« Art contemporain Manipulation et géopolitique » – Aude de Kerros

« L’art contemporain » est une source sans fin de commentaires, d’analyses, de critiques ou de louanges. Le fait qu’il s’agisse généralement d’un art conceptuel ne facilite pas les échanges : ses contempteurs se font traiter d’ignares par ses défenseurs tandis que ceux-ci passent au mieux pour des naïfs, au pire pour des spéculateurs.

L’un des ouvrages de référence pour tenter d’y comprendre quelque chose reste selon moi le livre de Jean-Louis Harrouel « La grande falsification » (2015), qui décrit très bien la place prépondérante prise l’artiste sur l’œuvre et ce que cela entraîne.

Critique art contemporain Colcombet

Un autre livre sur le sujet est paru en 2019 et a été réédité en 2020 : « Art contemporain – Manipulation et géopolitique ». Son auteur, Aude de Kerros, a écrit plusieurs ouvrages critiques sur l’art contemporain, ainsi que de nombreux articles de presse. Intéressant par son apport géopolitique et historique, ce livre n’échappe pas hélas aux défauts que j’avais trouvés aux précédents : l’absence de fil conducteur, de trame guidant le lecteur au long de la démonstration. C’est donc par moment une sorte d’inventaire dont on ne comprend pas toujours la finalité : liste des musées d’art contemporains dans le monde, des grandes foires, des maisons de vente aux enchères, etc.

Art contemporain Aude de Kerros

C’est dommage car ce livre regorge d’informations intéressantes. Certaines pages sont ainsi très éclairantes sur le déplacement du marché de l’art des grandes capitales européennes – au premier plan desquelles Paris – vers New York, Miami et l’Asie, sur la position de l’art russe et de l’art chinois, tous deux extrêmement méfiants vis-à-vis de l’art contemporain fortement soutenu par les Etats-Unis, ou sur la naïveté française face au bulldozer américain. On y apprend ainsi que la sculpture et la peinture sont encore enseignés à un haut niveau en Chine comme en Russie. Je me pose d’ailleurs toujours la question de savoir pourquoi, en France, les conservatoires de musiques sont restés des lieux d’enseignement très exigeants alors que les beaux-arts ont totalement sombré…

Dans son livre, l’auteur explique que, pour des raisons mercantiles, l’art contemporain (« AC ») a évolué dans les années 2000 et qu’il ne se positionne plus en rupture avec l’art traditionnel mais qu’il veut au contraire se placer à tout prix comme sa suite naturelle. De fait, il n’y a plus guère de musée qui ne choisisse de mettre quelques œuvres d’AC aux côtés des toiles impressionnistes, des sculptures de Carpeaux ou des triptyques religieux baroques, sous prétexte de « dialogue des œuvres ». C’est en fait une évidente recherche de légitimité d’artistes contemporains, qui pourtant excluent « tout retour à des notions d’harmonie, d’esthétique et de beauté, de contenus spirituels ou enracinés ». « L’esthétique kitsch associée au conceptualisme nihiliste est la formule magique développée au tournant du millénaire pour faire de l’art commercial une culture universelle ».

Aude de Kerros établit un parallèle intéressant entre la crise des subprimes de 2008 et l’AC. Le krach financier a révélé que les produits financiers dérivés n’avaient pas de contrepartie matérielle tangible et qu’ils étaient en fait extrêmement fragiles. De même, dans les contrats de vente d’AC, « ce qui est vendu est l’immatériel « concept » et non l’objet. Sa réalisation matérielle est un détail à régler en plus : elle peut être produite ou non, ici ou ailleurs, maintenant ou plus tard ». Ainsi, cela « permet de déplacer des sommes d’argent sans bouger l’objet, ou sans objet ».

