Août 10, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Voici aujourd’hui un très amusant petit bronze signé Isidore Bonheur. Il représente une scène de cuisine, un chat tendant sa patte vers le feu qui couve sous la marmite tandis qu’un singe, assis sur une casserole retournée, la taille prise dans un collier, grignote quelque chose. Le carrelage de la cuisine est bien dessiné, avec ses tomettes hexagonales.
Il mesure 16,7 cm de long, 8,8 cm de large et 9,5 cm de haut
Isidore Bonheur, frère de Rosa et de Juliette Bonheur, beau-frère de Peyrol (qui fit fondre en bronze bon nombre des créations familiales) a réalisé de superbes sujets, en particulier des chevaux, taureaux et moutons, mais aussi des animaux plus rares : yack, bison, etc.
Ce petit bronze fait penser aux pyrogènes, sortes de vide-poche où l’on mettait autrefois les allumettes. Fratin en créa un grand nombre, fait de singes ou d’ours portant une hotte ou un panier.
Il est possible que la marmite, creuse, fasse effectivement office de pyrogène, mais en réalité cette scène est l’illustration d’une fable de La Fontaine :
LE SINGE ET LE CHAT
Bertrand avec Raton, l’un Singe et l’autre Chat,
Commensaux d’un logis, avaient un commun Maître.
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat ;
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage.
Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté
Etait moins attentif aux souris qu’au fromage.
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.
Les escroquer était une très bonne affaire :
Nos galants y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui
Que tu fasses un coup de maître.
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,
Certes marrons verraient beau jeu.
Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte,
D’une manière délicate,
Écarte un peu la cendre, et retire les doigts,
Puis les reporte à plusieurs fois ;
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant Bertrand les croque.
Une servante vient : adieu mes gens. Raton
N’était pas content, ce dit-on.
Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes
Qui, flattés d’un pareil emploi,
Vont s’échauder en des Provinces
Pour le profit de quelque Roi.
On s’étonnera peut-être de ce qu’un chat puisse s’appeler « Raton » mais après tout, pourquoi pas. Le plus intéressant dans cette affaire est que cette fable permet de retrouver le sens véritable de l’expression « Tirer les marrons du feu ». Aujourd’hui, on l’entend à peu près comme : « profiter gratuitement du travail préparatoire d’autrui ». Autrefois pourtant – et cette expression existait avant La Fontaine – elle signifiait plutôt : « travailler pour le compte d’autrui et n’en tirer aucun profit ». C’est bien ce qui arrive à Raton, que le malin Bertrand fait travailler mais qui ne parviendra pas à manger un seul marron, le singe les croquant au fur et à mesure qu’ils sortent de la braise. La morale renvoie d’ailleurs bien aux seigneurs et capitaines que le roi envoie à la guerre mais qu’il ne récompensera pas de leurs efforts.
J’aime beaucoup cette phrase de la fable :
Nos galants y voyaient double profit à faire,
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui.
En quelques mots, La Fontaine dessine parfaitement la mentalité des deux pirates, complices dans les mauvais coups qu’ils imaginent sans cesse.
Ce bronze ne porte pas de marque de fondeur mais il s’agit assurément d’une fonte ancienne. Il est apparu en vente à Paris à plusieurs reprises, à des prix élevés pour une pièce de cette taille : par exemple, en 2008, mis en vente par l’étude Coutau-Bégarie et estimé 1200 à 1300 Euros, il a été adjugé à 1800 Euros. Je pense que la valeur de cette pièce devrait plutôt tourner autour de 700 à 800 Euros, mais il faut bien reconnaître qu’elle semble très recherchée.
Avr 5, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Marthe C., de Saint-Mandé, m’a apporté une bronze de Frémiet et m’a demandé ce que j’en pensais.
Comme Emmanuel Frémiet est sans doute, à mes yeux, le plus grand des sculpteurs animaliers, j’ai déjà souvent parlé de lui ici et le referai bientôt à propos de très beau et très émouvant livre « Frémiet » de Philippe Fauré-Frémiet. Et comme, au surplus, il y a beaucoup à dire sur ce bronze, je ne m’étendrai pas à nouveau sur le vie de ce très grand artiste (1824-1910).
