Musée Antoine Bourdelle à Paris : déception…

En novembre dernier (2024), le Musée Bourdelle à Paris présentait l’exposition « Rodin / Bourdelle. Corps à corps« . Une occasion de visiter ce lieu, à deux pas de Montparnasse. Une occasion aussi de découvrir le travail de ce sculpteur français, en espérant faire une aussi belle découverte que lorsque j’ai approché pour la première fois l’oeuvre de Landowski au Musée des Années 30 à Boulogne-Billancourt ou celle d’Alfred Janniot au Musée des Colonies à Paris.

Musée Bourdelle

Antoine Bourdelle dans son atelier

Musée Bourdelle

Le monumental cheval conçu pour le « Monument au Général Alvéar », homme d’Etat et militaire argentin, commandé à Bourdelle en 1913 pour célébrer le centenaire de la République argentine.

Hélas, j’ai été déçu. Non par le musée, agréable, situé dans le très vaste atelier de l’artiste (en fait quasiment un pâté de maison) où les oeuvres sont bien présentées, sans appel, pour une fois, au fameux « dialogue » entre oeuvres classiques et oeuvres contemporaines absurdes, tarte à la crème des conservateurs complexés de reconnaître que peu d’artistes contemporains sortis des Beaux-arts arrivent à la cheville des génies du passé.

On traverse les pièces d’habitation de Bourdelle, chaleureuses et intimes, avec ses meubles, des tableaux et objets divers. Le soir, la cour est très bien éclairée et l’architecture est si particulière que l’on ne sait plus très bien si on est à Paris ou dans un village de province.

Musée Bourdelle

Vue depuis la terrasse.

En fait, c’est le travail d’Antoine Bourdelle qui m’a beaucoup désappointé. La présentation, lors de cette exposition, de plusieurs oeuvres de Rodin faisait cruellement sentir l’écart de talent entre les deux sculpteurs. Cette différence n’est pas forcément criante sur les deux Adam ci-dessous mais c’est parce que la facture de celui de Bourdelle, réalisé vers 1888-1889, est d’un style encore très classique – qui montre l’ampleur de ce qu’il aurait pu faire – style dont il s’écartera malheureusement par la suite…

Musée Bourdelle Adam

Deux « Adam » : ci-dessus, de la main de Bourdelle, un travail assez classique qui montre une belle maîtrise de la part de l’artiste.

En bas, de Rodin, un Adam beaucoup plus fort, qui fait immédiatement penser au travail de Michel Ange.

Musée Bourdelle Rodin Adam

Antoine Bourdelle, de son vrai nom Emile-Antoine Bordelles, est né à Montauban en 1861 et mort au Vésinet (région parisienne) en 1929. Entré en apprentissage à 13 ans dans l’atelier d’ébénisterie de son père, il révèle vite ses talents de sculpteur sur bois. Il entre aux Beaux-Arts de Toulouse en 1876 puis de Paris en 1884. Comme cela se faisait alors, il se forme dans l’atelier du très bon sculpteur classique Alexandre Falguière. Il a pour ami François Pompon, Jeanne Poupelet, Jules Desbois, etc. Plus tard, il rencontrera Camille Claudel. En 1885-1886, il décide d’abandonner l’enseignement classique et quitte aussi bien les Beaux-Arts que Falguière. Il entre dans un modeste atelier avenue du Maine, atelier qui s’étendra peu à peu et deviendra le vaste ensemble que l’on visite aujourd’hui. Pour gagner sa vie, il dessine et travaille dans l’atelier de Théo Van Gogh, le frère de Vincent. En voyant ses oeuvres picturales, qui montrent un réel talent, on se dit qu’il aurait peut-être dû persévérer dans cette voie…

Musée Bourdelle peinture

Jolie peinture réalisée par Bourdelle.

En 1893, il entre comme praticien dans l’atelier de Rodin, qui l’appuie fortement pour qu’il obtienne la réalisation d’un monument aux morts à Montauban, sa ville natale, alors que le jury n’apprécie pas du tout son style. Merci Auguste !

