Exposition Etienne Dinet à l’IMA (Paris)

Etienne Dinet Institut du Monde Arabe mars 2024

Autoportrait de Etienne Dinet

L’Institut du Monde Arabe à Paris présente actuellement une belle exposition des oeuvres de Etienne Dinet (1861-1929), peintre français que l’on peut qualifier d’orientaliste mais dont les peintures n’ont rien à voir avec celle de Léon Cogniet, Jean-Léon Gérôme ou Léon Belly. Dinet a réellement vécu en Algérie et représenté des scènes de la vie quotidienne observées lors de ses nombreux séjours en Afrique du Nord. Ici, pas de grandes fresques, de bâtiments majestueux, de caravanes de dromadaires mais des enfants, un muezzin, une oasis, un homme assis sur son âne, une sieste sur un toit…

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« L’homme au grand chapeau » – Huile sur bois.

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« Une crue de l’Oued M’zi » – Huile sur toile

Etienne Dinet est né en mars 1861 à Paris. Son père était Président du Tribunal civil de première instance de la Seine. A 10 ans, au lycée Henri IV, Etienne remporte un premier prix de dessin au Concours général. Plus tard, il s’inscrit aux Beaux-Arts puis à l’Académie Julian où il a pour maîtres les excellents et très académiques peintres Bouguereau et Robert-Fleury. On ne fera jamais trop d’éloges sur la formation artistique du XIXème siècle, bâtie sur un long apprentissage des techniques classiques du dessin et de la sculpture et de la copie des chefs-d’oeuvres du Louvre ou d’autres musées. C’est sur ce socle solide que tant d’artistes ont pu trouver leur style, innover et explorer de nouveaux courants, créer des chefs-d’oeuvres qui font la gloire des musées du monde entier. Pourquoi les Beaux-Arts actuels ne sont-ils pas capables de revenir à cette formation classique ? Certainement par un orgueil qui permet de jeter aux orties tout ce qui s’est fait et de « réinventer le réel » en considérant que le Beau est totalement subjectif et donc sans valeur, et que l’apprentissage est inutile… En suivant ce lien, je vous invite à lire le charabia (en écriture inclusive, évidemment !) de présentation de la formation des Beaux-Arts  : https://beauxartsparis.fr/fr/presentation/organisation-des-etudes

Vous êtes priés d’apprécier particulièrement les « workshops« , « L’École et ses habitant·es. Humain·es et non-humain·es.de Paris » et « un présent qui se reconfigure au jour le jour« … La cuistrerie atteint des sommets avec la définition des techniques enseignées : « Dirigés par des artistes ou des technicien·nes d’art, les ateliers de technicités permettent aux étudiant·es d’ouvrir le champ de leurs travaux personnels et d’envisager son développement par la maîtrise de différents media, de faire s’évanouir les entraves matérielles à leurs créations. » Je pense avec tristesse aux étudiants qui naïvement pensaient trouver là le lieu d’un apprentissage intelligent et exigeant. Heureusement qu’il existe des écoles privées d’art…

Etienne Dinet Institut du Monde Arabe mars 2024

« Sur une terrasse un jour de fête à Bou-Saâda » – Huile sur toile

Etienne Dinet Institut du Monde Arabe mars 2024

« Meddah aveugle chantant l’épopée du Prophète » ou « Le conteur arabe » – Huile sur toile

Revenons à Etienne Dinet : en 1884, le frère entomologiste de son ami Lucien Simon part en Algérie à la recherche d’un coléoptère rare et emmène Etienne. Il est séduit. Dès l’année suivante, il utilise une bourse de voyage pour repartir dans ce pays, parcourir le désert, les Hauts-Plateaux et finalement l’oasis de Bou-Saâda. D’autres voyages suivront jusqu’à ce que Dinet prenne l’habitude de passer une grande partie de l’année à Bou-Saâda où il sera enterré après sa mort à Paris en 1929, année de son pèlerinage à La Mecque. Il s’était converti à l’Islam en 1913.