Ce bronze, qui mesure 30 cm de long, 36 cm de haut et 12,5 cm de profondeur, est généralement appelé « Carabinier à cheval » mais a pour titre exact : « Cavalier d’un régiment de carabiniers, en grande tenue de service à cheval« . L’exemplaire de Marthe C. est légèrement incomplet : le haut de l’épée (je n’ose dire sabre car la lame est normalement droite et non pas un peu tordue comme sur cette pièce) et le fourreau manquent, mais ces petites réparations, que je conseille, seraient très faciles à faire.
On peut voir ce Carabinier au Musée des Beaux-Arts de Rennes, en entrant à gauche, où il a pour compagnie un « Cavalier d’un régiment de cuirassier de la ligne (1852-1858) dans la position « haut pistolet » ainsi qu’un « Artilleur à cheval« .
Je tire ces noms très précis du livre co-édité par le Musée des Beaux-Arts de Dijon et le Musée de Grenoble « Emmanuel Frémiet – La main et le multiple ». Y sont également montrés (je ne mets pas les noms complets, un peu long…) un Brigadier des Cent-Gardes, un Gendarme à cheval, un Artilleur au manteau, un Zouave en grande tenue, un Zouave couché, un Zouave assis, un Chasseur à cheval, un Grenadier de la Garde, un Cheval d’armes au piquet, etc. Là aussi, les noms exacts sont impressionnants de précision. Par exemple, pour cette dernière pièce, le nom est : « Cheval d’armes d’officier du 1er régiment de carabiniers (1852-1865) en garnison à Versailles« . Toutes ces pièces ont été réalisées entre 1855 et 1865.
Que signifie cette collection ? Pourquoi Frémiet s’est-il soudainement pris de passion pour l’armée ?
Il faut chercher la réponse dans le livre de Philippe Fauré-Frémiet mentionné plus haut. Il cite une lettre de l’artiste lui-même :
« Un jour, écrit Frémiet, à une revue, une vedette d’artilleur à cheval m’avait intéressé par son originalité ; j’en fis une statuette que le surintendant vit dans mon atelier et qu’il porta à l’Empereur. Sa Majesté eut alors l’idée de me faire faire, de même, toute l’armée française, avec ce perfectionnement que les statuettes seraient complétées par de la peinture.
Explications : une « vedette » est une sentinelle à cheval ; l’Empereur est Napolon III et le surintendant est le comte de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts sous le second Empire et qui fut en quelque sorte le protecteur de Frémiet.
Le sculpteur accepte donc la commande à condition que les pièces puissent être éditées, ce qui est accepté. Connu pour son remarquable sens du détail, Frémiet raconte :
« Je pensais alors au meilleur moyen de me tirer du mauvais pas de la peinture de ces figurines. Je pris d’abord de la poussière de laine pour papiers veloutés et avec un mordant, je fis prendre cette poussière sur tout ce qui était vêtements dans les petits soldats ; les fourrures des talpacks et des paquetages furent obtenues de même avec de la soie floche hachée, les brides des chevaux découpées dans de la peau de gant ; tout ce qui dans la nature était en métal, cuirasses, casques, armes, boutons, etc., fut exécuté en bronze avec un soin microscopique, les lisérés des pantalons étaient imités par des fils de soie collés sur les étoffes. »
On imagine le travail colossal et la merveille que représentait cette collection, qui comptait 72 costumes différents et une pièce d’artillerie tirée par des chevaux.
Qu’est devenue cette série magnifique ? Le pauvre Frémiet eut hélas bien des malheurs avec elle. Outre qu’elle lui a finalement bien peu rapportée au regard du temps extrême qu’elle lui prit (il explique que l’habillage lui prenait autant de temps que la réalisation en sculpture), elle connut dès sa conception un premier épisode douloureux :
« Une fois, un précepteur du Prince Impérial trouva simple, pendant une visite d’un jeune Fleury au Prince, de livrer tous ces soldats comme joujoux aux deux enfants ; le gros oeuvre de ces statues étant en plâtre, à la fin de cette séance, il y avait 23 statuettes avariées. On les fit porter chez moi et Madame Frémiet, qui m’aidait dans les difficultés minutieuses de l’habillage des statuettes, travailla deux mois et demi à réparer le dommage ; on reporta aux Tuileries les objets remis en état, et jamais nous n’eûmes, pour cette corvée gracieuse de notre part, ni une attention ni un remerciement. »
A la lecture de ces lignes, on tremble de rage contre le précepteur imbécile et l’on imagine la tête du pauvre sculpteur en découvrant les dégâts et le peu de considération portée à son oeuvre remarquable.
