyons la Forêt en mars 2003 : il a été adjugé à 1700 € mais il s’agissait d’une version plus petite (45 cm)
– Paris en nov. 2002 : adjugé à 4000 €
J’arrête là l’énumération, mais on le trouve bien souvent en ventes à des dates plus anciennes, avec des résultats extrêmement variables, qui vont de 2000 € à 13 000 € (ce chiffre reste néanmoins un peu exceptionnel et se rapportait probablement à une excellente fonte du vivant de Cain).
Je pense qu’en fonte Susse, donc posthume, dans un contexte de baisse du prix des bronzes animaliers anciens (XIXème), notre bronze pourrait être estimé autour de 3500 voire 4000 €, ce qui resterait à confirmer en voyant le bronze « en vrai ».

Vous avez un bronze animalier et vous voulez connaître son histoire, sa valeur, en savoir plus sur l’artiste ? Envoyez-moi les dimensions exactes et des photos très nettes (10 Mo max. par mail) de l’ensemble du bronze, du dessous du socle, de la signature, le cas échéant de la marque du fondeur. Mais inutile de laisser une demande en commentaire de cette note : il faut envoyer vos éléments à damiencolcombet@free.fr

LA VALEUR D’UN BRONZE : « LE CHEVAL LIBRE » DE P.-J. MÊNE

Je n’avais pas présenté de note sur la valeur d’un bronze depuis longtemps : la dernière date de février 2014. Je m’efforcerai de le faire un peu plus souvent désormais et pour m’y remettre, voici une oeuvre apparemment séduisante mais qui doit être un peu « décodée ».

J’ai déjà parlé à plusieurs reprises sur ce site des « faux » bronzes et vous pouvez vous reporter à ces quatre notes :

http://www.damiencolcombet.com/archive/2006/05/23/un-bron…

http://www.damiencolcombet.com/archive/2006/05/24/et-les-…

http://www.damiencolcombet.com/archive/2010/09/13/la-vale…

http://www.damiencolcombet.com/archive/2013/06/23/la-vale…

Le bronze soumis aujourd’hui par un collectionneur est inspiré du « Cheval libre » de Pierre-Jules Mêne, œuvre créée vers 1851 et existant en plusieurs dimensions, avec de légères variantes. Ce cheval est lui-même extrait, toujours avec quelques modifications, de la scène appelée « L’accolade » où figurent deux chevaux tête-bêche.

Cet exemplaire est malheureusement une copie du bronze de Mêne. Son “Cheval libre” a été édité en de nombreux exemplaires, comme c’est toujours le cas avec les bronzes de Mêne et de la plupart des autres sculpteurs, mais il faut distinguer les “bons tirages” reproduisant fidèlement le chef-modèle de l’artiste et les copies et surmoulages, très éloignés par leur qualité du modèle initial.

Ce modèle présente plusieurs caractéristiques absolument rédhibitoires : une ciselure très insuffisante, des différences par rapport au « vrai » modèle dans l’allure générale du cheval (tête, crinière, queue, rectitude des jambes du cheval, cuisses trop creusées, …), une terrasse (le socle en bronze) dont le bord est trop irrégulier alors que Mêne était extrêmement attentif à la parfaite réalisation des terrasses, une patine trop uniforme et faisant un peu plastique, des petits trous et manques à la surface du bronze. La présence d’un marbre, quelques détails comme les dents ou une signature assez bien imitée ne doivent pas faire illusion.

Enfin, les dimensions qui m’ont été indiquées ne sont pas du tout celles du modèle de Mêne, qui mesure (pour la terrasse) soit 39 cm de long (version n°1) soit 20,7 cm de long (version n°2).

Par conséquent, en salle des ventes ou chez un marchand, ce modèle ne pourrait pas être appelé “bronze de Mêne” mais “d’après Mêne”. Les caractéristiques évoquées plus haut et donc cette appellation “d’après” lui retireraient presque toute valeur en salle des ventes, ce qui sert d’indication pour estimer une œuvre.