Etienne Dinet Institut du Monde Arabe mars 2024

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« Un forcené » – Huile sur toile

En 1887, Etienne Dinet avait créé la Société des peintres orientalistes français dont Gérôme et Benjamin Constant étaient les présidents d’honneur. Pourtant, en 1922, il publia « L’Orient vu par l’Occident« , charge critique contre les peintres orientalistes d’Occident qui ignoraient la tradition musulmane et la dévoyaient. En 1911, il obtint que l’administration militaire de la ville de Bou-Saâda devienne civile. Il affichait des positions très critiques vis-à-vis de le gestion coloniale et s’est battu pour une véritable reconnaissance des combattants musulmans de la Grande Guerre.

Etienne Dinet Institut du Monde Arabe mars 2024

Etienne Dinet Institut du Monde Arabe mars 2024

« Le marché de Brezina » – Huile sur toile

L’Institut du Monde Arabe présente une belle collection de peintures, dessins et ouvrages illustrés par l’artiste. Dinet nous offre un voyage instructif, enchanteur, que l’on n’a pas envie de quitter. Sa peinture n’est pas léchée, figée, aussi « impeccable » que celle d’un Gérôme ou d’un Benjamin-Constant mais elle est très réaliste : les visages manquent parfois un peu de charme, on sent la poussière et la chaleur mais c’est une peinture vivante. Une partie de l’exposition est consacrée aux portraits de jeunes filles des « quartiers chauds » de Bou-Saâda, mélange de grâce et de gravité mélancolique, quartiers dont visiblement Dinet était un visiteur régulier sans que l’on sache bien si ses visites étaient à but artistique ou non.

Etienne Dinet Institut du Monde Arabe mars 2024

« Etienne Dinet, passions algériennes« 

Jusqu’au 9 juin 2024 – Institut du Monde Arabe – 1 rue des Fossés-Saint-Bernard Paris Vème.

www.imarabe.org

Etienne Dinet Institut du Monde Arabe mars 2024

 

 

 

 

Exposition André Devambez au Petit Palais à Paris

Lors de mes fréquentes visites au musée des Beaux-arts de Rennes, j’ai toujours été frappé d’étonnement devant une grande peinture (161 cm x 188 cm), une vue aérienne de Paris, plus précisément de la Seine et de la colline de Chaillot lors de l’Exposition de 1937, vues du 2ème étage de la tour Eiffel. La perspective est juste, les couleurs sont belles mais surtout la foule est particulièrement bien représentée. En s’approchant, on voit qu’en fait, chaque petit personnage est minutieusement peint, ce qui a dû demander un travail considérable.

Petit Palais exposition Devambez

« L’exposition de 1937 vue du deuxième étage de la tour Eiffel » – A.Devambez – Huile 1937.

Petit Palais exposition Devambez

Détail de la foule du tableau ci-dessus.

J’ai découvert récemment qu’en partenariat avec le musée de Rennes, le Petit Palais à Paris consacrait justement une exposition à l’auteur de cette oeuvre, le peintre André Devambez. Je l’ai visitée à deux reprises et je vous la conseille vivement. Mais dépêchez-vous : elle se termine le 5 février.

Petit Palais exposition Devambez

« Les grands hommes réunis dans la maison Devambez » – Lithographie et gouache 1905.

On reconnaît François Ier, Victor Hugo, Louis XIV (en bas à gauche) donnant sa carte à Napoléon Ier, Edmond Rostand, Sarah Bernhardt, etc. A droite, Le père d’André Devambez accueille une reine.

André Devambez est né à Paris en 1867. Son père Edouard, graveur et éditeur de livres d’art, s’installera en 1870 passage des Panoramas (2ème arr.). Elevé dans un climat artistique, André s’inscrit en 1884 à l’Académie Julian dans l’atelier de deux grands maîtres, Benjamin-Constant et Jules Lefèbvre. L’année suivante, il entre à l’Ecole nationale des beaux-arts. En 1889, il expose pour la première fois au Salon des Artistes Français. En 1890, à sa troisième tentative, il obtient le prix de Rome avec Le reniement de Saint Pierre, que l’on peut voir au Petit Palais. Il s’installe à la villa Médicis fin 1891 pour un long séjour puisqu’il se terminera officiellement début 1896, mais il sera interrompu par le service militaire de l’artiste.

Petit Palais exposition Devambez

« Paris sous la Commune ; l’appel » – Huile 1906.