Il est amusant d’apprendre que cette histoire, déformée, fut racontée par les frères Goncourt dans leur Journal. D’après eux, le Prince Impérial jouait avec les statuettes sur le plancher quand un gros homme entra, buta et tomba « en plein sur l’armée française qu’il écrase et démolit presque entièrement ». Cet homme était le Général Leboeuf. On déclara donc que c’était le « pronostic de ce qui allait arriver ». Pour éclairer cet trait d’esprit, il faut savoir que Leboeuf fut ministre de la Guerre à l’époque de la guerre contre la Prusse en 1870, qui provoqua la chute de l’Empire. Pour l’anecdote, c’est lui qui déclara : « Nous sommes prêts et archi prêts. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats« . Encore une occasion de méditer sur le coq, symbole de la France…
Frémiet raconte encore qu’il dût accéder au souhait de l’Empereur de figurer parmi les statuettes mais que la pièce fut critiquée par l’Impératrice (Frémiet précise « les aides de camp firent chorus », évidemment…) parce que l’Empereur auraient eu les jambes, au-dessus des genoux, trop courtes « malgré les mesures ». Frémiet dut refaire la pièce à ses frais.
Une autre fois, le surintendant commanda à Frémiet, à l’insu de l’Impératrice et pour lui en faire la surprise, une statuette du Prince impérial en grenadier de la garde. Cette fois, Eugénie le trouva trop pâle et la pièce fut rendue à son auteur… Navré, Nieuwerkerke l’acheta 300 francs pour tenter d’indemniser le pauvre sculpteur.
Frémiet cite encore un incident qu’il qualifie cette fois de comique : il avait besoin de choisir un modèle de cheval et d’homme pour réaliser son Chasseur à cheval. Il se rendit donc à la caserne d’Orsay et rencontra le Colonel. Celui-ci déclara que ce choix lui appartenait et qu’il allait donc désigner à Frémiet le modèle à retenir. Malgré les explications de l’artiste, qui ne voulait pas forcément le plus bel homme ni le plus beau cheval mais ceux qu’il considérait comme les plus intéressants, l’officier ne céda pas. Frémiet non plus et ils se quittèrent très froidement. Le modèle fut finalement mis à califourchon sur une chaise… Ce colonel me fait d’ailleurs penser à une blague un peu méchante : « Les cavaliers sont comiques : même à pied, ils vous regardent du haut de leur cheval »…
Mais le plus grand malheur qui frappa cette collection fut sa destruction complète lors de l’incendie des Tuileries par les Communards en mai 1871. Le récit de cette mise à sac, par exemple au lien ci-dessous, est poignant et son « sadisme » constitue encore l’un des grands moments d’illumination intellectuelle révolutionnaire, comme la destruction de très nombreuses statues religieuses sous la Révolution… Ne nous croyons pas à l’abri d’une nouvelle folie de ce genre.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_des_Tuileries#Incendie
Seules quatre statuettes, dispersées, ont été préservées, et une douzaine, que Frémiet avait eu le temps de rééditer en bronze. Le Carabinier à cheval de Madame C. est une édition de l’un de ces modèles sauvé par Frémiet.
Ce bronze, et l’ensemble de la collection, ont donc une histoire remarquable, à garder en mémoire quand on admire les détails exceptionnels de cette pièce, qui mérite donc une légère restauration au fourreau et à l’épée. La tête du cheval, que l’on voit ici en gros plan, ne mesure que 8 cm du bout des lèvres au haut des oreilles.
Combien vaut un si joli bronze, dont la patine est également très belle ?
Il apparaît très rarement dans les ventes aux enchères donc il est bien difficile de donner avec certitude une « cote » pour cette pièce. J’en ai trouvé deux traces :
– Drouot mars 2009 : estimé 2500 à 3000 Euros, il n’a pas trouvé preneur.
– Drouot début 2012 : estimé 1500 à 2000 Euros, il a été adjugé 2000 Euros
Pour ma part, je considère que la valeur de ce bronze est plutôt de 3000 Euros minimum.
Si ces anecdotes de la vie d’Emmanuel Frémiet vous ont plu, sachez que j’en raconterai bien d’autres d’ici quelques jours à propos du livre de Philippe Fauré-Frémiet.