S’il y a une telle similarité, pourquoi l’AC n’a-t-il pas subi la crise des subprimes ? Selon l’auteur, c’est en raison de « la discipline et la solidarité entre tous les acteurs de la chaîne de fabrication de la valeur (collectionneurs, salles des ventes, grandes galeries, institutions et médias). »

Faut-il alors désespérer de l’art actuel ? Non, répond A. de Kerros. Alors que l’AC semble avoir exclu « toute œuvre portant à la contemplation, une réalité anthropomorphique demeure : la « libido de l’œil, son plaisir sensuel, son appétit, sa délectation ». Il suffit de regarder les œuvres mises en avant sur Pinterest pour voir que le Beau fait toujours son effet et que « Le Prince Napoléon et chien Miro » de Carpeaux séduit plus qu’un bouquet de tulipes mal stylisées ou un veau baignant dans le formol… La circulation élargie et à grande vitesse des images, partout dans le monde, empêche désormais d’affirmer qu’il n’existe plus qu’un seul art, l’AC.

C’est sans doute cette fluidité du Beau, de l’attachant, qui a conduit l’AC à évoluer : capable d’écraser la peinture en Europe, le réalisme socialiste à l’Est, « d’interdire toute démarche artistique engendrant une hiérarchie des talents, afin d’exercer la promotion arbitraire de la médiocrité », il a dû trouver un substitut à l’un de ses défauts, la froideur du concept, en se tournant vers le kitsch, « divertissant, immédiatement perceptible et mémorisable sans discours », vers la mode et le design.

Aude de Kerros met en vis-à-vis l’AC lourdement promu par les Etats-Unis, qui en font un « soft power » puissant, et la situation de l’art en Russie et en Chine. Outre-Atlantique, l’absence de racines historiques de l’AC est compensée par un discours de « contestation de la culture occidentale, dominée par l’homme blanc ». Tout est « revu sous l’angle des questions de classe, d’appartenance ethnique, de genre. L’idéologie dominante choisie est le multiculturalisme, ruse qui a consisté à consentir hypocritement un pouvoir symbolique aux minorités. Le but réel est l’uniformisation du monde par l’effacement des civilisations ».

La position russe n’est pas la même : après avoir été « sidérée » par l’ouverture à l’Occident, noyée sous les meutes d’experts et de consultants des institutions mondiales, la Russie a compris le rôle de « soft-power » de l’AC et, ayant subi pendant des décennie la propagande, elle ne tombe pas dans le panneau. Comme la Chine, qui défend sa civilisation, elle « préfère savourer la diversité de l’art dont elle a été cruellement privée ».

En conclusion, l’auteur énonce les principales menaces pesant sur l’AC : le grand doute issu du krach financier de 2008 et qui commence à peser sur la solidité les valeurs financières cotées en Occident, l’extrême étroitesse du milieu social qui défend l’AC, le risque d’effondrement de la pyramide de Ponzi qu’il constitue, l’inanité du discours accompagnant l’AC, discours « qui donne une impression de sénilité et de radotage ».

 

En pleine page dans la BD sur saint Irénée !

Fin 2012, la Fondation Saint-Irénée de Lyon m’a demandé de réaliser une sculpture en bronze représentant Irénée, qui vécut au second siècle après JC et a particulièrement marqué de son empreinte Lyon et l’Eglise dans son ensemble.

Bronze Colcombet Saint Irénée évêque de Lyon

Saint Irénée était originaire de Smyrne en Asie Mineure, né de parents grecs et chrétiens. Il y connut Saint Polycarpe, disciple de Saint Jean l’apôtre. Arrivé en Gaule vers 175, il fut un proche de Saint Pothin, premier évêque de la ville, dont il assuma la charge lorsque Pothin périt victime des persécutions romaines.

L’épiscopat d’Irénée fut marqué par une forte expansion missionnaire, son souci de l’unité de l’Eglise (il intervint auprès du Pape pour le dissuader d’excommunier les évêques d’Asie) et surtout une intense lutte intellectuelle et philosophique contre les hérésies, en particulier la gnose. La puissance de la pensée d’Irénée, l’unité profonde de la Foi telle que décrite dans ses textes, la synthèse qu’il a réussi à en faire font qu’il sera déclaré docteur de l’Eglise.

