En avril 2024, je me suis à nouveau rendu en Namibie, pays que j’ai découvert il y a cinq ans. Voici quelques photos et impressions de voyage.

La Namibie est située dans l’hémisphère sud, au bord de l’Atlantique. Elle a pour voisins l’Afrique du Sud, dont elle est indépendante depuis 1990 seulement, le Botswana à l’Est (bien connu pour le fameux delta de l’Okavango), l’Angola au nord, avec qui les rapports ont été compliqués par le passé mais sont aujourd’hui apaisés. Il faut encore ajouter la Zambie, puisqu’au nord-est, la Namibie possède une curieuse et étroite bande de territoire qui s’avance loin vers l’est jusqu’à la Zambie et presque le Zimbabwe. Ce territoire est appelé « la bande de la Caprivi » et sa faune y est extrêmement riche grâce à la présence d’eau en abondance : on y trouve buffles, éléphants, hippopotames, rhinocéros, fauves, antilopes, etc.

Namibie 2024

L’un des symboles de Windhoek, la capitale namibienne : la petite église de Christuskirche construite en 1907.

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A Windhoek, l’étrange bâtiment abritant le Musée national. Les Namibiens l’appellent « La machine à café ». Au pied, une grande statue du premier président namibien Sam Nujoma brandissant la constitution rappelle fâcheusement les monuments communistes. Ce n’est pas un hasard : cette « oeuvre » a été conçue par une entreprise nord-coréenne, dont l’ONU se demande si l’intense activité en Afrique n’est pas un vecteur de financement du programme nucléaire nord-coréen.

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Sur la route, des panneaux signalent le danger que représentent phacochères, babouins, élands et autres antilopes.

D’une superficie proche de celle de la France, la Namibie est très peu peuplée (environ 3 millions d’habitants). C’est un pays sain (pas besoin de vaccin ni de traitement pour le visiter), sûr et agréable. J’ai séjourné dans le nord du pays, à peu près au dessus du M de Namibie sur la carte ci-dessus, dans une grande ferme de plusieurs dizaines de milliers d’hectares proche du Parc naturel d’Etosha. C’est un territoire ouvert, contrairement à de nombreuses réserves de Namibie et d’Afrique du sud, et la faune y est réellement sauvage.

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Dans cette ferme, seule une petite partie des terres est consacrée à l’agriculture (élevage de vaches, moutons, chèvres et porcs) et à la production de charbon, très contrôlée (il est interdit d’abattre de grandes essences). L’essentiel est occupé par le « bush », mélange de buissons souvent épineux, d’herbes hautes et de grands arbres.  Comme le montrent les photos ci-dessous, selon les zones, le paysage change et l’on passe d’une végétation difficilement franchissable à un espace naturellement harmonieux qui fait penser à un grand parc.

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Ci-dessus, les « mopanes » (Colophospermum mopane), arbustes omniprésents en Namibie, dont la faune sauvage se régale. Ils n’ont pas d’épines, possèdent des feuilles en forme de papillons qui évoquent les empreintes des élands du Cap et portent des petites baies comestibles (auxquelles je n’ai guère trouvé de goût). Froissées, les feuilles dégagent une agréable odeur de camphre ou de térébenthine.

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Les acacias présentent de redoutables épines de 5 cm de long qui déchirent vêtements et peau et entravent la progression. Moins cependant qu’un autre arbuste dont les nombreuses épines en crochet vous bloquent net et vous obligent à faire marche arrière pour tenter de décrocher chemise, pantalon, chapeau…

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Heureusement, la marche est parfois plus aisée dans certaines zones qui ressemblent à la savane (ci-dessus) ou même à un agréable parc européen (ci-dessous).

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Les personnes ne connaissant de l’Afrique que les documentaires animaliers s’imaginent trop souvent que la grande faune y est omniprésente, que les fauves ne pensent qu’à dévorer les humains qui mettent un pied dans la brousse et qu’on peut approcher les animaux à quelques mètres, comme on le voit dans les grands parcs du Kenya, de Tanzanie ou d’Afrique du sud. Quand on annonce qu’on va marcher dans la brousse, la question des serpents survient toujours.

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Grosse vipère heurtante dite « Puf ader ». Avec les mambas, elle fait partie des serpents très dangereux puisque son venin est mortel en quelques instants. En 10 jours de marche, je n’en ai vu qu’une seule, celle-ci, qui traversait la route en plein soleil. Les guides repèrent rapidement les serpents, qui ne sont pas tous agressifs heureusement, et ils en connaissent les dangers.