Il faut donc admettre que ce cheval a une valeur éventuellement sentimentale mais n’a guère de valeur marchande : je pense qu’il ne pourrait pas être vendu plus de quelques centaines d’Euros en salle des ventes, si tant est qu’il soit accepté à la vente par un commissaire-priseur.

Vous avez un bronze animalier et vous voulez connaître son histoire, sa valeur, en savoir plus sur l’artiste ? Envoyez-moi les dimensions exactes et des photos très nettes (10 Mo max. par mail) de l’ensemble du bronze, du dessous du socle, de la signature, le cas échéant de la marque du fondeur. Mais inutile de laisser une demande en commentaire de cette note : il faut envoyer vos éléments à damiencolcombet@free.fr

LA VALEUR D’UN BRONZE : « ANE BRAYANT » DE E.NAVELLIER

Voici une nouvelle demande à propos d’un beau bronze, qui plus est d’un artiste dont je n’ai encore guère parlé ici : Edouard Navellier. C’est M. Loïc L. de Dinan qui m’envoie quelques photos de cet âne brayant, ou « braillant » comme mentionné dans « Les bronzes du XIXème » de P.Kjellberg. Mais après tout, un âne peut bien braire ou brailler…

Edouard Navellier est né à Paris en 1865 et mort à Laroche-Migennes dans l’Yonne en 1944. Fils d’imprimeur, il apprend la gravure avec son père mais à la suite d’un accident qui le laissera infirme, il se tourne vers la peinture puis, à l’occasion d’une visite à Paris dans ce Jardin des Plantes qui a nourrit l’inspiration de tant d’artistes, il se lance en autodidacte dans la sculpture animalière. Comme Rembrandt Bugatti (1885-1916), il étudiera aussi les animaux au zoo d’Anvers.

Il a commencé à exposer ses œuvres au Salon des Artistes français en 1895 puis au Salon d’Automne en 1903. Il y recevra plusieurs médailles. Le Salon d’automne lui consacrera d’ailleurs une rétrospective en 1945, un an après sa mort.

Navellier a créé environ 80 modèles. Selon le « Dictionnaire des sculpteurs animaliers » du Dr Hachet, on ne peut rattacher cet artiste à aucun courant existant à l’époque. On peut en effet discerner plusieurs styles dans ses bronzes : certains sont parfaitement finis, très figuratifs, comme le magnifique « Grand rhinocéros debout » qui, avec « Il Passe ! » (éléphant écrasant des pélicans), est l’une de ses œuvres les plus connues. Mais on peut aussi voir dans certains autres comme notre âne justement le travail brut du sculpteur, qui ne cherche pas à lisser la surface mais à laisser visible la force des coups de spatules et d’ébauchoirs. Le beau taureau ci-dessous se situe lui dans le style de Rosa ou Isidore Bonheur.

Navellier a créé une grande diversité d’animaux : chevaux, taureau, âne, éléphant, chat bien sûr, mais aussi kangourous, ours, buffle, bison, zébu, brebis, lionne, chevreuil, etc. Ses bronzes sont en général de très bonne facture car l’artiste les ciselait et les patinait souvent lui-même. C’est précisément le cas de notre âne, nous dit P.Kjellberg dans son ouvrage de référence « Les bronzes du XIXème ». Il le date de 1907.

Avec sa chaude patine marron et noire, cet âne, qui mesure 35 cm de long et 24 cm de haut est superbe : les pattes fines, les sabots petits, le ventre rebondi, le cou étroit, il fait connaître par son affreux cri de poulie rouillée son mécontentement d’être seul. Sa bouche grande ouverte lui donne un air benêt et le collier qu’il porte au cou semble bien lourd. A sa taille, on devine que ce n’est pas un petit âne arabe comme en a modelé Caïn, mais plutôt une grande bête du Cotentin. Quel talent pour saisir ainsi sur le vif cette scène et la rendre si vivante !