La phrase la plus connu d’Irénée est certainement celle-ci : « La gloire de Dieu, c’est l’Homme vivant, mais la vie de l’Homme, c’est la vision de Dieu ».

Plusieurs exemplaires de mon saint Irénée ont été mis aux enchères – où ils ont atteint des montants élevés – au profit des actions menée par la Fondation Saint-Irénée.

Première surprise il y a quelques années lorsque Etienne Piquet-Gauthier, Directeur de la Fondation, m’a envoyé une photo prise au Vatican, où l’on voit le Cardinal Barbarin offrir au Pape François un exemplaire de ma sculpture !

Deuxième surprise, toute récente, à la lecture de la bande dessinée parue en novembre 2020 et consacrée à saint Irénée : une page est consacrée à mon travail sur ce modèle. Détail amusant : plusieurs de mes bronzes animaliers sont représentés dans les cases de cet ouvrage, très intéressant.

Saint Irénée de Lyon – Artisan de paix et d’unité – E.Piquet-Gauthier et P.Vitte – Ed. du Signe

La vie d’artiste au XIXème siècle

Il y a un an, je visitais à Paris le joli musée de la vie romantique (voir http://colcombet.com/les-beaux-musees-de-paris-le-musee-de-la-vie-romantique/) et, à la petite boutique, j’achetais un livre de poche sur la vie d’artiste au XIXème siècle. Il y a des ouvrages que l’on aimerait avoir lu mais qu’on n’a pas le courage d’ouvrir ! Ils restent ainsi de longs mois sur la table de chevet, délaissés par le lecteur qui leur préfère toujours un livre plus facile, plus passionnant. Il faut dire que près de 450 pages écrites très serrées, bien sûr sans illustration et en format poche, c’est assez dissuasif…

Martin Fugier artiste XIXème siècle Colcombet

Et puis, récemment, par devoir et pour ne plus avoir sous le yeux ce reproche permanent à une certaine paresse, je me suis plongé dans cet ouvrage. Et je n’ai pas été déçu !

Anne Martin-Fugier explore tous les domaines entourant l’artiste : formation, atelier, modèles, marchands, galeries et salons, ventes aux enchères, amateurs et collectionneurs, place de l’artiste dans la vie sociale et intellectuelle, etc. La profusion des informations, des exemples cités, des témoignages est étonnante. De nombreuses citations rendent l’ensemble très vivant.

Un vendredi au Salon des Artistes Français – Jules-Alexandre Grün (Musée de Rouen)

Ce livre, qui déborde sur le début du XXème siècle, est en grande partie consacré aux peintres, notamment aux impressionnistes, mais on y croise cependant quelques sculpteurs, des peintres académiques, d’autres d’avant-garde. Au fil des pages, on y découvre la bonté de Gustave Caillebotte « incarnation même du peintre riche qui se montra d’une grande générosité pour ses confrères », le mauvais caractère de Degas, le sans-gêne de Monet qui réclame vertement et sans cesse à Bazille une aide financière que celui-ci, pauvre, est bien incapable de fournir (« Oh ! Je vous en veux beaucoup, je ne pensais pas que vous me laisseriez ainsi : c’est bien mal… Réparez votre faute bien vite ! »), les réceptions chez les frères Goncourt, les mésententes entre Matisse et son illustre professeur William Bouguereau, l’élégance de Rosa Bonheur qui ne se juge pas digne de la Médaille d’honneur du Salon de 1899 (« Je refuse absolument que mon nom soit porté cette année pour cette distinction. Il serait ridicule que le petit tableau que j’ai exposé cette année reçoive une aussi haute récompense »), le profil de quelques acheteurs ou marchands, etc.