En 1900, se tient l’Exposition universelle de Paris. La maison Devambez y obtient une médaille d’or et André est choisi pour illustrer la transformation et l’utilisation du papier. Cette même année, il épouse Cécile Richard, fille d’un chimiste alsacien. Il ne cessera plus d’exposer : au cercle artistique Volney, à la fameuse galerie Georges Petit (qui lui consacrera une exposition personnelle en 1913), aux Artistes Français, au Salon des Humoristes, dans différentes galeries à Nantes, Mulhouse, Strasbourg, Québec, etc.

Petit Palais exposition Devambez

« Le souvenir », panneau central du triptyque « La pensée aux absent » – Huile 1926-1936

Il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1905 (il sera fait Officier en 1930 puis Commandeur en 1938). En 1910, il reçoit commande de grands panneaux pour la nouvelle ambassade de France à Vienne. Pour cela, il se rendra à plusieurs reprises dans la capitale autrichienne mais, suite à la décision de l’ambassadeur de France, en 1912, de ne pas les installer, il faudra attendre 1990 pour que ces grandes peintures sur le thème des avions, métro, omnibus et aéroplanes soient placées dans ce qui s’appelle aujourd’hui le salon Devambez.

Petit Palais exposition Devambez

« Les projets pour l’année prochaine » – Lithographie en couleurs.

Petit Palais exposition Devambez

« Les incompris » (détail) – Huile 1904.

« Affalés sur une banquette de brasserie, un quarteron de bohêmes, peintres sans clientèle, acteurs sans théâtre, publicistes sans journal, dame féministe mûrie et tournée à l’aigre, boivent, théorisent et vaticinent » (Louis Vauxcelles, critique d’art)

1914 : c’est la guerre ! André Devambez a 47 ans et est trop âgé pour être mobilisé mais il n’est pas question pour lui de rester « à l’arrière ». Il participe aux premières missions de peintres organisées par le musée de l’Armée et se rend en Belgique et dans le Nord Pas-de-Calais. En 1915, il s’engage volontairement dans la section Camouflage du 13ème régiment d’infanterie et part pour la Somme mais le 3 juin, des éclats d’obus le blessent grièvement aux jambes et près de l’œil gauche. Il subit une longue convalescence mais il souffrira toute sa vie des suites de ces blessures, ce qui ne l’a pas empêché de repartir sur le front près de Verdun dès 1917.

Petit Palais exposition Devambez

« Souilly » – Huile, 1917. A l’arrière-plan, un camion peint par les peintres camoufleurs.

Petit Palais exposition Devambez

« L’attaque » – Plume, encre et gouache 1915.

La paix revenue, Devambez voyage en Espagne, Angleterre, Italie et continue à peindre et exposer. Après plusieurs tentatives, il est élu à l’Académie des beaux-arts en 1929 et nommé chef d’atelier de peinture aux Beaux-arts de Paris. Il ouvre cet atelier aux artistes femmes. Il sera professeur honoraire aux Beaux-arts en 1937, membre de l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Lyon en 1940. Il s’éteint chez lui en 1944. Un an plus tard, l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts lui consacre une rétrospective. Même si les épreuves ne l’ont pas épargné, particulièrement pendant la guerre, il connut donc une vie heureuse couronnée de succès et d’honneurs.

Petit Palais exposition Devambez

« Mon petit-fils » – Huile.

Petit Palais exposition Devambez

« Les Rois mages » – Gouache 1904. Une vision originale de l’adoration des mages !

Ce qui frappe chez André Devambez, c’est la grande diversité de ses talents. Il fut à la fois peintre classique, intimiste, religieux, portraitiste, caricaturiste, illustrateur notamment de publicités et d’albums pour enfants, affichiste, visionnaire et satiriste. Les oeuvres présentées au Petit Palais reflètent bien toute cette palette.

Petit Palais exposition Devambez

« Quai de métro, heure de pointe » – Lithographie sur vélin rehaussée à l’encre noire, vers 1910 (déjà !).

Mais si le titre de l’exposition est « Vertiges de l’imagination« , c’est parce que Devambez a peint de très nombreuses vues aériennes, imaginaires ou réelles. Fasciné par les progrès techniques des moyens de transport, il a représenté des avions et imaginé des omnibus volants. On comprend qu’il ait été nommé Peintre du ministère de l’air en 1934. Ce point de vue « d’en-haut » l’a conduit à illustrer Les voyages de Gulliver, de Jonathan Swift.

Petit Palais exposition Devambez

« La charge » – Huile vers 1902

Petit Palais exposition Devambez

« Gulliver en tournée » – Huile 1909.