Musée Bourdelle Rodin au travail

« Rodin travaillant à La Porte de l’Enfer » – A.Bourdelle – 1910 – Un style devenu lourd, brutal, sans finesse.

Sa participation à l’Exposition Universelle de 1900 marque un tournant dans sa carrière, qui est lancée. Il se marie en 1904 mais son cœur est vite conquis par une de ses élèves, Cléopâtre Sévastos, qu’il épousera en 1918 après avoir divorcé en 1910.

Musée Bourdelle Daphné devient laurier

Ci-dessus, « Daphné devient laurier » de Bourdelle – Ci-dessous, « Le vieil arbre » de Rodin, que la qualité de la fonte de Rudier magnifie.

Musée Bourdelle Rodin Le vieil arbre

Après avoir voyagé dans plusieurs pays d’Europe, remporté des concours et engrangé des commandes, il réalise son oeuvre principale : Héraklès (cf. mon article sur cette sculpture http://colcombet.com/herakles-archer-par-bourdelle/ En 1910, il participe au projet de construction de théâtre des Champs-Elysées, prenant Isadora Duncan comme modèle pour la réalisation des fresques en façade. En parallèle, il donne des cours et compte parmi ses élèves Alberto Giacometti et Germaine Richier.

Musée Bourdelle La guerre ou Trois têtes hurlantes

« La guerre » ou « Trois têtes hurlantes » – A.Bourdelle. Une déformation des visages qui est voulue mais enlaidit à l’excès la sculpture sans la rendre plus expressive pour autant.

Musée Bourdelle Pallas

« Pallas » – Marbre de Bourdelle. Comme expliqué sur le cartel à côté de l’oeuvre, « ce torse se résume à un cylindre posé sur deux tubes ». Pas très subtil… Dommage car le visage, bien que sévère, est joli.

Il connaît la gloire de 1925 à sa mort en 1929 : nombreuses expositions dans le monde entier, participation à l’Exposition Internationales des Arts décoratifs et industriels modernes en 1925, réalisation d’un monument à Buenos Aires, grande exposition au Palais des Beaux-arts à Bruxelles, installation de son Monument à Mickiewicz place de l’Alma à Paris, etc.

Perclus de rhumatisme, il meurt à Paris le 1er octobre 1929 et est enterré au cimetière du Montparnasse.

Musée Bourdelle La France

« La France » 1ère maquette – A.Bourdelle. L’artiste veut visiblement faire référence à l’art antique mais le résultat est figé.

Musée Bourdelle fresque

Les grandes fresques au 1er étage de la terrasse annoncent déjà la lourdeur de bien des sculptures des années 30.

Musée Bourdelle buste Coquelin cadet

Un joli buste, enfin : celui du comédien Coquelin cadet.

Il n’est pas inintéressant du tout de visiter le musée Bourdelle, d’abord pour admirer le site, mais aussi pour comprendre comme il est compliqué pour un artiste de trouver son style. Cette expression peut faire penser, à notre époque très commerciale, qu’il s’agit de définir un produit marketing original et d’ainsi occuper une niche du marché qui permettra de vendre assez facilement. En réalité, trouver son style signifie plutôt réussir à réaliser une belle oeuvre en faisant presque inconsciemment la synthèse de son propre talent et de tout l’héritage laissé par ses maîtres à l’artiste. Ici, on sent bien la tension entre la formation classique prodiguée par Falguière, l’exigence, la puissance et la sensualité de Rodin, et le rejet du classicisme qu’exprima Bourdelle en quittant les Beaux-arts et Falguière. Mais cette synthèse ne me semble pas faite et à mon avis, l’oeuvre de cet artiste est souvent frustre, peu dégrossie, en tous cas manque beaucoup de subtilité alors que Bourdelle avait certainement les qualités pour faire mieux.