Autoportrait à la palette – Frédéric Bazille (Musée d’Orsay – Paris)

Parmi les premiers, citons Eugène Pereire, fils d’Isaac, riche banquier parisien. Eugène liquida une importante collection de peintures achetées en Espagne par sa famille, des croûtes, dont elle essayait de se débarrasser auprès des églises. Puis Eugène se mit à acheter des œuvres contemporaines, par goût sans doute, par intérêt pour les artistes mais aussi par calcul : « Moi, j’achète quelques modernes, parce qu’on est plus sûr. Et puis ça montera. Par exemple, nous avons fait une bonne affaire en achetant la Marguerite de Sheffer. Depuis, il est mort ; ça vaut de l’argent maintenant. Il faut qu’ils meurent, ces gens-là… ».

Le grand atelier d’Ary Scheffer rue Chaptal – A. J. Lamme (Musée de la Vie romantique – Paris)

Parmi les portraits de marchands, arrêtons-nous un instant sur celui du père Tanguy. Les marchands de fournitures pour artistes, surnommés « crasseux » à l’opposé des « spéculateurs chics », achetaient souvent des œuvres à leurs clients et les exposaient dans leur boutique qui tenait généralement de la brocante. Le père Tanguy était de ceux-ci. Né en Bretagne en 1825, il fut plâtrier, puis employé des chemins de fer. Ayant déménagé à Paris, il devint broyeur de couleurs salarié puis à son compte et sa femme, ancienne charcutière à Saint-Brieuc, prit une place de concierge. Marchand ambulant, il proposait ses produits aux peintres « de plein air » et fournit ainsi Renoir, Pissaro, Cézanne, Monet, etc. Le père Tanguy avait une haute idée de la morale : il faisait crédit aux artistes qui ne buvaient pas, ne jouaient pas, n’allaient pas aux courses. Condamné – par erreur, dit-on – aux galères comme déserteur et pour avoir participé à la Commune, il fut emprisonné à Brest et devait être déporté. Le peintre Félix Jobbé-Duval réussit à la faire libérer.

L’église de Moret (le soir) – Alfred Sisley (Musée du Petit Palais – Paris) 

Autorisé à regagner Paris, il fut chassé de son logement par son propriétaire ; il décida alors de reprendre la boutique de son ancien patron et y exposa aussi des tableaux. C’est là qu’Ambroise Vollard vit pour la première fois des Cézanne. La boutique du père Tanguy devint célèbre jusqu’en Amérique. Pourtant, piètre gestionnaire, il était couvert de dettes. A sa mort, sa collection fut vendue et elle ne rapporta pas grand-chose à sa veuve. Dans cette collection, des Gauguin, Cézanne, Pissaro, Renoir, Berthe Morisot, Emile Bernard, Seurat, Signac, etc. ! Quelques décennies plus tard, ces œuvres valaient des dizaines de millions…

Un bar aux Folies Bergère – Edouard Manet (Courtauld Gallery – Londres)

Au fil des pages, on comprend que la situation financière des artistes du XIXème n’était guère fameuse, sauf pour quelques-uns, de famille aisée ou déjà bien établis. Mais le mythe des impressionnistes maudits, méprisés de tous et qui ne trouvent pas où exposer, s’effrite. Les artistes que l’on trouve aujourd’hui sur les cimaises des musées du monde entier et qui battent des records en salle des ventes exposaient sans trop de difficultés, trouvaient galeristes et protecteurs, entretenaient entre eux des relations intenses. La vie n’était pas facile pour eux, certes, mais beaucoup furent reconnus de leur vivant, grâce notamment à de grands collectionneurs, américains souvent, qui leur achetèrent de très nombreuses toiles.

La vie d’artiste au XIXème siècle – Anne Martin-Fugier – Editions Pluriel 2016.