La cote de Navellier sur le marché est assez mystérieuse : ses œuvres sont rares en galerie comme en salle des ventes (45 résultats seulement sur Artprice à comparer par exemple avec plus de 6000 ventes pour Barye), elles sont très souvent d’excellentes qualité et pourtant elles ne sont pas toujours hors de prix. A titre d’exemple, un magnifique cheval au licol de plus de 30 cm de long est généralement adjugé autour de 1600 Euros, ce qui est très raisonnable. Plusieurs pièces estimées autour de 4000 Euros ne trouvent pas preneur. Et puis au contraire, certaines estimations s’envolent avec des adjudications à 5000, 9000, 12000 Euros voire bien plus tel ce rhinocéros vendu à Londres en 2009 à plus de 15000 Euros.

L’âne de notre internaute n’atteindrait sans doute pas la cote du rhinocéros, qui se situe toujours au plus haut des ventes d’œuvres de Navellier, mais il possède de nombreux atouts : c’est un sujet plaisant, très bien réalisé, qui a une histoire particulière puisqu’il a été édité, ciselé et patiné par l’artiste lui-même et a été présenté au Salon. Son passage en salle des ventes est rarissime, semble-t-il, ce qui d’ailleurs empêche toute référence de prix. Intuitivement, je pense donc qu’avec un tel pedigree, notre âne brayant pourrait être estimé autour de 2500 Euros, mais il n’est pas impossible qu’en vente un passionné fasse monter bien plus haut cette estimation.

LA VALEUR D’UN BRONZE : « LE BOUQUETIN MORT » DE A.-L. BARYE

Monsieur Romain L. de Nantes possède un bronze signé Barye et me demande quelle est sa valeur.

Il s’agit du « Bouquetin mort », d’Antoine-Louis Barye (1795-1875). En ayant souvent parlé sur ce site, je ne reviendrai pas longuement ici sur la vie et l’oeuvre de Barye, ce très grand artiste à l’origine de la prestigieuse école française de la sculpture animalière souvent qualifiée de romantique, bien que ce terme ne me semble guère appropriée. On entend généralement par là que Barye a introduit une rupture avec la sculpture animalière d’alors, assez figée et représentant le plus souvent un personnage célèbre à cheval, un lion dans une pose hiératique, un aigle martial. Barye a en effet représenté des animaux sauvages et domestiques très variés, du hibou au gnou, du lapin au dromadaire, et dans des attitudes naturelles. L’adjectif de « naturaliste » lui conviendrait donc beaucoup mieux.

Pour créer ses sculptures, Barye a longuement observé les animaux notamment à la Ménagerie du Jardin des Plantes. Pour comprendre la nouveauté de ce courant artistique, il faut réaliser que les zoos ouverts au public sont une grande nouveauté en ce début du XIXème siècle : jusqu’à présent, les zoos étaient la propriété de quelques rois et princes et l’homme de la rue ne pouvait observer que les bêtes présentées dans les cirques et ménageries ambulantes, qui ne devaient probablement détenir que des singes, ours et autres animaux beaucoup moins intéressants que les grands fauves ou les pachydermes.

L’animal ici représenté ne fait pas partie, bien sûr, de la catégorie des animaux exotiques mais c’est peut-être à la Ménagerie que Barye, qui n’a jamais quitté Paris, a observé ce bouquetin, à moins que ce ne soit quelque chasseur qui le lui ait soumis, en supposant qu’il se soit correctement conservé. Quoiqu’il en soit, le bouquetin est un sujet que Barye a travaillé à plusieurs reprises, plutôt en petites tailles. En témoigne par exemple ce « Bouquetin effrayé » mesurant moins de 10 cm de long. Il existe également un bouquetin debout, fort joli. Il faut se méfier du titre des œuvres proposées en salle des ventes car il y a parfois des erreurs : récemment, un modèle identique à celui de notre collectionneur était annoncé comme « Bouc couché ». Un kevel (petite gazelle) de Barye a également porté ce nom erroné dans un catalogue de vente. Et même dans l’excellent « Catalogue raisonné des bronzes de Barye« , ouvrage de référence de MM.Poletti et Richarme Gallimard, un groupe de mouflons est appelé « Famille de bouquetins ».

Barye n’est pas le seul à avoir été inspiré par ce bel animal : Dubucand (1828-1894), par exemple, a réalisé le grand bouquetin ci-dessous.