Petit Palais exposition Devambez

« Port-aviation » – Huile 1910.

Petit Palais exposition Devambez

« Le dirigeablobus au-dessus de la place de l’Opéra » – Lithographie en couleurs 1910.

Enfin, pour terminer, signalons ses charmantes minuscules huiles (de 5 cm à 20 cm de long) réalisées pour les expositions « Tout-Petits » à la bien-nommée galerie Georges Petit, auxquelles Devambez participa pour la première fois en 1917.

Petit Palais exposition Devambez

« L’hôtel de la maison rouge à Clisson » – Huile 1939 (16 cm x 22 cm)

Petit Palais exposition Devambez

« Auguste a mauvais caractère » (extrait) – Album pour enfant (ici, le repentir) – 1914

Petit Palais exposition Devambez

« Ulysse et Calypso » – Huile 1936.

André Devambez (1867-1944) – Vertiges de l’imagination

Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris

Avenue Winston Churchill – Paris 8ème

Du 9 septembre 2022 au 5 février 2023 – Tous les jours du mardi au dimanche de 10h à 18h (19h vendredi et samedi)

Et pour vous reposer après l’exposition ou pour oublier les trois affreuses sculptures « contemporaines », criardes et insensées, placées devant l’entrée du Petit Palais sans doute dans l’espoir – vain – d’y trouver un peu de légitimité…, asseyez-vous un instant dans le joli jardin exotique au cœur du musée.

Petit Palais exposition Devambez

Superbe exposition « Ilya Répine (1844-1930) – Peindre l’âme russe » au Petit Palais à Paris

Du 5 octobre 2021 au 23 janvier 2022, le Petit Palais à Paris présente une magnifique exposition des oeuvres du peintre russe Ilya Répine (1844-1930). Un évènement à ne pas manquer, d’autant plus que l’affluence est faible et qu’il est très facile de réserver même deux ou trois jours seulement à l’avance.

Le Petit Palais : l’un des plus beaux musées de Paris. L’accès aux très belles collections permanentes est gratuit.

Le titre « Peindre l’âme russe » est bien trouvé car il y a là toutes les facettes de cette âme : le romantisme, l’extrême sensibilité, la force et même la violence, les foules, les tsars, les processions religieuses et les popes, la misère, les soldats, Tolstoï et Moussorgski, la Volga, la police secrète et les arrestations, les duels, les beautés de la nature, etc.

L’exposition Répine dure jusqu’au 23 janvier 2022.

Voici quelques photos prises lors de ma visite un samedi matin. Une exposition à ne pas manquer ! Le catalogue est un beau livre de 250 pages richement illustré et fort intéressant, au prix de 42 €.

« Les haleurs de la Volga » – Grande huile de près de 3 m de long peinte entre 1870 et 1873.

Ce tableau sera l’objet de vives controverses. Dostoïevski louera le peintre pour avoir montré « Les haleurs, de véritables haleurs et rien d’autre. Aucun d’eux ne lance au spectateur « Regarde combien je suis malheureux et à quel point tu es redevable envers le peuple ! » Et cela, au moins, est à porter au plus grand mérite de l’artiste » tandis que le recteur de l’Académie est scandalisé et que le ministre des chemins de fer reproche à Répine d’avoir fait une peinture antipatriotique en donnant aux moujiks l’apparence de « gorilles« .

« Les haleurs de la Volga » – Détail

L’Archidiacre (1877).

Répine a fait le portrait d’Ivan Oulanov, archidiacre (clerc aidant le prêtre orthodoxe durant l’office) de son village de Tchougouïev, connu dans toute la région pour sa force physique et sa puissante voix de basse. Selon Répine, « il représente la quintessence de nos diacres, ces loups du clergé qui n’ont pas une once de spiritualité en eux […], unique écho du prêtre païen, et ce bien avant les Slaves. C’est un bon vivant, un artiste dans sa fonction, rien de plus ! ». 

Procession religieuse dans la province de Koursk (1881-1883) – Immense huile de près de 3 m de long.