Jardin potager à l’Hermitage, Pontoise – Camille Pissaro (Musée d’Orsay – Paris)

JEAN-BAPTISTE CARPEAUX

JEAN-BAPTISTE CARPEAUX

Voici un excellent livre que je vous recommande chaudement : la vie et l’oeuvre de Jean-Baptiste Carpeaux, remarquable sculpteur (1827-1875) dont les oeuvres m’émerveillent toujours – beaucoup plus que celles de Rodin, je dois le dire. Les sculptures de Carpeaux sont toutes en finesse, en sensibilité. Ses bustes en particulier, et bien sûr le jeune Prince impérial avec son chien Néro, possèdent un charme fascinant.

Ce livre est de Michel Poletti, qui, avec Alain Richarme, tient la galerie « L’Univers du Bronze » à Paris. Ils comptent tous deux parmi les plus grands spécialistes au monde de Barye et ont publié le « Catalogue raisonné des bronzes de Barye« , ouvrage de référence s’il en est. De son côté, Michel Poletti a aussi écrit le passionnant « Monsieur Barye« .

La douceur et la beauté de bien des sculptures de Carpeaux me faisaient naïvement penser que cet artiste avait eu une vie paisible, qu’il avait traversé le XIXème siècle comme un notable reconnu par tous après l’édification du « Génie de la danse » sur la facade de l’Opéra Garnier à Paris. Erreur : la vie de Carpeaux est marquée par la passion et les coups de coeur, les déchirements sentimentaux, une jalousie maladive vis-à-vis de sa femme, un sentiment de persécution quasi-maladif, une indépendance qui lui joue bien des tours, des revers de fortune, l’influence très négative de sa famille, etc.

Jean-Baptiste Carpeaux est né à Valenciennes et les liens entre lui et cette ville resteront très forts tout au long de sa vie. Issu d’une modeste famille d’ouvriers, il entre, encore  jeune, aux Beaux-Arts de Paris dans l’atelier du grand Rude, le sculpteur qui a réalisé « La Marseillaise » sur l’Arc-de-Triomphe. En 1854, à 27 ans, il remporte le Prix de Rome avec « Hector implorant les dieux en faveur de son fils Astyanax » (ci-dessus) et part pour la capitale italienne. A la Villa Médicis, il ne respecte pratiquement aucune des règles de vie en vigueur et l’on s’étonne qu’il ne soit pas proprement jeté dehors. On décèle également, dès cet âge, le début de son sentiment de persécution.

Charles Garnier, architecte (Musée d’Orsay)

De Rome, il rapporte un monumental « Ugolin et ses enfants » (voir photo ci-dessous), dont on peut admirer des exemplaires au Petit-Palais à Paris et au Musée des Beaux-Arts de Lyon. On connaît également, de cette époque, le bien connu et charmant « Pêcheur à la coquille« , parfois confondu avec le « Jeune pêcheur napolitain jouant avec une tortue » de son maître François Rude.

Le génie de la danse (Musée d’Orsay)

« Le génie de la danse » est l’une des oeuvres les plus connues de Carpeaux. Elle fut commandée à l’artiste par Charles Garnier, architecte de l’Opéra de Paris. Carpeaux devait respecter strictement un certain nombre de consignes et de dimensions afin qu’il y ait une harmonie entre les différents groupes, mais Carpeaux, surnommé « la terreur des architectes« , fera comme d’habitude : se laissant emporter par sa fougue, il ne respectera guère ces impératifs. Le Génie de la danse donna lieu à une véritable bataille car le groupe fut jugé absolument scandaleux : c’est une scène orgiaque et exagérément sensuelle, lui reproche-t-on.

Voici l’une des critiques : « Ses ménades aux chaires flasques… aux seins tombants, au ventre plissé, dont les bras et les mains peuvent à peine s’entrelacer, dont les jambes qui fléchissent semblent s’avachir sous leurs corps fatigués, ne sont-elles pas ivres ? N’ont-elles pas abusé de tout ? Elles sentent le vice et puent le vin » (C.A. de Salelles).

L’oeuvre est plusieurs fois vandalisée et aurait dû être déplacée mais les évènements de 1870 détournèrent l’attention vers des choses plus graves.