Bruno Liljefors au Petit Palais : peintre et coureur des bois

Bouclant un cycle consacré aux peintres suédois et finlandais, le Petit Palais nous fait découvrir Bruno Liljefors (1860-1939), le B du trio ABC qui comprenaient Andres Zorn et Carl Edelfelt. Une superbe exposition !

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Bruno Liljefors peignant dans une barque

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Anna, la première épouse de l’artiste. Ils auront cinq enfants avant que Bruno ne la quitte pour épouser Signe, la sœur d’Anna, dont il aura huit enfants. Ce fut un scandale retentissant qui força Bruno et Signe à s’exiler sur une île.

J’ai consacré l’article de ce trimestre dans la belle revue Chasses Internationales à ce peintre passionné et original, qui eut une vie mouvementée et jouit dans son pays d’une formidable renommée. Je ne vais pas copier ici cet article mais simplement montrer quelques-unes de ses oeuvres visibles au Petit Palais.

L’article à lire dans Chasses Internationales n°36 – Hiver 2024-2025

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Renards. On ne repère pas tout de suite celui de droite, couché dans les feuilles, ni les mésanges perchées à gauche.

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Grive musicienne à son nid. Acrobate comme ses frères, l’artiste savait parfaitement grimper en haut des plus grands arbres.

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Pies dans un pommier

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Renard et chiens. Liljefors était passionné de chasse. C’est son père, marchand de poudre, qui lui en donna le goût.

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Une famille de renards

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Paysage d’hiver aux bouvreuils pivoine. Une certain style japonisant qui attirait Liljefors.

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Lièvre pourchassé. On devine parfaitement la douceur et l’épaisseur du pelage du lièvre variable, ainsi nommé car il passe du brun l’été au blanc en hiver.

Cinq études d’animaux. L’assemblage dans un même cadre d’oeuvres de formes et de tailles différentes correspond à la tradition japonaise « Harimaze ».

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Détail de la toile de fond du diorama du Musée de biologie d’Uppsala.

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Eiders en vol. De « peintre de l’intérieur des terres », Bruno devient « peintre des rivages »

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Pygargues à queue blanche attaquant un plongeon (gros oiseau aquatique). Liljefors aimait ces grands rapaces. Une photo montre son épouse Signe portant sur le poing un pygargue.

Exposition Liljefors Petit Palais nov 2024

Brise du matin, immense toile où l’on voit des eiders mâles se posant sur la mer.

Bruno Liljefors. La Suède sauvage – Petit Palais à Paris jusqu’au 16 février 2025

Exposition Jusepe de Ribera au Petit Palais

Le Petit Palais, dont même France Culture admire les remarquables expositions (c’est dire !), présente pour la première fois en France une grande rétrospective de l’oeuvre du peintre Jusepe de Ribera (1591-1652).

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

L’un des tableaux qui, à l’entrée de l’exposition, accueillent le visiteur et représentent Les cinq sens

Je ne vais pas décrire ici la vie de ce grand peintre car ce serait un peu long. Rappelons simplement que, né près de Valence en Espagne en 1591, fils d’un cordonnier, Ribera se serait formé dans l’atelier d’un peintre connu à Valence puis en Italie où il arriva dans le années 1600. On sait qu’il était à Rome en 1613 et qu’il s’oriente alors vers le caravagisme. En 1616, il quitte Rome où il a de trop nombreuses dettes de jeu et s’enfuit à Naples, en pleine effervescence artistique et architecturale.

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

Saint Jude Thadée, acquis il y a une dizaine d’années par le musée de Rennes en partie grâce à une souscription

Grâce à son travail dans cette ville, Ribera, que l’on surnomme Le Spagnoletto en raison de ses origines et de sa petite taille, acquiert une très grande renommée qui s’étend bien au-delà de l’Italie. On ne sait pas tout sur cet artiste. Selon certains, il ne serait autre que celui qu’on appela longtemps Le maître du jugement de Salomon, à qui de nombreuses toiles furent attribuées et dont on ignorait le nom.