Juif en prière (1875)

« Ils ne l’attendaient plus » (1884-1888)

Ce très émouvant tableau montre le retour inattendu d’un homme dans sa famille après de longues années de déportation. Observons sur le visage des différents personnages la stupeur, l’incrédulité, une certaine réserve, la joie des enfants. Le visiteur est inquiet de la façon dont il sera reçu et de ce qu’il va retrouver. Au mur, l’image du Tsar Alexandre II – le « Tsar libérateur » qui abolit le servage sur son lit de mort – rappelle que tous les révolutionnaires ne souhaitaient pas que le Tsar soit renversé et encore moins tué.

 « Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie » (1880)

Cette scène de plus de 3,5 mètres de long est l’une des plus saisissantes de l’exposition. Elle relate un épisode – dont la réalité n’est pas certaine – de la vie des Cosaques, peuple fier et indépendant,  qui envoient une réponse insultante au sultan de Turquie alors qu’il leur demandait leur ralliement. Répine aimait particulièrement ce tableau, qui connut un immense succès et pour lequel il s’était beaucoup documenté. Le Tsar Alexandre III l’acquit en 1891. Il fut souvent reproduit et copié. Il faut prendre le temps d’observer les figures rubicondes, les bouches édentées, les bedaines de ces Cosaques qui ne peuvent qu’être craints. On les imagine sans peine, pillant, violant, tuant puis buvant et faisant la fête, sans souci des blessures et de la mort, leur vie consacrée à la guerre, aux chevaux, à leur « tribu » de Barbares courageux et paillards.

« Vassili Répine » (1867), le jeune frère de l’artiste.

« Léon Tolstoï labourant » (1887)

« Ilya Répine – Peindre l’âme russe » – Musée du Petit Palais à Paris – Ouvert tous les jours sauf le lundi.

Réservation : https://www.petitpalais.paris.fr/expositions/ilya-repine-1844-1930

45ème édition du Salon National des Artistes Animaliers

Après une édition 2020 bien particulière puisque la situation sanitaire ne permit pas au salon de se tenir réellement mais uniquement sur le site internet, c’est avec une grande joie que nous avons retrouvé ces derniers jours une véritable édition du « SNAA ». Le soir du vernissage, une foule nombreuse, visiblement heureuse de ce retour, se pressait dans le superbe Hôtel de Malestroit tout récemment restauré.

Le prix Edouard Marcel Sandoz couronne cette année la sculptrice Olivia Trégaut et le prix Roger B.Baron de la ville de Bry-sur-Marne le peintre et dessinateur Olivier Claudon, dont le talent est très loin de se limiter aux belles vaches vosgiennes qu’il a tant représentées.

Olivia Tregaut et Olivier Claudon

Pour mémoire, parmi des centaines d’oeuvres soumises à un jury indépendant (un juré ne peut exposer) et régulièrement renouvelé, sont sélectionnées les plus belles peintures, gravures, sculptures, photos. Le nom de leur auteur ayant été préalablement masqué, c’est bien l’oeuvre et non l’artiste qui prime. Ainsi, nous avons régulièrement la surprise de voir émerger de nouveaux venus sur la scène artistique animalière.

La 1ère salle, réservée aux oeuvres des deux lauréats.

Toute la très lourde organisation du SNAA reposant sur des bénévoles peu avares de leur temps et de leurs efforts, il n’y a pas de frein financier pour les candidats : une maigre cotisation annuelle et, si l’on est sélectionné, un droit d’accrochage des plus réduits. Ajoutons que l’entrée est gratuite pour les visiteurs, qui sont des milliers chaque année à ne pas manquer le plus grand rendez-vous français de l’art animalier. Toutes les oeuvres exposées au salon sont en vente.

Le salon se tient du 13 novembre au 12 décembre 2021. Il est ouvert du mardi au dimanche inclus. Des conférences très intéressantes sont organisées chaque dimanche à 15h. Après Pierre Abattu, directeur de la fonderie Barthélémy Art (partenaire du Salon) le week-end dernier, ce sera au tour de Catherine Aubecq, peintre médaille d’or 2020, d’expliquer la technique très particulière du Nihon-Ga, peinture traditionnelle japonaise, puis le 28 novembre Olivia Tregaut organisera un atelier de modelage ouvert à tous de 6 à 99 ans (voire plus !). Enfin, le 5 décembre, présentation du Refuge de l’Arche, spécialisé dans l’accueil d’animaux blessés ou abandonnés.

Un charmant écureuil observant une noisette, par Olivier Claudon.