Le Prince impérial et son chien Néro (Musée d’Orsay)

La vie de Carpeaux a été marquée par une jalousie maladive et sans raison vis-à-vis de sa femme, qui endura bien des sacrifices. Son mari la faisait espionner, surgissait à l’improviste au domicile conjugual, persuadé, bien à tort, d’avoir vu un amant entrer. La famille de Carpeaux, qui tenta de faire fortune en Amérique et le soutint financièrement à ses débuts, était obsédée par le « retour sur investissement ». S’immisçant de façon désastreuse dans le ménage de Jean-Baptiste comme dans ses affaires profesionnelles, elle eût une très mauvaise influence sur l’artiste, qui pourtant lui restait aveuglément attaché, en particulier à sa mère.

Jean-Léon Gérôme (Musée d’Orsay)

La fin de vie de Carpeaux fut triste et douloureuse. Dans un climat de conflit familial, de déroute financière, il souffre terriblement d’un cancer de la vessie et meurt finalement en 1875. Il est enterré à Valenciennes.

Ugolin et ses enfants (Musée du Petit Palais)

L’excellent livre de M.Poletti est très documenté, richement illustré et se lit d’une traite. On compâtit aux soufrances de l’artiste sans toutefois comprendre son aveuglement vis-à-vis de sa famille ni son ingratitude à l’égard de sa femme, sentiments issus d’un cerveau dérangé.

Buste de Madame Carpeaux (Musée du Petit-Palais)

Le livre regorge d’anecdotes touchantes ou amusantes, comme cet acharnement de Carpeaux à poursuivre l’Empereur Napoléon III pour lui montrer l’une de ses oeuvres, un grand bas-relief retraçant la réception de l’émir Abd-El-Kader à Saint-Cloud. Le plâtre avait été installé dans l’escalier d’honneur de l’Hôtel de Ville de Valenciennes, où l’Empereur se rendait en visite. Le souverain s’arrêta longuement devant l’oeuvre et demanda à rencontrer l’artiste. Mais celui-ci, qui pourtant espérait vivement retenir l’attention de l’Empereur, est dans un bistrot où il boit et se laisse persuader par de mauvais compagnons qu’avec cette sculpture, il a fait oeuvre d’allégeance à un usurpateur.

Mademoiselle Fiocre (Musée du Petit-Palais)

Carpeaux finit néanmoins par réaliser que l’Empereur est à l’Hôtel de ville et a sûrement vu son bas-relief. Il file en courant mais trop tard : la cour impériale quitte le bâtiment et un garde l’empêche de passer. Abattu, Carpeaux part pour Lille où Napoléon III doit faire une halte. Las, le train déraille et Carpeaux arrive trop tard. On lui donne alors une invitation pour le bal où il verra l’Empereur. Mais le parquet de la salle de bal fait entendre des craquements inquiétants : le bal est annulé et la salle évacuée ! Carpeaux, écoeuré, repart pour Valenciennes mais s’endort et ne se réveille qu’à Arras.

Buste de la Marquise de Lavalette (Musée du Petit-Palais)

Décidément tenace, Carpeaux apprend que l’artiste doit passer à Amiens. Il fait emballer le grand bas-relief et repart en train à la poursuite de l’Empereur. Mais arrivé sur place, très inquiet par l’énorme paquet, un employé de la Préfecture croit à une machine infernale destinée à un attentat et fait arrêter Carpeaux, qui sera libéré trop tard pour voir Napoléon III. A l’archevêché, on lui conseille de se rendre à la Cathédrale, où l’Empereur doit assister à un Te Deum. Il y va , toujours avec son bas-relief, et l’expose sous le porche de l’église. Hélas, la foule est si dense que personne ne prête attention à lui… Enfin, couronnement de tant de persévérance, l’artiste obtient de pouvoir installer son oeuvre à une exposition d’art que Napoléon doit visiter. Cette fois, l’Empereur s’arrête longuement devant le bas-relief. Carpeaux, caché derrière une colonne, surgit et peut enfin parler au chef d’Etat, et lui arracher la commande du bas-relief en marbre ou en bronze.