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

Magnifique Adoration des bergers. On relèvera la présence au pied de l’enfant de l’agneau lié qui préfigure le sacrifice du Christ et fait penser à L’Agneau mystique de Zurbaran.

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

Détail de l’Adoration des bergers

Les années 1650 à 1660 le mènent à la gloire grâce à une intense production destinée tant à l’Italie qu’à son Espagne natale. Il possède une grande propriété à Naples. Ses tableaux, souvent de commandes, sont généralement d’inspiration religieuse. On lui demande de décorer de nombreux palais et églises dont la Chartreuse Saint-Martin de Naples, travail qui lui prendra plusieurs années. Les Apôtres, Saint Jérôme, le martyr de Saint Barthelemy qui fut dépecé vivant se retrouvent à plusieurs reprises dans son oeuvre mais il réalise aussi des tableaux profanes : paysages, personnages du peuple ou importants, scènes mythologiques, etc.

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

Détail de Deux philosophes (Anaxagore et Lacide). Ribera peint de façon stupéfiante les mains (cf. ci-dessous) et… les livres et papiers.

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

Ci-dessus et ci-dessous : détail de Deux philosophes

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024
Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

Détail de Saint Jérôme et l’ange du Jugement

Ribera meurt à Naples en 1652 à 61 ans. Dans sa vie, il rencontra de nombreux peintres illustres dont Diego Velasquez qui lui acheta plusieurs oeuvres. Il fut aussi le maître de Luca Giordano. L’exposition montre qu’il était non seulement un peintre mais aussi un graveur de haut niveau.

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

Un philosophe : l’heureux géomètre. Un Ribera découvert il y a peu dans une propriété de l’ouest de la France. Mis en vente à Drouot en juin 2020 et estimé 200 000 € à 300 000 €, il a été adjugé à plus de 1,8 millions d’Euros.

Expo Ribera Petit Palais novembre 2024

Dans plusieurs tableaux de Ribera, on retrouve le drôle de petit bonhomme de L’heureux géomètre. Ainsi, dans Le reniement de Saint Pierre, on le voit à l’arrière-plan tendre un doigt accusateur vers l’Apôtre.

Au centre de l’exposition du Petit Palais, une très curieuse scène représente une des curiosités de l’époque : Une femme à barbe, ici allaitant son enfant en présence du mari. Cette femme est Magdalena Ventura, Italienne mère de trois enfants. Ce portrait est étonnant à plus d’un titre : le visage de la femme est très masculin, tout comme sa carrure, et le sein gonflé de lait est étrangement placé sur le torse de la mère. Cette toile a été commandé par le vice-roi de Naples, un Espagnol, collectionneur de portraits de personnages « au physique monstrueux ».

Ribera. Ténèbres et lumières. Petit Palais à Paris jusqu’au 23 février 2025

Exposition Harriet Backet au musée d’Orsay

Après avoir vu Caillebotte. Peindre les hommes (cf. note précédente), il faut rester au musée d’Orsay et courir voir les très touchantes oeuvres de l’exposition « Harriet Backer. La musique des couleurs« . Oh, bien sûr, Backer n’est pas Monet, Delacroix ou Pissaro mais ses oeuvres sont très touchantes, chaleureuses, douces et émouvantes. Organisé par la talentueuse Leïla Jarbouai, qui avait réalisé la belle exposition Rosa Bonheur l’an passé, et Estelle Bégué, l’exposition est intelligente, complète, explicative et originale.

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

Intérieur bleu

Née en 1845 à Holmestrand en Norvège, Harriet Backer fit des études d’art dans son pays puis voyagea en Allemagne et en Italie puis s’installa en France où elle travailla dix ans auprès des peintres Gérome, Bonnat, Bastien-Lepage et s’intéressa aux Impressionnistes. Forte de cette remarquable formation – dont les Beaux-Arts actuels feraient bien de s’inspirer au lieu d’asséner aux élèves qu’ils sont tous des génies et que leur spontanéité doit primer – et de longues séances de copies des maîtres anciens, elle trouve son propre style et représente de nombreuses scènes d’intérieur. Elle a fondé une école à Oslo et formé bien des peintres. Elle meurt à Oslo en 1932 à l’âge respectable de 87 ans.

