Nous allons parler cette fois d’un très bon sculpteur sur qui je n’avais pas encore fait de note : Auguste Cain. Monsieur K. m’a en effet envoyé quelques photos d’un grand bronze de ce sculpteur : on y voit un fauve tenant dans sa gueule un jeune sanglier ; trois lionceaux lui font bon accueil.

Auguste Cain est né Paris en 1821 et y est mort en 1894. Un article d’un journal de 1879 l’appelait “le statuaire des lions et des tigres”. Cain a eu un parcours étonnant puisqu’il fut d’abord apprenti boucher avant de commencer la sculpture sur bois chez Alexandre Guionnet puis chez le grand Rude, le sculpteur de La Marseillaise de l’Arc-de-Triomphe de l’Etoile à Paris.
Il épousa Julie Mêne, la fille de Pierre-Jules Mêne et il fut là à bonne école. On apprend d’ailleurs en lisant la vie de Mêne que les parents Mêne et les enfants Cain partageaient la même grande maison. Après la mort de Mêne, c’est d’ailleurs Julie Cain puis les enfants Cain qui superviseront – très bien – l’édition des bronzes de PJ Mêne.
Cain a, dans une première partie de sa vie, surtout modelé de petits modèles qui seront fondus en bronze, notamment chez Susse (après sa mort). Puis, à partir de 1868, il est accaparé par des grandes commandes de l’Etat, objectif que souhaite atteindre tout sculpteur. A l’entrée des Tuileries, de chaque côté du grand escalier, on peut admirer deux très grands groupes : Lion et lionne se disputant un sanglier, et Tigres attaquant un rhinocéros. Dans le jardin des Tuileries, on trouve encore plusieurs œuvres de Cain, ainsi qu’à Chantilly. Certains de ces modèles ont été édités en petite taille, et bien souvent en plusieurs tailles différentes. C’est le cas par exemple du lion ayant tué une autruche.

 Rhinocéros attaqué par deux tigres

Lion et lionne se disputant un sanglier

Auguste Cain a participé au Salon des Artistes Français de 1846 à sa mort. Selon le Dictionnaire des bronzes du XIXème (P.Kjelleberg), de son vivant, Cain a fait fondre ses bronzes dans la fonderie de son beau-père Pierre-Jules Mêne. Mais selon MM.Poletti et Richarme (Catalogue raisonné des bronzes de PJ Mêne), Mêne n’a jamais eu de fonderie ! J’avoue avoir plutôt tendance à croire MM.Poletti et Richarme car aucun bronze de Mêne ne porte une quelconque marque de sa propre fonderie. Cain et Mêne faisaient donc certainement fondre leurs bronzes chez divers sous-traitants dont ils surveillaient très étroitement le travail. Après la mort de Cain, ses bronzes seront principalement édités par Susse (comme celui de notre internaute) et parfois Barbedienne. Les grands bronzes seront fondus par Thiébaut, Gonon, Barbedienne et d’autres grands fondeurs.

 Lion ayant tué une autruche (petit modèle)
Dans le catalogue ancien des bronzes de Cain, Susse propose deux versions pour notre bronze : l’une au prix de 1300 francs avec un seul lionceau, l’autre au prix de 1600 francs avec trois lionceaux. Les deux ont pour longueur 62 cm de haut mais la version 1 lionceau mesure 76 cm de long contre 87 cm pour la version 3 lionceaux. Il est précisé qu’il s’agit d’une “Lionne rapportant un marcassin” et non un sanglier.

Coq sur un panier (petit modèle) – A.Cain

Le thème du fauve rapportant du gibier à ses petits a été exploré de deux façons par Cain : d’une part la lionne rapportant un marcassin, d’autre part le tigre rapportant un paon (et qui existe également en deux tailles). On ne peut s’empêcher de rapprocher ces bronzes de celui de Delabrierre (1829-1912) : “lion rapportant un lièvre à ses lionceaux” ou “Premier gibier”, mais le modèle de Cain est beaucoup plus beau, même si, comme dans celui de son confrère, le fauve est un peu trop triomphant et fier de lui. Dans le bronze de Cain, la lionne aurait eu la tête baissée vers ses petits, la scène aurait été beaucoup plus naturelle. Le marcassin est admirable : on croit le voir encore vivant se secouer et agiter ses pattes dans l’espoir vain de desserrer l’étau de la mâchoire du félin.
Il faudrait voir ce bronze en vrai mais le modèle qui nous est présenté semble être une bonne fonte : la signature du fondeur (la fonderie Susse existe d’ailleurs toujours), la ciselure, la patine le montrent. C’est probablement une fonte ancienne, postérieure à 1894 mais qui pourrait être du début XXème.

Coq (petit modèle) – A.Cain

Quelle valeur donner à ce grand bronze ?
Il a pour avantage d’être grand, en bon état, d’être d’un très bon sculpteur et de porter l’estampille de Susse, même si cela signifie donc fonte posthume. Toutefois, c’est un modèle un peu “pompier”, avec la lionne – dont la tête est d’ailleurs un peu celle d’un tigre, avec ses favoris – si fière d’elle, et certains amateurs peuvent la juger, à tort selon moi, un peu trop cruelle. Enfin, c’est un sujet qui a été assez abondamment édité et que l’on trouve donc régulièrement en salle des ventes. Tout ceci fait que, comme pour la tigresse apportant un paon à ses petits, il n’a pas une valeur toujours aussi élevée qu’on pourrait s’y attendre pour un modèle de cette taille.

Voici quelques résultats relevés en salle des ventes :
– Issy les Moulineaux en nov. 2014 : estimé 1500 à 2000 € (ce qui est quand même très faible !), il a été adjugé à 3500 €
– Doullens en déc 2013 : il était estimé 7500  à 9000 €, ce qui cette fois me semble beaucoup trop élevé, mais je n’ai pas le résultat des enchères
Il a été mis en vente à Reims trois fois fin 2004 puis courant 2005, mais je n’ai pas les résultats. Il a probablement été vendu la 3ème fois donc il ne l’a pas été la 2ème alors qu’il était estimé 3000 à 4000 €
– Lyons la Forêt en mars 2003 : il a été adjugé à 1700 € mais il s’agissait d’une version plus petite (45 cm)
– Paris en nov. 2002 : adjugé à 4000 €
J’arrête là l’énumération, mais on le trouve bien souvent en ventes à des dates plus anciennes, avec des résultats extrêmement variables, qui vont de 2000 € à 13 000 € (ce chiffre reste néanmoins un peu exceptionnel et se rapportait probablement à une excellente fonte du vivant de Cain).
Je pense qu’en fonte Susse, donc posthume, dans un contexte de baisse du prix des bronzes animaliers anciens (XIXème), notre bronze pourrait être estimé autour de 3500 voire 4000 €, ce qui resterait à confirmer en voyant le bronze « en vrai ».

Vous avez un bronze animalier et vous voulez connaître son histoire, sa valeur, en savoir plus sur l’artiste ? Envoyez-moi les dimensions exactes et des photos très nettes (10 Mo max. par mail) de l’ensemble du bronze, du dessous du socle, de la signature, le cas échéant de la marque du fondeur. Mais inutile de laisser une demande en commentaire de cette note : il faut envoyer vos éléments à damiencolcombet@free.fr