« Requin baleine » (raku nu engobe de porcelaine) – Laurent Yvelin

Pour se rendre au SNAA, rien de plus facile : Bry-sur-Marne est à quatre petites stations de RER de Nation (dir. Marne-la-Vallée). On peut se rendre à l’hôtel de Malestroit à pied en 15 mn ou en bus (direct).

« Duel pour une belle » (huile sur toile) – Hocine Ziani

SNAA de Bry-sur-Marne – Hôtel de Malestroit – 2 grande rue Charles de Gaulle – 94360 Bry-sur-Marne

Mardi au vendredi : 10h-12h et 14h-18h – Samedi et dimanche : 10h-18h30 – Site : https://www.artistes-animaliers.com/

« Rhinocéros noir femelle au trot » (bronze) – D.Colcombet

« Alors on peut sortir ? » (huile sur panneau) – Anne Dussaux

LES BEAUX MUSEES DE PARIS : LE MUSEE DES ARTS DECORATIFS

Après les visites des musées Cognacq-Jay, Carnavalet, Gustave Moreau, de la vie romantique, du Petit Palais, voici celle du très beau Musée des Arts Décoratifs (MAD), situé 107 rue de Rivoli à Paris, à deux pas du Palais-Royal.

Il est difficile de cerner la notion d’Arts décoratifs tant elle est vaste : mobilier, peinture et sculpture, arts de la table, papier peint et tapisserie, orfèvrerie, etc. Dans ses collections permanentes, le MAD possède 150 000 objets dont 6 000 environ sont présentés au public à travers 5 départements chronologiques : Moyen-Age et Renaissance, XVIIème et XVIIIème siècles, XIXème siècle, Art Nouveau – Art Déco, Moderne et Contemporain (ce dernier département est actuellement fermé).

Une partie du vaste bâtiment présente des expositions temporaires, actuellement les créations du couturier Thierry Mugler. Ces évènements attirent beaucoup de monde mais les collections permanentes sont très calmes, presque désertes, ce qui est fort agréable.

Chambre de la duchesse de Berry, belle-fille du roi Charles X. Les bois clairs, mouchetés, les lignes courbes tranchent avec la rigueur et les teintes acajou foncé du mobilier Empire.

La « mise en scène » est belle, aérée, pédagogique ; les objets sont de grande qualité et bien sûr en très bon état. On a le sentiment de visiter les différentes pièces d’une belle demeure et on ne peut que s’émerveiller devant le savoir-faire, le talent des peintres, ébénistes, souffleurs de verre, sculpteurs.

Le MAD présentent plusieurs pièces meublées en style Art déco, absolument magnifiques : vitraux colorés, tableaux de Maurice Denis, lustres accompagnent les courbes harmonieuses de Majorelle et autres grands ébénistes.

Le MAD possède plusieurs bronzes animaliers de Barye, dont certains rares, ainsi que des figures historiques telles que le prince de Joinville en amiral par Mennessier, Louis-Philippe Ier roi des Français par Gechter, le duc d’Aumale en lieutenant-général par Mennessier.

Le gigantesque « Surtout des cent-couverts » a été commandé en 1852 pour les prestigieuses réceptions aux Tuileries par celui qui deviendra bientôt Napoléon III. Destiné à une table de 30 mètres de long, il est constitué de 15 pièces monumentales en bronze et galvano-plastie (le futur Empereur avait observé que par le passé, les grands surtouts en métaux précieux avaient tous finis par être fondus pour financer les guerres). En 1871, lors du déplorable incendie volontaire du Palais des Tuileries par les Communards, qui l’inondèrent consciencieusement de produits inflammables avant de mettre le feu au bâtiment qui abritait des trésors artistiques, le surtout brûla mais fut en partie sauvé par Henri Bouilhet, vice-président de la manufacture Christofle.

L’atelier de Houdon, par Louis-Léopold Boilly (1761-1845). Le sculpteur modèle le buste du mathématicien Laplace.

Une charmante petite sculpture représentant une jeune fille jouant avec son chien.

Astucieuse présentation de tous les styles de fauteuils anciens.

Armand Le Véel (1821-1905), sculpteur normand

J’ai découvert cet été en visitant la pointe du Cotentin un sculpteur du XIXème siècle que les Cherbourgeois connaissent bien : Armand Le Véel (1821-1905).