Revenons à notre bronze de Barye : il a été édité pour la première fois vers 1874, donc tout à fait à la fin de la vie de Barye. Le musée du Louvre en conserve le modèle en plâtre et le chef-modèle en bronze. En fait, comme expliqué dans « La griffe et la dent » édité par ce musée, il s’agirait d’une reprise d’une des pièces constitutives du grand surtout de table commandé à Aimé Chenavard et Antoine-Louis Barye en 1834 par le Duc d’Orléans. Terminé en 1838 et porté aux Tuileries en 1839, ce spectaculaire ensemble comprenait au centre une Chasse au tigre à dos d’éléphant et aux quatre coins des duels animaliers : Un lion et un sanglier, Un python étouffant un gnou, Un tigre renversant une grande antilope et Un aigle qui vient de s’abattre sur un bouquetin mort. Il faut encore mentionner quatre scènes de chasse entourant le surtout : Chasse au lion, Chasse au taureau sauvage, Chasse à l’ours et Chasse à l’élan. Je recommande vivement d’aller admirer, au Louvre, le modèle en plâtre de ces scènes extraordinaires.

Pour reprendre les termes de « La griffe et la dent », « cette monumentale création va constituer pour Barye un vivier riche de modèles et de schémas dans lequel il puisera tout au long de sa vie ». Effectivement, Barye va éditer presque en l’état le Sanglier blessé ainsi que Le bouquetin mort, et reprendra avec quelques transformations des fragments des autres scènes.

Le Catalogue raisonné précise que l’édition du vivant de Barye de ce Bouquetin mort fut extrêmement réduite – ce qui semble logique puisque Barye a disparu l’année suivante – et que les éditions posthumes par Barbedienne sont également peu nombreuses. La représentation d’un animal mort peut avoir déplu aux collectionneurs. Mais justement, ce sont les modèles les plus rares qui sont aujourd’hui les plus recherchés : posséder ce bouquetin mort, même en fonte posthume, est beaucoup plus intéressant que d’avoir dans sa collection un Barye édité à des dizaines voire des centaines d’exemplaires et que l’on peut retrouver chaque semaine ou presque dans la Gazette de Drouot.

Les dimensions du bronze de notre internaute sont les suivantes : 30,2 cm de long x 19 cm de large (terrasse). A quelques millimètres près, ce sont bien celles mentionnées dans le Catalogue raisonné. Mais il n’y avait de toutes façons aucun doute possible sur l’authenticité de ce bronze : outre sa rareté, la finesse de sa ciselure et la qualité de la patine, il porte la marque du fondeur F.Barbedienne Fondeur et surtout le « cachet or » avec les initiales FB, qui date avec certitude une fonte des années 1876-1889.

Monsieur L. possède donc une pièce absolument remarquable : très rare, parfaitement fondue et ciselée, elle s’inscrit dans une histoire prestigieuse – le surtout du Duc d’Orléans – et elle peut-être datée avec certitude du XIXème siècle. Et pour l’anecdote, on retrouve sur des croquis de Barye une étude au crayon de l’entrecroisement des pattes postérieures du bouquetin.

Pour une pièce si rare, il est difficile de trouver des estimations en salle des ventes. J’ai relevé toutefois les deux éléments suivants :

– New York en octobre 1992 pour « L’aigle terrassant un bouquetin mort » : adjugé à l’équivalent de 9700 Euros, mais il n’est pas dit s’il portait une marque de fondeur ;

– Saint-Germain-en-Laye en octobre 2012 cette fois pour le même modèle que celui de notre internaute, en fonte Barbedienne mais sans cachet or : estimé 6000 à 8000 Euros mais invendu.

Bien qu’un animal mort puisse décourager certains acheteurs et que le prix des bronzes anciens ait tendance à baisser, un véritable collectionneur des bronzes de Barye ne devrait pas hésiter devant une telle pièce en fonte ancienne cachet or. Il me semble donc qu’une bonne estimation pour ce bouquetin serait de l’ordre de 6000 Euros.

Si vous possédez un bronze animalier et que vous voulez connaître son histoire et sa valeur, envoyez-moi des photos très nettes (vue d’ensemble, dessous, signature, marque éventuelle du fondeur) et ses dimensions précises à damiencolcombet@free.fr et je vous répondrai.