Vous avez un bronze animalier et voulez en savoir plus sur lui ?Envoyez-moi des photos très nettes (vue d’ensemble, signature, marque éventuelle du fondeur, dessous du socle) avec les dimensions exactes de la pièce et je vous répondrai. Envoyez ces éléments à : damiencolcombet@free.fr
Mar 29, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Voici une pièce amusante envoyée par un internaute qui me dit en avoir hérité. Il m’indique que ce bronze porte la signature Fratin, mais que le N est à l’envers. Il y a également une marque : « Daubrée ». Il me demande un avis sur ce modèle, qui mesure 26 cm de haut, 22 cm de long et 14 cm de profondeur.
Ce singe est bien de Christophe Fratin (Metz 1801 – Le Raincy 1864), qui étudia le dessin à Metz puis à Paris dans l’atelier de Géricault. Il fut très populaire en son temps, en France et dans le reste de l’Europe, en particulier en Angleterre. J’ai déjà parlé de cet artiste à propos de son Taureau.
Dans le Dictionnaire des bronzes du XIXème, Pierre Kjellberg indique que ses fondeurs furent Thiébaut, Quesnel, Braux, Susse, Richard-Eck-et-Durand et… Daubrée. C’est précisément la marque que porte le bronze de notre internaute.
Intrigué par ce nom de fondeur que je ne connaissais pas, j’ai découvert, dans ce même Dictionnaire de P.Kjellberg, qu’Alfred Daubrée « possédait un magasin d’orfèvrerie à Nancy avant de s’établir, dans les années 1850, marchand de bronzes d’art et de bijouterie 85 rue Montmartre à Paris. Il édite un certain nombre de bronzes de Fratin, Cumberworth […]. Il aurait eu recours à des intermédiaires pour vendre ses bronzes, qui ne portent que rarement sa marque. […] Lors de l’Exposition Universelle de 1867, il est cité parmi les fondeurs réputés de l’époque. Son fils lui succède après sa mort en 1885. »
Toujours dans ce Dictionnaire, est mentionné parmi les œuvres de Fratin « Le singe aux paniers ».
Je me suis également plongé dans un petit ouvrage édité en 1983 : « Le sculpteur animalier Christophe Fratin – Essai sur sa vie et son oeuvre » par Jacqueline J.A. Bougon, archiviste de la Société Historique du Raincy. Y est citée une lettre de Madame Bizard-Daubrée au Musée de Metz, à l’occasion du don d’une oeuvre de Fratin. Elle est la belle-fille d’Alfred Daubrée qui, raconte-t-elle, fut « éditeur d’un très grand nombre d’œuvres de Fratin, il fut lié à celui-ci par des sentiments de grande cordialité ».
Fratin a réalisé de nombreux singes (une vingtaine) et ours (une quarantaine), les « humanisant » très souvent : Ours lisant un journal politique, Ours dentiste, etc. Ce singe fait partie de cette veine, que Fratin aimait mais qu’il considérait seulement comme une distraction car il ne les présenta jamais au Salon.
Pour ma part, je suis assez réservé sur les œuvres de Christophe Fratin, qui était certainement doué d’un grand talent, comme le prouve par exemple son « Lion dévorant un cheval », ses « Jument et poulain », sa « Jument au baquet » ou encore son « Cavalier en armure », mais ses fauves frisent le ridicule. Ses petits animaux humoristiques, à quelques exceptions près, sont assez sommaires. On dirait que ce sculpteur a un peu dilapidé par jeu ou manque de persévérance son talent, qui lui a pourtant permis de sculpter par exemple « L’éléphante défendant son petit contre un lion », que l’on peut voir au Musée des Beaux-Arts de Lyon.
Il reste la question du N à l’envers sur votre bronze. Dans le Dictionnaire des sculpteurs animaliers, du Dr Hachet, la signature de Fratin est reproduite. Et le N est bien à l’envers. Il faut savoir que cette interversion du N était courante jusqu’à une date assez récente.
En résumé : ce bronze est bien de Fratin et il a probablement été fondu du vivant de l’artiste, ce qui lui donne de la valeur. Son sujet est amusant. Le singe est un peu sommaire (par exemple sur les bras) mais la tête et les paniers sont bien faits. Il est assez grand.
Je n’ai pas trouvé de trace, dans les ventes aux enchères, de ce modèle exactement, mais je n’ai certainement pas tout regardé. En revanche, j’ai trouvé à de nombreuses reprises un singe avec une hotte, un singe assis fumant sa pipe, etc. Ils étaient généralement estimés autour de 2000 Euros. je pense que la marque du fondeur et la taille plus importante de ce modèle pourrait le faire monter à 2500 Euros voire peut-être 3000 Euros.