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Les points d’eau sont généralement un bon point de départ pour la recherche de traces récentes d’animaux, dont on remonte la piste grâce à l’habileté stupéfiante des guides.

En réalité, la grande faune vit dans des espaces bien précis et la plupart des Africains n’ont jamais vu d’éléphant, de girafe ou de léopard. Les lions que l’on voit s’approcher des voitures de safari, les guépards qui grimpent dessus pour mieux repérer leurs proies, les éléphants qui viennent boire au pied d’un lodge sont merveilleux (je garde un émouvant souvenir de mes safaris en Afrique de l’Est) mais peut-on dire qu’ils sont encore réellement sauvages ? Ces réserves naturelles, sorte d’immenses zoos, sont sillonnées par des voitures de touristes auxquelles les animaux se sont très bien habitués, sachant qu’elles ne représentent aucun danger, mais ce n’est pas là un comportement naturel. Pour observer une faune à l’instinct de conservation préservé, il faut aller ailleurs et accepter de voir moins d’animaux en une semaine qu’en une matinée au Kenya.

Le sol est constellé d’empreintes d’animaux : pintades en bas à droite et, au centre, les traces en forme de cœur caractéristiques des oryx gazelles ou gemsboks, splendides animaux athlétiques et l’un des emblèmes de la Namibie. 

Il faut toute l’habileté et le savoir-faire d’un guide professionnel pour discerner une trace récente et la suivre sur des kilomètres. Sur le sable comme ci-dessus, ou dans la boue, c’est relativement aisé, mais dans les herbes hautes et sur les cailloux, c’est une autre affaire. En suivant le guide, on se rend compte à quel point nous, citadins, avons perdu notre acuité visuelle et auditive. Les pisteurs repèrent à plusieurs kilomètres une oreille de grand koudou qui s’agite ou un petit céphalophe qui relève la tête. Ils travaillent énormément à l’oreille, s’arrêtant constamment pour écouter un petit craquement de branche, un pas sur le sol, un très léger grognement, inaudibles pour nous. La marche est lente, absolument silencieuse, ce qui nécessite une grande concentration, et l’on veille à être toujours à bon vent (vent de face). En effet, la plupart des animaux sauvages sentent et entendent parfaitement. Que le vent tourne et c’est toute une troupe de zèbres qui sent l’homme à 500 m, s’affole et part au galop. En revanche, hormis les singes, les oiseaux et les zèbres, les animaux voient généralement mal, à un point parfois étonnant. Totalement immobile, à bon vent, j’ai vu à plusieurs reprises des phacochères s’approcher à 6 mètres de moi, m’observer longuement puis faire demi-tour au petit trot en secouant la tête, d’un air de dire « C’est curieux, j’aurais juré qu’il y avait là quelque chose d’étrange ! ».

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Ce phacochère mâle ne m’avait pas repéré malgré la faible distance. Mais il a instantanément disparu lorsque j’ai malencontreusement fait un minuscule bruit avec mes jumelles ! 

Marcher ainsi dans la brousse est très stimulant pour les sens et quelle joie lorsqu’on peut observer longuement un grand troupeau d’élands du Cap, une bande d’une cinquantaine de springboks, un délicat grand koudou sautant avec autant d’aisance que d’élégance la clôture des vaches ! Je me souviens de trois grandes femelles d’élands du Cap broutant les feuilles des mopanes et s’approchant peu à peu de nous jusqu’à ce que l’une d’elles lève la tête et nous découvre. Sa tête semblait réellement exprimer une immense stupéfaction et nous avons compris que nous étions découverts. Elle a donné le signal de départ et pendant longtemps, nous avons entendu le fracas des buissons écrasés par ces très grands animaux en fuite.

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L’oryx gazelle ou Gemsbok, le plus grand des oryx. Ses traits noirs et ses longues cornes, qui peuvent dépasser 120 cm de long, donnent à la silhouette de cet animal courageux une force et une élégance remarquables.

La marche révèle parfois quelques surprises : traces de porc-épic, de serpents, criquets gros comme le pouce, lézards, écureuils, galagos que l’on croirait en peluche, etc. mais aussi à peu de distance le feulement caractéristique du léopard, qui ressemble à une scie à bois. Les fauves n’attaquent pas spontanément l’homme mais ont des réflexes : en cas de rencontre avec un lion ou un léopard, fuir en courant est mortel car cela déclenche la poursuite et l’attaque. Il faut rester calme, debout, immobile et parler à voix haute, puis reculer très lentement si le fauve ne s’en va pas le premier, ce qui est presque toujours le cas.