Le triomphe de Flore (Musée de Karlsruhe)

Voici encore une anecdote amusante qui montre bien l’indépendance d’esprit de Carpeaux. Un amateur lui commande un jour une oeuvre sur le thème de Polyphème écrasant Acis sous un rocher (ce qui ne risquerait plus guère d’arriver de nos jours !). Carpeaux, toujours en manque de fonds, encaisse la confortable avance mais ne se met guère au travail car le sujet ne l’inspire pas. Et lorsque le client, excédé, exige de voir où en est l’artiste, celui-ci lui montre un tas de terre informe : « Le voilà, votre groupe ».

« Ca, vraiment ? Sans doute, c’est le rocher. Ah ! oui… où est donc Acis ?

– Mais, sous le rocher. Il est écrasé, on ne peut le voir.

– Vrai. Et Polyphème ?

– Bah ! Vous croyez qu’il serait resté là après avoir fait le coup ? »

« Jean-Baptiste Carpeaux, L’homme qui faisait danser les pierres« 

Michel Poletti

Gourcuff Gradenigo Editeur – 2012 – 210 p. – 39 €

« UNE BRETAGNE PAR LES CONTOURS » DE Y. LE SACHER : NOUVEAU TOME

« UNE BRETAGNE PAR LES CONTOURS » DE Y. LE SACHER : NOUVEAU TOME

Je vous tiens régulièrement informé de la parution des ouvrages de Yann Le Sacher, qui a entrepris de parcourir le tour de la Bretagne et de dessiner avec talent et humour les ports, villages, plages, bateaux, criques et personnages de cette région attachante. Yann a commencé aux frontières de la Normandie et de la Bretagne et tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

Le numéro 8 est sorti courant 2016. L’artiste approche de la pointe nord de la Bretagne puisque ce tome couvre la partie de Plouescat à Plouguerneau. On peut penser qu’il faudra au moins 20 livres pour arriver en Loire Atlantique.

Yann saisit très bien la faune domestique et sauvage de la Bretagne !

Yann Le Sacher sait s’amuser des scènes que l’on a tous observées ou vécues un jour en vacances…

En bas de chaque page, un petit dessin très amusant.

Les premiers numéros sont hélas épuisés mais les derniers sont encore disponibles sur ce site : http://www.editions-de-dahouet.com/les-livres-des-e…l

Vous pouvez aussi retrouver Yann Le Sacher sur son blog, avec presque chaque jour un nouveau dessin. Vous pourrez notamment admirer ses originales enveloppes couvertes d’oiseaux :

http://yal.over-blog.com/

LIVRE : L’ÉLÉPHANT DE NAPOLÉON

LIVRE : L’ÉLÉPHANT DE NAPOLÉON

Voici un livre très étonnant qui m’a été offert par une collectionneuse et que je vous conseille : « L’éléphant de Napoléon« .

On connait la girafe de Charles X, qui a débarqué à Marseille au XIXème siècle et est remontée à Paris accompagnée de Geoffroy Saint Hilaire, le Conservateur du Muséum, mais l’éléphant dont il est question ici est différent. Il s’agit du projet d’un grand monument qui aurait dû être installé place de la Bastille.

Après avoir envisagé d’y construire un arc-de-triomphe, Napoléon et Vivant Denon, doyen des savants de l’expédition d’Egypte, Directeur du Muséum central des arts et administrateur des arts depuis 1802, décident en 1808 qu’un pachyderme aurait toute sa place sur le lieu de l’ancienne forteresse. Le 2 décembre 1808, la première pierre est posée.

