Voici un livre très étonnant qui m’a été offert par une collectionneuse et que je vous conseille : « L’éléphant de Napoléon« .

On connait la girafe de Charles X, qui a débarqué à Marseille au XIXème siècle et est remontée à Paris accompagnée de Geoffroy Saint Hilaire, le Conservateur du Muséum, mais l’éléphant dont il est question ici est différent. Il s’agit du projet d’un grand monument qui aurait dû être installé place de la Bastille.

Après avoir envisagé d’y construire un arc-de-triomphe, Napoléon et Vivant Denon, doyen des savants de l’expédition d’Egypte, Directeur du Muséum central des arts et administrateur des arts depuis 1802, décident en 1808 qu’un pachyderme aurait toute sa place sur le lieu de l’ancienne forteresse. Le 2 décembre 1808, la première pierre est posée.

Eléphants de Pairi Daiza (Belgique) arrosant le public

Le 9 février 1810, un décret consacre le projet et prévoit ceci : « Il sera élevé, sur la place de la Bastille, une fontaine sous la forme d’un éléphant en bronze, fondu avec les canons pris sur les Espagnols insurgés ; cet éléphant sera chargé d’une tour et sera tel que s’en servaient les Anciens ; l’eau jaillira de sa trompe. Les mesures seront prises de manière que cet éléphant soit terminé et découvert au plus tard le 2 décembre 1811« .

Vivant Denon prévoit qu’il faudra 177 tonnes de bronze. Car c’est un colosse qui est prévu : 15 mètres de haut et 16 mètres de long, l’ensemble culminant à près de 24 mètres.

Hélas, la conscription a emporté loin de Paris les ouvriers dans la force de l’âge et l’on manque de bras. Le chantier prend du retard et, en 1813, bien que les travaux de terrassement et de maçonnerie soient presque terminés, Napoléon s’impatiente. Tous les ouvriers disponibles doivent être embauchés, surtout les plus âgés, décide-t-il.

Plusieurs projets ont été envisagés : un éléphant nu et seul, un éléphant couvert de draperies et tentures surmonté d’un guerrier grec brandissant une lance, un éléphant portant un immense trône ou encore un siège dont se lève un dignitaire égyptien présentant en offrande un sabre, un éléphant de guerre avec une vaste tour sur le dos, etc.

Eléphant monté par un indien – AL Barye (Musée du Louvre)

Dans tous ces projets, il est prévu une fontaine et des jeux d’eau. Jaillissant parfois de sa trompe vers le ciel, l’eau est également présente sous forme d’une cascade entourant tout le socle. L’alimentation viendra du canal Saint-Martin.

En 1810, voulant se faire une idée précise des proportions du géant, Vivant Denon commande aux sculpteurs Moutoni puis Bridan un modèle grandeur nature en bois et fer, recouvert de plâtre. Il est installé sous un vaste hangar au sud-est de la place de la Bastille. Un gardien, le dénommé Levasseur, lui est affecté. Il loge dans une des pattes de l’éléphant.

Mais en 1815, la Restauration stoppe le chantier. S’en suivent idées d’abandon et tentatives de terminer le projet. L’éléphant en plâtre reste là et se dégrade peu à peu. On raconte qu’il héberge des milliers de rats, qu’il sert de refuge aux voleurs. Dans son roman, Victor Hugo en fait le refuge du jeune Gavroche.

Finalement, à la place du pachyderme, on érigera la colonne de Juillet en mémoire des victimes des trois journées de 1831. Et ce n’est qu’en 1846 que le modèle en plâtre, en piteux état, est démoli. Effectivement, des cohortes de rats s’en échappent, terrorisant pour longtemps le quartier.

Lorsqu’on lit ces incroyable histoire, on se demande pourquoi elle n’est pas plus connue. Pour ma part, jamais je n’avais entendu parler de ce projet gigantesque et j’ignorais que la taille excessive du socle de la colonne de Juillet, les têtes de lions sur son pourtour, la voûte circulaire en sous-sol, le passage du canal Saint-Martin dataient du chantier de l’éléphant.

L’intérêt de ce beau livre, passionnant, est multiple : raconter cette incroyable histoire, bien sûr, mais aussi l’illustrer très abondamment avec de nombreuses reproductions de gravures et dessins, élargir la réflexion à la vision de l’orient à cette époque, aux réalisations artistiques et architecturales sur le thème de l’éléphant, etc.

La dernière partie de l’ouvrage est spectaculaire et m’a fait croire que cet éléphant existait bien ! Les auteurs ont en effet reconstitué virtuellement le monument et font défiler à ses pieds majestueux les Parisiens de 1930, 1936, 1968, 2013, etc.

Je vous conseille donc vivement cet ouvrage aussi agréable à lire qu’étonnant et instructif.

L’éléphant de Napoléon

Matthieu Beauhaire – Mathilde Béjanin – Hubert Naudeix – Préface de Georges Poisson

Editions Honoré Clair – 96 pages – ISBN : 978-2-918371-17-5 – Octobre 2014 – 32 €