Au centre, trace de « big cat », comme dit le guide, mais lequel : léopard ou guépard ? A moins que ce ne soit une hyène (qui n’est pas un félin)…

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Trois femelles d’élands du Cap. Le mâle atteint la tonne. On l’appelle « le fantôme de la brousse » tant il est difficile à approcher, les sens toujours en éveil et d’une grande méfiance.

Dans la brousse, dès le lever du soleil, les chants des oiseaux sont omniprésents. Certains sont délicats, d’autres entêtants voire même agaçants comme ceux des francolins et des pintades. Un oiseau est redouté par les pisteurs : le « Grey go-away bird » (Corythaixoides concolor ou Touraco concolor), élégant volatile de la taille d’une tourterelle qui se pose en haut des buissons et signale à toute la brousse, d’une sorte de miaulement, la présence d’un danger. Les animaux connaissent parfaitement le signal et en tiennent compte.

Grey go-away bird au bord de l’eau.

Les pisteurs ont une grande connaissance de la faune : ils savent à quelle heure telle espèce va boire, comment les babouins approchent d’une mare, si les zèbres acceptent de fréquenter les élands, quand deux mâles vont se battre, etc. Ils connaissent les noms des arbres, des oiseaux, des insectes, ils savent imiter le cri des singes ou des zèbres, et bien sûr sont capables de se repérer parfaitement et de nous ramener à la voiture après 3 ou 4 heures de marche dans le « bush ». Plus d’une fois, j’ai vu mon guide me montrer des animaux que je n’avais absolument pas vus : un minuscule dik-dik, un vautour comme statufié sur un arbre mort, un bousier roulant sa boule.

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Jeune grand koudou mâle. Sans élan, il saute allègrement une barrière de 2,50 m (je l’ai vu faire mais uniquement sur 1,60 m…).

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L’autre symbole de l’Afrique australe : le springbok. Ici, une femelle.

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Céphalophe appelé localement Duiker, de la taille d’un petit chevreuil.

La proximité du parc national d’Etosha, immense réserve naturelle autour d’un lac salé, où les animaux sont protégés, ne pouvant que m’inciter à y retourner. C’est toujours un enchantement de voir des hardes d’une quarantaine d’éléphants, d’innombrables girafes, zèbres, oryx et gnous mais j’ai constaté que la faune avait décliné ces cinq dernières années. Il est possible que les sévères sécheresses y aient contribué mais en fait, c’est paraît-il le braconnage qui sévit. Depuis le début de l’année, plus de 300 rhinocéros ont été abattus par les « poachers » qui vendent les cornes en Asie. Cette fois, nous n’avons pas vu de lion ni de hyène ni de rhinocéros et les grands herbivores étaient moins nombreux qu’en 2019. Voici quelques prises à Etosha :

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Girafes. Boire leur demande de réaliser une difficile gymnastique, précédée d’une intense surveillance des alentours.

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Eléphants. Le groupe d’une quarantaine de têtes était comme toujours guidé par une vieille femelle expérimentée.

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Deux étalons se battant. Zèbres de Burchell (ici) et zèbre de Hartmann (ou de montagne) cohabitent dans cette région.

Impala. Il s’agit de la sous-espèce, très locale, de l’impala à front noir.

Le rollier, toujours perché en haut des arbres.

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Marabout. Assez laid au sol, il est beau en vol, porté par les courants chauds et décrivant de grands cercles à une altitude inimaginable.

Oryx gazelle ou Gemsbok. Les femelles ont généralement des cornes plus fines et plus longues que les mâles, qui les usent lors des combats.