LA VALEUR D’UN BRONZE : « SINGE MONTE SUR UN GNOU » DE A.-L. BARYE

Le propriétaire d’un curieux bronze signé Barye me soumet les photos ci-dessous, m’indiquant qu’il représenterait un singe à cheval sur un animal mythique, un « zèbracorne« . La terrasse (socle) du bronze mesure 25 cm de long x 25 cm de haut x 8,5 cm de profondeur.

En réalité, cet animal est un gnou, mais comme nous le verrons plus bas on se demande bien si l’artiste n’a pas effectivement cherché à créer une espèce d’hybride entre un équidé et un gnou !

Ce bronze est répertorié dans le « Catalogue raisonné des bronzes de Barye » (MM.Poletti et Richarme – Gallimard) en page 121 sous le nom de « Singe monté sur un gnou« . Il est également présenté, à peu près avec les mêmes renseignements, dans d’autres ouvrages consacrés à Barye, comme « La Griffe et la Dent » (Musée du Louvre) ou encore « Untamed – The Art of AL Barye« (Johnston et Kelly).

Etudions tout d’abord le thème ici traité. La monture est un gnou noir ou gnou à queue blanche, qui vit en Afrique du sud où il a failli disparaître, mais ses effectifs sont maintenant abondants et stabilisés. Le gnou noir est assez différent de son cousin bien connu, le gnou bleu, que l’on voit dans les documentaires migrer en immenses troupeaux du Kenya vers la Tanzanie et inversement : le gnou noir porte des cornes franchement tournées vers l’avant, une queue blanche, une crinière dressée comme celle d’un zèbre et une touffe de poils drus sur le chanfrein, détails que l’on retrouve bien (à l’exception de la couleur de la queue, bien entendu) sur le bronze de Barye.
Voici une photo d’un gnou noir prise au zoo de Sigean dans l’Aude.

Il est étonnant que Barye ait sculpté un gnou car cet animal n’était pas présent à la Ménagerie du Jardin des plantes. Il l’a même fait à trois reprises : gnou seul (le même que celui monté par un singe, mais sans ce dernier), serpent étouffant un gnou et notre singe monté sur un gnou. Il s’agit toujours d’un gnou noir.

Pour ce qui est du singe, il s’agit d’un orang-outang, ce qui se vérifie notamment aux excroissances de chaque côté de la tête. On sait même que Barye s’est inspiré de Jack, jeune orang-outang de 10 mois pensionnaire de la Ménagerie en 1836-1837. Ce singe était apparemment un farceur connu et apprécié des Parisiens. A sa mort, il fut disséqué par Barye – il procéda ainsi à plusieurs dissections d’animaux du zoo, dont un ours et un lion – puis naturalisé et sous cet apparence il resta encore une mascotte.

Pourquoi avoir représenté un singe sur un gnou ? Barye s’est inspiré d’un dessin du peintre anglais Thomas Landseer (1795-1880), qui montre un orang-outang à cheval sur un gnou posant ses pattes avant sur un rocher en partie immergé. Barye a recopié ce dessin, aujourd’hui conservé au Musée du Petit-Palais à Paris. On pense aussi que Barye a voulu tourner en dérision la sculpture équestre classique. Il s’est d’ailleurs un peu écarté du dessin de Landseer, notamment en donnant une allure plus équine au gnou.

Passons maintenant à la réalisation technique. On ne connait pas la date de création du modèle mais, sur la base des dates ci-dessus mentionnées (dessin de Landseer, présence du singe au zoo, etc.), on pense qu’il date à peu près de 1837. En revanche, on connaît la date de sa première édition en bronze : 1840, par Barye lui-même, qui avait alors sa propre fonderie. Ce modèle a été édité, après la mort de Barye et la vente par sa veuve des chefs-modèles, par Brame et G.Lucas. Ce dernier était propriétaire du modèle et le faisait fondre par Gruet. Cette scène n’a jamais été éditée par Barbedienne, qui a pourtant édité la plupart des modèles de Barye (dont le gnou seul). Il est donc vain d’espérer voir la marque de Barbedienne sur ce modèle ! Le singe monté sur un gnou n’a pas été très apprécié : à l’époque de Barye, le nombre de bronzes vendu est faible (une cinquantaine) et le nombre de fontes posthumes serait du même ordre.