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

L’adieu.

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

Un érudit dans son étude

L’exposition d’Orsay commence par montrer l’étendue du talent des peintres norvégiens de son époque – particulièrement les artistes femmes – école que l’on ne connaît guère en France.

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

L’artiste Jeanna Bauck – Bertha Wegmann (1847-1926)

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

Dans l’atelier à Paris – Asta Norregaard (1853-1933)

Sont ensuite exposées les oeuvres de Harriet Backer, qui voyagea en Bretagne et s’émerveilla devant des intérieurs rustiques, notamment à Rochefort-en-Terre. On navigue ainsi de la Norvège à nos contrées et plus d’une fois, on aimerait plonger dans le tableau, entrer dans cette maison scandinave, errer dans ces champs et ces jardins, passer une soirée auprès de la douce chaleur de cette lampe.

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

Femme cousant à la lueur de la lampe

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

Solitude

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

Blanchiment du linge

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

Ci-dessus et ci-dessous : Intérieur de Rochefort-en-terre

Expo Harriet Backer Orsay novembre 2024

Harriet Backer – Musée d’Orsay – Jusqu’au 12 janvier 2025

Exposition Gustave Caillebotte à Paris

Il y a des noms qui font accourir les amateurs d’exposition : Caillebotte est l’un d’eux. On a tous en tête les plus célèbres de ses toiles : Les raboteurs de parquet, Le Pont de l’Europe, Les périssoires, etc. C’est donc avec la certitude d’un succès que le Musée d’Orsay présente jusqu’au 19 janvier 2025 « Caillebotte. Peindre les hommes« .

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Les raboteurs de parquet

Homme de petite taille (1m67 selon son livret militaire), Caillebotte (1848-1894) fut à la fois peintre, mécène et collectionneur. Héritier d’une importante fortune acquise par sa famille dans la vente aux armées de drap et couvertures militaires, il n’eut jamais de soucis financiers et se consacra à ses passions dont l’horticulture et le nautisme, qu’il soit à rames ou à voile. On disait de son demi-frère (son père, veuf deux fois, s’est marié trois fois), prêtre, qu’il était le curé le plus riche de Paris – et on ajoutait : le plus généreux aussi.

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Jardin de la cuisine, Petit Gennevilliers

Grand amateur de peinture, Gustave Caillebotte fut un véritable mécène pour les Impressionnistes, finançant leurs expositions, achetant – avec beaucoup de discernement – un certain nombre de leurs tableaux, offrant les dîners annuels où se retrouvaient ces peintres, les hébergeant chez lui, etc.

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Un refuge boulevard Haussmann

Après sa licence en droit, il entre dans l’atelier du peintre classique Léon Bonnat (on ne dira jamais assez combien, par leur exigence, les peintres classiques ont formé de grands artistes) puis aux Beaux-Arts de Paris où il ne reste qu’un an. Sa peinture est réaliste et décrit généralement le quotidien des ouvriers, des passants. Son tableau Les raboteurs de parquet est refusé au Salon de 1875, le jury le trouvant purement descriptif du quotidien des ouvriers et donc sans intérêt. C’est pourtant aujourd’hui l’une de ses oeuvres les plus appréciées. La beauté de la pièce avec son parquet neuf, ses lambris soigneusement peints, les volutes du bacon, mais aussi la chaleur extérieure que l’on devine, l’éclairage de la pièce, la conversation entre les ouvriers, tout cela rend cette scène fascinante et montre le talent de Caillebotte.

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Jeune homme à sa fenêtre

Constatant que dans sa famille, on meurt jeune, Gustave rédige son testament dès 1876, alors qu’il n’a encore que 28 ans. Il ne disparaîtra pas aussitôt mais néanmoins à un âge encore très jeune puisqu’un jour, alors qu’il peint dans son jardin, il est frappé par une congestion cérébrale. Il n’a que 45 ans. A son enterrement, se presse une foule innombrable, témoignage de l’affection que tous lui portaient.