Né à Bricquebec dans une famille de commerçants en faïences, il est l’aîné de 13 enfants. Dans ses mémoires, l’artiste raconte que, lorsque son père lui demandait de tenir l’étalage sur les marchés, il dessinait les scènes de bataille de l’Empire imprimées sur la vaisselle.

Valognes Normandie Cotentin

Valognes en Normandie, où Le Véel fut collégien

Collégien brillant et indiscipliné à Valognes puis Cherbourg, il doit travailler et à 16 ans et devient commis épicier. Ses frasques et ses dessins intempestifs lui font perdre son poste… A 19 ans, il s’installe à Paris et vit de petits métiers plus ou moins liés à l’art. Vendeur de statuettes pour la fonderie Susse, il rencontre les grands artistes de l’époque dont Jean-Jacques Feuchère (1807-1852), qui fait naître sa vocation de sculpteur. En 1855, il épousera Eugénie Feuchère, sa fille.

Feuchere Cavalier arabe Pont d'Iéna

Cavalier arabe – JJ Feuchère (Pont d’Inéa à Paris)

La voie normale à l’époque est d’entrer dans un atelier pour se former. Les élèves recherchent un maître talentueux et connu qui les guidera, généralement avec beaucoup d’exigence, et les soutiendra lors des divers concours. Le Véel a la chance de rentrer dans l’atelier de Rude, où il a pour camarades Carpeaux et Frémiet. La formation reçue et le talent de Le Véel devaient être réels car au bout de six mois, il reçoit déjà une commande, dont il peut choisir le sujet. Ce sera un personnage de l’histoire : Le Ligueur, suivi de Le Huguenot.

Le Véel musée de Cherbourg

L’histoire de France et les scènes patriotiques deviendront sa spécialité, d’autant plus qu’il participe aux évènements de ce XIXème siècle très agité. Ainsi, en 1848, il sera l’un des premiers à pénétrer dans Les Tuileries abandonnées par le roi Louis-Philippe, parti précipitamment en exil après avoir refusé que Bugeaud fasse tirer sur les émeutiers.

Le Véel musée de Cherbourg

En 1850, Le Véel participe au Salon pour la première fois en y exposant le buste de l’Amiral de Tourville. Il y reviendra en 1852 avec trois bustes dont celui de Blanqui et encore bien d’autres fois.

Musée de Cherbourg Le Véel

La ville de Cherbourg lance cette année-là un concours pour la réalisation d’une statue équestre de Napoléon Ier. Le Véel remporte ce concours mais finalement le projet est abandonné. Il est relancé en 1855 et le sculpteur l’emporte à nouveau et cette fois les choses iront jusqu’au bout. En 1857, Napoléon III passe un long moment à l’atelier pour voir l’avancement de la sculpture de son oncle. Par conviction politique, Le Véel s’absente durant la visite et évite de rencontrer l’Empereur. Le 25 juillet 1858, l’œuvre est installée à Cherbourg, juste à temps pour une rencontre « au sommet », à l’occasion de l’inauguration du grand bassin de Cherbourg, entre Napoléon III et la reine Victoria dont le yacht jette l’ancre dans le port le 5 août. Quant à l’inauguration de la statue, pour d’évidentes raisons diplomatiques, elle attendra le 8 août, la reine étant repartie deux jours plus tôt.

Cherbourg Napoléon Le Véel

Par la suite, Le Véel connaîtra le succès, à l’occasion de ses participations au Salon ou par des commandes publiques. Le Général Marceau, présenté en 1863, lui vaut la Légion d’honneur, qu’il avoue lui-même avoir « si ardemment convoitée », et pour elle s’être donné tant de mal et avoir dépensé tant d’efforts. Il reçoit la commande d’anges pour l’église Saint-Laurent à Paris, son Charlemagne est acheté par La Maison de l’Empereur et des Beaux-Arts, l’Etat lui commande Tancrède de Hauteville pour la cathédrale de Coutances, Saint Eustache pour l’église de Paris, etc.

Le Véel musée de Cherbourg

De même que Barye et David d’Angers étaient ennemis, Le Véel et Frémiet auront de mauvaises relations. Le second est un protégé du Comte de Niewerkerke, surintendant des Beaux-Arts, proche de l’Empereur et lui-même artiste. Cette concurrence se manifeste notamment en 1866 lorsque la ville de Grenoble commande une réplique de la statue de Napoléon III. Nieuwerkerke exige qu’un concours soit organisé et c’est Frémiet qui l’emporte. En 1874, pour le concours en vue de l’installation d’une Jeanne d’Arc place des Pyramides à Paris, Le Véel propose une œuvre mais, comme on le sait, c’est encore Emmanuel Frémiet qui est choisi.