On aura compris qu’il s’agit là d’une pièce intéressante car beaucoup moins courante que bon nombre de bronzes de Barye que l’on trouve en vente chaque semaine ou presque dans une salle des ventes. Reste à déterminer l’ancienneté de la pièce, qui conditionne sa valeur : une fonte très ancienne, autrement dit du vivant de Barye, vaut beaucoup plus cher qu’une fonte posthume, surtout si elle est un peu tardive.

Ce bronze ne porte apparemment pas de cachet de fondeur. Ce n’est donc pas une fonte d’époque car Barye apposait un cachet « BARYE » et un petit chiffre en plus de sa signature. Il s’agirait donc d’une fonte posthume. Peut-il s’agir d’une fonte très tardive voire d’un surmoulage, qui ne vaudrait donc pas grand-chose ? Je ne le pense pas : même si les détails ne sont pas aussi présents que sur un modèle du vivant de Barye, on en voit un certain nombre et ils révèlent une fonte très correcte. La patine est belle. De plus, le montage avec des grosses vis est typique des fontes fin XIXème (ou tout début XXème). Enfin, les dimensions indiquées sont bien celles référencées dans le Catalogue raisonné.

Je pense donc qu’il s’agit d’une fonte posthume mais ancienne, de Brame ou Gruet. Seul un examen de la pièce en réalité permettrait d’en être certain mais c’est très probable.

Quelle valeur pour cette pièce ?

Elle a, comme tout bronze, des atouts et des défauts, vus plus haut. Ses atouts sont d’abord d’être de Barye, artiste de référence. De plus, il s’agit d’un sujet plutôt rare et d’une fonte de qualité. Ses « défauts » sont de n’être pas une fonte du vivant de Barye et de représenter un sujet difficile, moins plaisant qu’un éléphant, un fauve ou un cheval, ce qui est d’ailleurs la raison de son relatif échec à l’époque de Barye. Mais ses qualités l’emportent largement sur ses défauts !

Voici quelques résultats de vente aux enchères pour ce sujet :

– Paris en octobre 2011 chez Sotheby’s : estimé 20 000 à 30 000 Euros mais non adjugé. Ces chiffres ne sont pas représentatifs car il s’agissait en fait de la vente de la collection du très connu antiquaire Fabius. Le modèle présenté était certainement une fonte du vivant de Barye, comme la plupart des bronzes proposés à cette vente et comme l’estimation très élevée le montrerait. Quoi qu’il en soit, il n’a pas été vendu !
– Londres en mars 2009 chez Christie’s : estimé à l’équivalent de 8500 à 12500 Euros mais invendu.
– New York en décembre 2008 : adjugé à l’équivalent de 15000 Euros (très belles patines et ciselures)
– St Germain en Laye en septembre 2008 : adjugé à 12000 Euros
– St Paul les Dax en juin 2007 : adjugé à 11000 Euros

Compte tenu des chiffres ci-dessus et de la tendance à la baisse des bronzes animaliers XIXème depuis environ 2 ans et encore plus depuis le début de l’année 2013 (tendance que l’on observe sur la plupart des antiquités notamment les meubles depuis plusieurs années d’ailleurs mais qui avait épargné jusqu’alors les bronzes), et sous réserve d’un examen de la pièce en réalité, je pense qu’en salle des ventes, ce bronze pourrait raisonnablement être estimé autour de 6000 à 7000 Euros. On a en effet observé qu’à 8500 Euros à Londres, en décembre 2008 (dernière vente où ce lot était proposé), il n’y a pas eu d’offre. Et depuis 2009, les prix ont baissé.

Vous possédez un bronze animalier et voulez en connaître histoire et estimation ? Envoyez-moi un mail avec les dimensions et des photos très nettes (vue d’ensemble, signature, marque éventuelle de fondeur, dessous du socle) à damiencolcombet@free.fr et je vous répondrai.