Vous possédez un bronze animalier et vous voulez en connaître la valeur ? Envoyez moi des photos très nettes (vue d’ensemble, dessous du socle, signature, marque éventuelle de fondeur) et les dimensions exactes à damiencolcombet@free.fr et je vous répondrai.
Mar 23, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Monsieur ou Madame A. m’envoie des photos d’une « petite desserte en bronze » ayant les dimensions suivantes et me demande un avis. Elle est signée de Moigniez. Diamètre du plateau : 27 cm – Hauteur totale 21 cm – Poids 3,280 gr
Jules Moigniez est né à Senlis en 1835 et, malade, mit fin à ses jours à St-Martin du Tertre en 1894. Il a modelé de nombreux oiseaux, après des études auprès de l’excellent sculpteur Comolera. Il a régulièrement exposé au Salon entre 1859 et 1892 et eut semble-t-il plus de succès à l’étranger (Grande-Bretagne et Etats-Unis) qu’en France. J’ai déjà parlé de lui dans la note à propos du Faisan et de la belette.
Je trouve que les bronzes de Moigniez sont généralement trop maniérés : ses animaux n’ont ni la vigueur et la force de ceux de Barye, ni le naturel de ceux d’Isidore Bonheur. Je lis à peu près le même avis dans le Dictionnaire des bronzes du XIXème, de Pierre Kjellberg : « Les qualités plastiques des œuvres de Moigniez ne le classent pas parmi les meilleurs artistes du genre et l’on peut lui reprocher un excès de détail dû à une ciselure souvent trop fignolée, excès racheté, il est vrai, par une certaine élégance des attitudes ».
La coupe de notre internaute est très jolie : le vautour est tout à fait réussi, le renard est amusant et le plateau, orné de chamois, lapins et rapaces, est finement ciselé. La signature est curieuse car le nom de Moigniez est généralement en écriture cursive. Il semble ajouté postérieurement. Néanmoins, la coupe n’a pas l’air d’être une copie.
Pour estimer une oeuvre, je fais généralement appel à mon intuition et mon expérience, puis je consulte des catalogues de ventes aux enchères ou les résultats de ces ventes. Dans la plupart des cas, mon intuition se trouve confortée par mes recherches. Curieusement, ça n’a pas été le cas avec cette coupe.
La qualité de la signature – Moigniez est un sculpteur reconnu – l’originalité de la composition, la qualité de la ciselure m’auraient fait estimer cet objet d’art autour de 1000 Euros, voire plus. En réalité, je note que la même coupe a été adjugée le 5 déc. 2011 à Bruxelles au prix de 300 Euros. Le 19 février 2012, à St-Germain-en-Laye – où elle avait pourtant été vendue 1000 en avril 2007 – elle a été estimée 300 à 400 Euros mais n’a pas trouvé preneur. Une autre coupe encore, plus haute mais plus simple, était estimée en 2009 autour de 90 à 120 Euros.
Ainsi, les objets d’art de Moigniez – comme ceux de Cain, donc – sont cotés à un niveau faible.
D’où cela peut-il venir ? D’une part, Moigniez a une cote beaucoup plus basse que Barye, Mêne, Frémiet, Isidore Bonheur, etc. Je me souviens d’une belle galerie spécialisée à Paris qui me disait : « Si vous avez des petits moyens, achetez un Moigniez, car ce n’est pas cher » !. D’autre part, le sujet du vautour est souvent peu apprécié. Enfin, il semble que la mode des objets d’art plus ou moins utilitaires en bronze soit totalement passée, probablement parce qu’ils sont plus difficiles à placer dans un intérieur qu’un bronze que l’on mettra sur une cheminée ou dans une étagère.
Il faut donc admettre que cette coupe a une valeur de l’ordre d’environ 300 Euros selon moi, estimation que je trouve néanmoins… tristement basse.
Mar 12, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Quelques jours après l’envoi du Groupe de bœufs (cf. note ci-dessous), j’ai reçu de Monsieur Marc S. des photos d’un autre bronze de Jacquemart.
Ayant rédigé une longue note sur les bœufs, je vais être plus bref à propos de ce fauve, mais je souhaitais le montrer car il absolument magnifique.