Eléphants de Pairi Daiza (Belgique) arrosant le public

Le 9 février 1810, un décret consacre le projet et prévoit ceci : « Il sera élevé, sur la place de la Bastille, une fontaine sous la forme d’un éléphant en bronze, fondu avec les canons pris sur les Espagnols insurgés ; cet éléphant sera chargé d’une tour et sera tel que s’en servaient les Anciens ; l’eau jaillira de sa trompe. Les mesures seront prises de manière que cet éléphant soit terminé et découvert au plus tard le 2 décembre 1811« .

Vivant Denon prévoit qu’il faudra 177 tonnes de bronze. Car c’est un colosse qui est prévu : 15 mètres de haut et 16 mètres de long, l’ensemble culminant à près de 24 mètres.

Hélas, la conscription a emporté loin de Paris les ouvriers dans la force de l’âge et l’on manque de bras. Le chantier prend du retard et, en 1813, bien que les travaux de terrassement et de maçonnerie soient presque terminés, Napoléon s’impatiente. Tous les ouvriers disponibles doivent être embauchés, surtout les plus âgés, décide-t-il.

Plusieurs projets ont été envisagés : un éléphant nu et seul, un éléphant couvert de draperies et tentures surmonté d’un guerrier grec brandissant une lance, un éléphant portant un immense trône ou encore un siège dont se lève un dignitaire égyptien présentant en offrande un sabre, un éléphant de guerre avec une vaste tour sur le dos, etc.

Eléphant monté par un indien – AL Barye (Musée du Louvre)

Dans tous ces projets, il est prévu une fontaine et des jeux d’eau. Jaillissant parfois de sa trompe vers le ciel, l’eau est également présente sous forme d’une cascade entourant tout le socle. L’alimentation viendra du canal Saint-Martin.

En 1810, voulant se faire une idée précise des proportions du géant, Vivant Denon commande aux sculpteurs Moutoni puis Bridan un modèle grandeur nature en bois et fer, recouvert de plâtre. Il est installé sous un vaste hangar au sud-est de la place de la Bastille. Un gardien, le dénommé Levasseur, lui est affecté. Il loge dans une des pattes de l’éléphant.

Mais en 1815, la Restauration stoppe le chantier. S’en suivent idées d’abandon et tentatives de terminer le projet. L’éléphant en plâtre reste là et se dégrade peu à peu. On raconte qu’il héberge des milliers de rats, qu’il sert de refuge aux voleurs. Dans son roman, Victor Hugo en fait le refuge du jeune Gavroche.

Finalement, à la place du pachyderme, on érigera la colonne de Juillet en mémoire des victimes des trois journées de 1831. Et ce n’est qu’en 1846 que le modèle en plâtre, en piteux état, est démoli. Effectivement, des cohortes de rats s’en échappent, terrorisant pour longtemps le quartier.

Lorsqu’on lit ces incroyable histoire, on se demande pourquoi elle n’est pas plus connue. Pour ma part, jamais je n’avais entendu parler de ce projet gigantesque et j’ignorais que la taille excessive du socle de la colonne de Juillet, les têtes de lions sur son pourtour, la voûte circulaire en sous-sol, le passage du canal Saint-Martin dataient du chantier de l’éléphant.

L’intérêt de ce beau livre, passionnant, est multiple : raconter cette incroyable histoire, bien sûr, mais aussi l’illustrer très abondamment avec de nombreuses reproductions de gravures et dessins, élargir la réflexion à la vision de l’orient à cette époque, aux réalisations artistiques et architecturales sur le thème de l’éléphant, etc.

La dernière partie de l’ouvrage est spectaculaire et m’a fait croire que cet éléphant existait bien ! Les auteurs ont en effet reconstitué virtuellement le monument et font défiler à ses pieds majestueux les Parisiens de 1930, 1936, 1968, 2013, etc.

Je vous conseille donc vivement cet ouvrage aussi agréable à lire qu’étonnant et instructif.

L’éléphant de Napoléon

Matthieu Beauhaire – Mathilde Béjanin – Hubert Naudeix – Préface de Georges Poisson

Editions Honoré Clair – 96 pages – ISBN : 978-2-918371-17-5 – Octobre 2014 – 32 €