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Balcon

Caillebotte vendit très peu de toiles de sa main mais accumulait les oeuvres de ses contemporains, tout en faisant preuve de rigueur et exigence. Sa collection fut léguée à l’Etat.

Gustave Caillebotte s’est inspiré de tous types de sujet, des paysages aux natures mortes, des portraits aux scènes de genre, de la ville à sa propre famille. Mais l’exposition d’Orsay, comme son nom l’indique, s’intéresse théoriquement à un angle bien précis de l’oeuvre de l’artiste : les hommes. En fait, ce thème est très large – n’est-ce pas même un prétexte ? – et permet de montrer presque toute la palette du peintre. Un grand nu de femme allongé sur un divan semble d’ailleurs fort éloigné du sujet mais il aurait été dommage de ne pas l’exposer.

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Portrait de Paul Hugot

Quel sentiment ressent-on à la fin du parcours au cours duquel on a pu admirer de nombreuses peintures très connues de Caillebotte ? Curieusement, un mélange d’admiration et une certaine déception… Bien sûr, bien des oeuvres sont remarquables, on est heureux de voir « en vrai » les plus renommées, on ne peut s’empêcher d’être soufflé par le point de vue audacieux des certaines vues presque aériennes, mais plusieurs scènes laissent l’impression d’être figées, plates même, tandis que d’autres semblent maladroites. J’ai bien conscience qu’il peut paraître sacrilège de parler ainsi d’un des grands impressionnistes mais la fréquentation assidue des musées m’autorise parfois à porter un jugement un peu… abrupte. Je serais heureux de savoir si d’autres visiteurs ont ressenti le même malaise face à quelques-unes des grandes peintures de Caillebotte, que je présente ci-dessous.

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Rue de Paris, temps de pluie. Une immense toile, d’une belle composition, mais figée, tout comme la suivante.

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Le Pont de l’Europe

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Partie de bézigue. Une scène amusante mais qui révèle quelques soucis de perspective (table) et de proportions notamment du joueur de gauche qui tient ses cartes et possède une tête curieusement grosse.

Expo Caillebotte Orsay novembre 2024

Une course de bateaux. Le voilier est très étrange : on ne sait s’il flotte ou s’il vole…

« Caillebotte. peindre les hommes » – Musée d’Orsay – Jusqu’au 19 janvier 2025

Baleines et macareux en Islande

L’Islande ! Ce nom évoque les Vikings, une langue impossible, un pays préservé et sauvage, une terre tourmentée par les volcans, les geysers et les séismes, un climat rigoureux et des aurores boréales. Et tout cela est exact ! Ainsi, l’Islande, finalement, c’est surtout une île très différente de tout ce que l’on peut voir en Europe.

Ayant visité le sud de l’Islande cet été avec l’espoir d’apercevoir baleines et macareux, je partage ici quelques photos de cette extraordinaire contrée.

Une langue compliqué avec des lettres que nous ne connaissons pas (ex. dans le nom de la ville de Garðabær) et des mots parfois très long, comme celui-ci qui signifie « Extincteur » !

D’une superficie de 103 000 km, mesurant environ 500 km de long et 300 km de large, l’Islande est située très au nord des Iles Britanniques, entre la Norvège et le Groenland, à quelques kilomètres au sud du cercle polaire arctique. Le climat en été est généralement doux (entre 12° et 16° dans la journée) mais durant les deux premiers jours de mon voyage (fin août), un vent glacial soufflait et j’étais bien content de m’être habillé avec bonnet, moufles, foulard, parka comme pour aller en montagne en plein hiver ! Les jours suivants, un beau soleil permettait de se contenter d’un pull léger dans la journée.