La vie à la ferme, en pleine brousse, n’est pas de tout repos. La première ville est à près d’une heure de route et la nature est souvent hostile. Etre fermier en Namibie suppose beaucoup de courage et de force de caractère. Les singes ravagent le potager et les arbrs fruitiers, les fauves attaquent en permanence le bétail et il faut leur livrer bataille. Les guépards ne se nourrissent que de proies fraîches ; il y a encore quelques années, ils prélevaient 10% des brebis. Une nuit, deux lions ont sauté dans l’enclos des vaches et ont tué 15 bêtes, pourtant d’une taille et d’une corpulence analogues à nos vaches de France. Le petit babouin ci-dessous a été recueilli après que sa mère ait été abattue : elle s’était jetée sur un des chiens de la ferme et l’aurait tué. Le petit singe, George, a adopté l’une des chiennes et ne la quitte que pour faire des bêtises souvent amusantes, mais ce jeune mâle ne pourra être gardé car il deviendra vite très dangereux ; il sera bientôt remis à un parc qui s’occupe des animaux orphelins. Il y a quelques années, le propriétaire de la ferme possédait un guépard abandonné par sa mère. N’ayant pas reçu de celle-ci les consignes de prudence à adopter dans la brousse, il s’est un jour approché d’un mamba et est mort d’une morsure du redoutable reptile.

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Le propriétaire de la ferme, véritable colosse, est connu dans la région pour être un courageux et excellent chasseur de lions. Il est donc fréquemment appelé par ses voisins lorsqu’un fauve fait des ravages sur une ferme. Un jour, l’un de ces agriculteurs avait posé un piège à loup et pris une lionne par une patte. Lorsque le chasseur s’en est approché, elle a réussi à se libérer du piège et s’est jetée sur lui. Heureusement, la lionne était épuisée par une nuit de lutte contre le piège sinon l’homme aurait été tué. Profitant de cette relative faiblesse (il nous a quand même dit que l’on ne pouvait imaginer la puissance musculaire d’une lionne), il l’a serré dans ses bras, a réussi à sortir un petit couteau de sa poche de chemise et, tandis qu’elle le griffait et tentait de le saisir à la gorge, il a tué la lionne. Il en est sorti littéralement épuisé, ce que l’on comprend aisément…

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Eland du Cap femelle

La vie dans ces espaces libres n’est pas une distraction mais une lutte. La faune est admirée, respectée, parfaitement gérée (c’est ainsi par exemple que les effectifs du rare impala à front noir ont fortement augmenté) mais l’homme se bat pour y gagner sa place. Ne pas écarter les fauves reviendrait à abandonner l’élevage et à quitter la région, laissant la place aux braconniers qui ravagent tout, y compris femelles et jeunes de toutes les espèces.

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Rhinocéros blanc dans un élevage namibien. Ce mâle-ci est assez dangereux car, fait relativement rare dans cette espèce, il a un caractère ombrageux et charge volontiers.

L’exemple du rhinocéros blanc du sud est intéressante. Dans les années 1930, il ne restait qu’une quarantaine d’individus de cette sous-espèce. Des propriétaires en Namibie et Afrique du sud ont décidé d’en introduire sur leurs immenses domaines (plusieurs dizaines de milliers d’hectares) et d’en assurer la protection vis-à-vis des braconniers (clôtures, rondes de surveillance, caméras, etc.). Pour amortir le coût élevé de cette protection, ils ont ouvert la possibilité à des chasseurs de tirer quelques individus (environ 0,3% de l’effectif actuel des rhinos), ce qu’ils font payer très cher. Grâce à cette politique, la population des rhinos blancs du sud est maintenant d’environ 20 000 individus. Par comparaison, la population des rhinos blancs du nord (Kenya) n’a pas bénéficié de ces mesures et on ne compte plus que deux femelles donc l’extinction de cette sous-espèce est imminente. Je ne pense pas que la chasse du rhinocéros blanc soit passionnante mais il est incontestable qu’elle a sauvé cette sous-espèce. Jusqu’à quand ? Epuisés par les exactions des braconniers mandatés par des mafias vietnamiennes et chinoises, les propriétaires des grands domaines tendent à baisser les bras. Un milliardaire américain vient de jeter l’éponge, écrasé par les sommes à injecter dans l’affaire, et a laissé aux Namibiens son domaine où vivent de très nombreux rhinos.

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Comme j’aimerais que tous ceux qui aiment les animaux puissent venir visiter cette ferme, observer la faune, partager la vie familiale de ces Namibiens si sympathiques, échanger avec eux et comprendre leurs joies comme leurs soucis. Ils ont longtemps redouté que les graves troubles sociaux que connaît l’Afrique du sud s’étendent à leur pays mais heureusement, ce n’est pas le cas et le pays est sûr. Lors d’un prochain séjour, j’espère avoir l’occasion de découvrir cette fois la bande de Caprivi, la côte des squelettes, les dunes de sable…