Le Véel musée de Cherbourg

Un autre aspect de la vie de Le Véel est intéressant : dès sa jeunesse, il a le goût des faïences et les collectionne : « J’avais hérité de mon père un goût très prononcé pour la chasse (…) ; je l’utilisai au pourchas des faïences dont la recherche m’en procura toutes les péripéties et les émotions » écrit-il joliment. Et de fait, il constitua peu à peu une très belle collection qu’il céda en 1864 au musée de Cluny. Sa passion pour l’art et les antiquités l’accompagna tout au long de sa vie. En 1870, il fut nommé à la commission de préservation des musées, dont Courbet était président. S’opposant fortement à ce dernier, qui voulait la mettre à bas, le sculpteur parvient à sauver la colonne Vendôme. En 1885, il prit le poste honorifique de conservateur du musée de peintures et sculptures de Cherbourg et proposa la construction d’un nouveau musée.

Le Véel musée de Cherbourg

Il existait un lien très fort entre Armand Le Véel et le Cotentin. Soutenu dès sa jeunesse par le Conseil général de la Manche et à titre personnel par l’un des conseillers, l’artiste se montra en retour très généreux en faisant de nombreux dons de ses œuvres à la ville de Cherbourg et en lui léguant sa collection d’art décoratif.

Aujourd’hui, le musée d’art Thomas-Henry de Cherbourg présente de nombreuses sculptures de Le Véel. Ce musée porte le nom d’un autre généreux mécène qui dès 1831 offrit à la ville une magnifique collection de plus de 160 œuvres d’art du XVème au début du XIXème siècle, dont voici quelques photos.

Musée de Cherbourg Brueghel l'ancien Allégorie de la terre

Allégorie de la terre – Jan Brueghel l’ancien et Hendrick Van Balen

Les défenseurs de Saragosse – Maurice Orange

Les œuvres de cet artiste exceptionnel qu’était Le Méel sont très finement modelées, le bronze est impeccablement ciselé, les détails des vêtements, des uniformes et des armes sont remarquables. Le Véel, comme d’autres artistes de l’époque, attachait beaucoup d’importance à l’exactitude historique de ces détails. Qui saurait de nos jours réaliser de telles figures historiques ?

Musée de Cherbourg Pannini vue du Ciolisée et de l'arc de Constantin

G. P. Pannini – Vue du Colisée et de l’arc de Constantin

Musée de Cherbourg Léon-Gustave Ravanne Entrée de la flotte russe à Cherbourg en 1896

L’entrée de l’escadre russe dans le port de Cherbourg le 5 octobre 1896 – L.-G. Ravanne

On ne peut s’empêcher de comparer les sculptures de Le Véel avec celles de son « ennemi », Frémiet. Et je dois avouer que ma préférence va finalement à ces dernières, qui possèdent une force, une fougue, un élan épique peut-être plus forts que celles du Normand, tout en respectant une exactitude morphologique qui manque parfois chez Le Véel, particulièrement dans ses chevaux, aux attitudes parfois trop romantiques, comme certains chevaux de Delacroix et Géricaud.

Musée de Cherbourg Aigle saisissant un lièvre

Aigle saisissant un lièvre – J.-B. Oudry

Musée de Cherbourg Camille Claudel Tête de Brigand

Tête de brigand – Camille Claudel

Musée de Cherbourg Le Duc Saint Hubert

Saint Hubert – A. Le Duc

Je vous recommande la visite du joli musée des beaux-arts de Cherbourg, dont vous apprécierez aussi la Cité de la mer, où l’on peut découvrir le sous-marin Le Redoutable et revivre un peu l’épopée des grands paquebots dont l’un des plus fameux, le Titanic.

Cherbourg Le Redoutable sous-marin

Cherbourg

Quant à savoir s’il fait beau là-haut, tout à fait au nord de la pointe du Cotentin, que beaucoup imaginent constamment dans la brume ou sous la pluie, voici la réponse en photo :

Normandie Cotentin

Normandie Cotentin