Presque tous les sculpteurs du XIXème et du début XXème ont réalisé au moins un lion : de Barye à Delabrierre, de Cain à Fratin, de Valton à Bugatti, cet animal semble les avoir tous fascinés par sa force, sa sauvagerie ou l’expression de noblesse. Quelques exceptions, toutefois, et non des moindres : Pierre-Jules Mêne – qui auraient néanmoins réalisé un « Lion de Haute-Nubie » dont on n’a jamais retrouvé trace – et Emmanuel Frémiet, qui préférait apparemment les ours.
Les lions ont été reproduits avec plus ou moins de bonheur. Ceux de Delabrierre et Cain sont un peu trop fiers et pompiers, ceux de Fratin sont ébouriffés et ne ressemblent pas vraiment à des lions, ceux de Barye sont presque tous très beaux, à l’exception du « Lion n°3 » dont la parfaite mise en pli montre qu’il sort visiblement de chez le coiffeur… Bien souvent, ces lions sont trop musclés, comme si ces fauves pratiquaient la musculation dans des salles de sport, ou bien ils sont curieusement bossus.
Or il n’en est rien avec ce lion de Henri Alfred Jacquemart (1824-1896). Au Jardin de Plantes à Paris, on peut admirer un autre de ses lions dans une attitude extrêmement naturelle : pattes avant légèrement fléchies, il hume le sol. Ici, l’animal est plus statique, dans une pose moins originale, mais du coup il paraît plus sobre que beaucoup. La crinière n’est pas exagérément abondante, ni parfaitement peignée, et la musculature de la bête reste dans des proportions raisonnables. Levant un peu la tête comme s’il prenait le vent, il semble en alerte sans prendre la pose pour l’éternité ! On note également qu’il possède un corps assez long, comme il se doit. Beaucoup de sculpteurs en ont fait un animal court et trapu, ce qui est une erreur.
Jacquemart a réalisé une lionne dans une attitude très proche, qui fait donc le pendant. Elle mesure 30 cm de long alors que le lion de notre internaute fait 33 cm. Elle a été adjugée 5000 Euros à St-Germain-en-Laye le 1er juillet 2007.
Elle était certes très belle, mais ce prix me semble toutefois un peu trop élevé. Il y a peut-être une explication à cela : elle semble la très exacte copie d’un exemplaire mis en vente chez Sotheby’s à Londres en novembre 2006 et qui n’a pas été vendue. Or le catalogue précisait qu’il s’agissait d’un chef-modèle. Il n’est pas impossible que cette pièce d’exception ait en fait traversé la Manche pour être reproposée à Paris.
Le lion de Monsieur Marc S. a peut-être un aussi beau pedigree que la lionne, mais ce serait étonnant. S’il s’agit d’une bonne fonte mais pas d’un chef-modèle, je pense que ce lion pourrait être estimé autour de 3000 Euros, ce qui est déjà élevé pour une signature certes de qualité mais qui n’est pas Barye.
Mar 8, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Monsieur et Madame B. m’envoient pour avis les photos d’un groupe de bœufs reliés par un joug. Sur le socle, deux marques : A.Jacquemart et F.Barbedienne Fondeur.
J’aime beaucoup les œuvres du sculpteur Alfred Jacquemart. Elles sont presque toujours très soignées, très élégantes. Ceux qui ont visité le Musée d’Orsay à Paris ont forcément remarqué le magnifique et monumental Rhinocéros indien sur l’esplanade du Musée, où il a pour voisin un cheval à la herse et un éléphanteau entravé. Ce rhinocéros était autrefois installé au Trocadéro.
Henri Alfred Jacquemart est né à Paris le 22 février 1824 et y est mort le 4 janvier 1896. Élève des Beaux-Arts, il étudia la peinture et la sculpture, puis présenta régulièrement des œuvres au Salon, de 1847 à 1879, et y reçut nombre de distinctions, dont une médaille en 1857 et une autre en 1865. Il voyagea en Orient (Turquie, Egypte).
Comme beaucoup de sculpteurs, il réalisa des petites pièces pour la maison Christofle, orfèvre.
A Paris, on peut voir plusieurs de ses œuvres : outre le Rhino du Musée d’Orsay, citons les deux griffons (animaux fabuleux) de la fontaine Saint-Michel, deux lions en bronze à l’une des portes de l’Hôtel de ville de Paris, les quatre Évangélistes de l’église Saint-Augustin, les lions en bronze de la place Félix Eboué, etc…
Ses bronzes ont été fondus majoritairement par la fonderie du Val d’Osne, par Susse et par Barbedienne.