LA VALEUR D’UN BRONZE : « LIONNE ÉTENDUE SUR UN ROCHER » DE CH.VALTON

Madame Hélène H. possède une lionne en bronze posée sur un rocher et elle souhaite en connaître la valeur. Elle s’étonne de la signature, gravée en rouge sur la pierre et non sur le bronze lui-même, ce qui l’inquiète quant à l’authenticité de cette pièce.

Son fauve possède les dimensions suivantes : 23 cm de long x 12 cm de haut x 12 cm de profondeur.

Ce bronze de Valton est très courant mais toujours très apprécié car l’attitude de la lionne est remarquable et la composition, alliant bronze et pierre, est très réussie. C’est un procédé que ce sculpteur a utilisé à plusieurs reprises, notamment pour une souris sur marbre blanc, un sanglier également sur marbre, et surtout pour le « Loup suivant une trace » bien connu, où l’on voit un loup en bronze marchant prudemment sur un socle en marbre blanc dans lequel apparaissent des traces d’homme.

Charles Valton est né à Paris en 1851 et est mort à Chinon en 1918. Il fut élève de Barye et de Frémiet. Familier de la ménagerie du Jardin des Plantes depuis l’âge de 15 ans, il se révèle très doué et obtient plusieurs médailles et récompenses. Avec son maître Antoine-Louis Barye (1795-1875), il réalise un groupe intitulé « Les deux étalons« . Dans son Dictionnaire des sculpteurs animaliers, le Dr Hachet cite Valton évoquant cette sculpture : « Je peux témoigner que dans cette oeuvre nous avons tenu à respecter autant l’émotion et la sensibilité que la pureté des formes. Ce fut pour moi des moments de grande intensité que de côtoyer un talent immense, une main si sure et une modestie toujours bienveillante. »

Valton a exposé très régulièrement au Salon et a travaillé aussi pour la Manufacture de Sèvres. Ses bronzes ne sont pas très courants en salle des ventes et sont généralement de très bonne qualité. Un certain nombre ont été fondus par Barbedienne, Siot-Decauville ou Collin. Pour être plus précis, quelques sculptures de Valton sont très courantes, telles que « La lionne blessée« , percée de flèches et qui se traîne sur ses antérieurs, ou le chien de garde « Passez au large ! », mais on voit plus rarement les autres, telles ce remarquable dromadaire couché ou ce lion rugissant.

Revenons à notre lionne couchée. La posture du fauve est superbe : on l’imagine somnolant au soleil avec ses soeurs et brusquement réveillé par un bruit insolite. Est-ce  un impala qui s’approche ? une troupe d’éléphants qui le fera déguerpir ? un lion mâle qui s’avance ? La musculature est bien rendue, sans l’exagération d’un Delabrierre, et la lionne semble très naturelle, même plus que sur beaucoup de modèles de Barye. Le dessous des pattes, les oreilles, les plis du cou sont parfaitement modelés.

La signature est curieusement gravée sur le granit et reprise à l’encre rouge. Le socle est vissé au métal. A la différence du bronze, coulé dans un moule, le socle en pierre doit être taillé spécialement pour chaque modèle. Il pourrait donc être très différent d’un exemplaire à l’autre. Or, il n’en est rien : sans être strictement identiques, les morceaux de granit, parfois plus ou moins clairs, sont à peu près toujours du même gabarit.

On aura compris que le modèle de Madame H. n’est pas une copie mais un bon exemplaire. Il possède une belle patine marron avec des nuances de rouge et de noir. C’est même un bronze très beau, pour le choix original du sujet et la qualité de sa réalisation.

Malgré tout, les résultats de ce modèle en salle des ventes ne sont pas très élevés :

– Mars 2013 à Paris : estimé 800 à 1000 € mais invendu.

– Août 2012 à Deauville : estimé 1500 à 2000 € mais invendu.

– Déc. 2011 à Paris : adjugé 1250 €

Les quatre précédentes ventes ont vu cette lionne être adjugée entre 700 et 800 €.

Il faut donc bien admettre que la valeur, assez constante, de ce modèle tourne autour de 800 € alors qu’à mon sens, avec une belle patine, il mériterait de dépasser les 1000 €.