L’Islande est le pays de l’eau sous toutes ses formes. Liquide bien sûr avec d’innombrables chutes d’eau qui ont parfois creusé de profonds canyons ou bien s’infiltrent dans la grande faille entre les plaques tectoniques européenne et américaine.

Spectaculaires formations basaltiques à Svartifoss dans le parc national de Skaftafell.

L’eau jaillit aussi parfois des profondeurs de la terre comme à Geysir, qui a donné son nom (qui signifie « jaillir ») au phénomène bien connu. Le Grand Geysir n’est plus en activité sauf en cas de séisme. Ainsi en 2000, il a jailli a plus de 120 mètres de haut durant 2 jours. Aujourd’hui, le Strokkur a pris le relais au sein de cette zone géothermale très active : toutes les 10 minutes environ, la surface d’une grande mare tremble, est parcourue d’ondes mystérieuses qui font deviner une intense activité souterraine puis en un instant, comme on peut le voir ci-dessous, cette surface se déforme, enfle et une énorme bulle grossit avant d’éclater en un immense jet geyser d’eau chaude.

L’eau peut être très calme comme dans le petit cratère de Kerid, ancien volcan vieux de 3000 ans au fond duquel on descend.

Zone géothermale de Reykjanes

Mais l’eau peut aussi être brûlante, fumante, chargée de soufre et agitée d’importants remous. Le paysage désolé fait alors immanquablement penser à la planète Mars…

Le centre du pays est difficilement accessible : peu de routes, des volcans, des glaciers, des terres en partie inhospitalières et restées sauvages. Les terres cultivées ne représentent que 1% du pays. La majorité de la population habite le long des côtes.

Curieux aspect de la roche sur la plage de Kirkjufara. Un peu plus haut, des centaines de macareux (« Puffin » en anglais) nichent dans les herbes, s’envolent vers la mer en battant des ailes à une vitesse inimaginable puis reviennent au nid dans un ballet étourdissant.

Plusieurs glaciers terminent leur course dans des lacs ou dans la mer, libérant de grands icebergs qui dérivent plus ou moins vite. Certains sont noirs car imprégnés de cendre tandis que d’autres sont d’une belle teinte bleu.

La lagune glaciaire de Jökulsarlon où l’on voit les phoques plonger entre les icebergs qui finissent leur course dans la mer toute proche.

Et les animaux en Islande ? Le bétail domestique comprend de nombreux moutons à l’épaisse toison, des vaches de différentes races et d’innombrables chevaux de petite taille dont les élevages comprennent des dizaines de têtes. Curiosité de cette race : elle se couche volontiers et l’on est surpris de voir des troupeaux entiers de chevaux couchés comme des vaches dans un pré.

C’est à Dyrholaey (« île haute avec passage de porte »), sur un promontoire rocheux de 120 mètres de haut, que nous avons eu la chance de voir nos premiers macareux. Dans la journée, ils sont en mer mais le matin ou en fin de journée, on voit facilement ces drôles d’oiseaux de la taille d’une mouette, qui nichent dans des terriers et ne sont guère sauvages.

Coup de chance : de cette falaise où nous observions les oiseaux, nous avons longuement observé une baleine de Minke ou petit rorqual tout près du bord (petite tache noire en bas à gauche près des vagues). Nous avons pu l’accompagner tout au long de l’immense plage de sable noir de Kirkjufara.

Le souffle de la baleine de Minke, cétacé d’environ 6 à 7 mètres de long.

Quelques jours plus tard, de retour des iles Vestmann, nous avons vu cette baleine à bosse à l’entrée du port. Roulant d’un côté sur l’autre, montrant nageoires (comme sur cette photo) et queue, elle semblait sa gaver de krill ou de petits poissons.

Etonnant paysage islandais : près de la plage de Kirkjufara, une fine pellicule d’eau sur cette plage de sable noir la fait ressembler à un miroir sur lequel il est amusant de marcher.

Il me reste à découvrir un jour le nord de l’Islande où l’on peut observer d’autres espèces de cétacés.