Parmi les œuvres les plus connues de Jacquemart, il y a « le chien et la tortue », très fréquent en salle des ventes mais remarquable. Un chien de chasse assis incline la tête presque jusqu’au sol pour observer attentivement la tortue. Le lourd collier du canidé lui tombe presque sur les yeux et on le devine très intrigué par ce drôle de petit animal qui va son chemin sans inquiétude. Un peu moins réussi, mais très connu, Jacquemart a réalisé un loup, la queue entre les pattes. J’ai déjà eu l’occasion de parler de l’éland attaqué par un serpent, que l’on peut admirer au Musée d’Aix-les-Bains. L’antilope est magnifique.
Revenons à nos bœufs.
Le Dictionnaire des bronzes du XIXème siècle (P.Kjellberg) précise que le « Groupe de bœufs » a été édité en bronze par Barbedienne en trois tailles : 24, 18 et 9,5 cm. Malheureusement, on ne sait si ces mesures se rapportent à la hauteur ou à la longueur. Or, Monsieur et Madame B. nous indiquent que leur pièce mesure 20 cm de haut, 20 cm de large et 35 cm de long. La marque du fondeur (« F.Barbedienne Fondeur ») semble bonne et indique a priori une fonte de fin XIXème ou début XXème, mais les dimensions ne sont pas celles indiquées dans le Kjellberg, ce qui est étonnant. Je note d’ailleurs que ce ne sont pas non plus celles relevées lors des derniers passages de ce modèle en salle des ventes. Ceci peut introduire un léger doute sur le caractère original de l’exemplaire de nos internautes, mais il est a priori balayé par la qualité de la signature du fondeur. Cet écart sur les mesures peut également (probablement ?) venir d’une confusion entre longueur totale et longueur du socle.
Observons maintenant de plus près nos bœufs. Ils ont l’air moyennement puissants, leurs corps rappelant presque celui de vaches bien charpentées. On sent bien la contrainte que constitue le joug, solidement attaché, et qui semble empêcher la vie propre de chaque animal, comme s’il avait hérité d’un frère siamois bien encombrant. Les deux bovins en sont donc réduits à une sorte d’apathie, de résignation face au violent effort qui leur sera demandé dans un instant.
Néanmoins, j’apporterai trois critiques à ce bronze. En premier lieu, il semble un peu trop statique, ce qui est probablement dû au fait que les deux animaux sont quasiment identiques, dans une attitude très figée. En second lieu, la ciselure me paraît très sommaire : si la tête des bovins est bien détaillée, il n’en est pas de même pour le reste du corps, trop lisse à mon goût. Enfin, et surtout, l’attache de la queue est très curieuse et pas du tout réaliste. On dirait qu’elle a été rapportée tardivement et pour ainsi dire plaquée maladroitement sur le corps de l’animal, pourtant bien fait au plan morphologique. On distingue parfaitement une sorte de « marche » qui n’existe pas dans la réalité, la naissance de la queue étant en fait dans le prolongement de la colonne vertébrale.
C’est à mon sens le défaut majeur de ce bronze, ce qui est très étonnant de la part d’un grand sculpteur comme Jacquemart. Je parlerai bientôt d’un de ses lions qui est au contraire d’une rare élégance.
Quel valeur donner à ce groupe de bœufs ? Comme précisé plus haut, les dimensions des pièces relevées en ventes aux enchères ne collent pas exactement avec celles données dans le Kjellberg, bien qu’elles s’en rapprochent, ni avec celles communiquées par nos internautes. Voici néanmoins quelques indications :
– Bruxelles en 2006 pour un exemplaire mesurant 9 x 17 cm : adjugé à 950 Euros.
– Paris en 1997 pour un autre exemplaire de 10 x 17 cm : adjugé à l’équivalent de 1100 Euros.
– Londres en 2002 pour un exemplaire de 19 x 27,6 cm, fonte Barbedienne : estimé entre 3000 et 4000 Euros mais invendu.
L’exemplaire de nos internautes est visiblement le plus grand des trois réalisés par Barbedienne. Il a donc pour défaut les trois points mentionnés ci-dessus, mais a comme atout sa grande taille et surtout une bonne signature. Je pense qu’en salle des ventes, il pourrait donc être estimé autour de 2000 à 2500 Euros.