Marthe C., de Saint-Mandé, m’a apporté une bronze de Frémiet et m’a demandé ce que j’en pensais.

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Comme Emmanuel Frémiet est sans doute, à mes yeux, le plus grand des sculpteurs animaliers, j’ai déjà souvent parlé de lui ici et le referai bientôt à propos de très beau et très émouvant livre « Frémiet » de Philippe Fauré-Frémiet. Et comme, au surplus, il y a beaucoup à dire sur ce bronze, je ne m’étendrai pas à nouveau sur le vie de ce très grand artiste (1824-1910).

Ce bronze, qui mesure 30 cm de long, 36 cm de haut et 12,5 cm de profondeur, est généralement appelé « Carabinier à cheval » mais a pour titre exact : « Cavalier d’un régiment de carabiniers, en grande tenue de service à cheval« . L’exemplaire de Marthe C. est légèrement incomplet : le haut de l’épée (je n’ose dire sabre car la lame est normalement droite et non pas un peu tordue comme sur cette pièce) et le fourreau manquent, mais ces petites réparations, que je conseille, seraient très faciles à faire.

Bronze ancien Colcombet Frémiet

On peut voir ce Carabinier au Musée des Beaux-Arts de Rennes, en entrant à gauche, où il a pour compagnie un « Cavalier d’un régiment de cuirassier de la ligne (1852-1858) dans la position « haut pistolet » ainsi qu’un « Artilleur à cheval« .

Je tire ces noms très précis du livre co-édité par le Musée des Beaux-Arts de Dijon et le Musée de Grenoble « Emmanuel Frémiet – La main et le multiple ». Y sont également montrés (je ne mets pas les noms complets, un peu long…) un Brigadier des Cent-Gardes, un Gendarme à cheval, un Artilleur au manteau, un Zouave en grande tenue, un Zouave couché, un Zouave assis, un Chasseur à cheval, un Grenadier de la Garde, un Cheval d’armes au piquet, etc. Là aussi, les noms exacts sont impressionnants de précision. Par exemple, pour cette dernière pièce, le nom est : « Cheval d’armes d’officier du 1er régiment de carabiniers (1852-1865) en garnison à Versailles« . Toutes ces pièces ont été réalisées entre 1855 et 1865.

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Que signifie cette collection ? Pourquoi Frémiet s’est-il soudainement pris de passion pour l’armée ?

Bronze Colcombet livre Frémiet

Il faut chercher la réponse dans le livre de Philippe Fauré-Frémiet mentionné plus haut. Il cite une lettre de l’artiste lui-même :

« Un jour, écrit Frémiet, à une revue, une vedette d’artilleur à cheval m’avait intéressé par son originalité ; j’en fis une statuette que le surintendant vit dans mon atelier et qu’il porta à l’Empereur. Sa Majesté eut alors l’idée de me faire faire, de même, toute l’armée française, avec ce perfectionnement que les statuettes seraient complétées par de la peinture.

Explications : une « vedette » est une sentinelle à cheval ; l’Empereur est Napolon III et le surintendant est le comte de Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts sous le second Empire et qui fut en quelque sorte le protecteur de Frémiet.

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Le sculpteur accepte donc la commande à condition que les pièces puissent être éditées, ce qui est accepté. Connu pour son remarquable sens du détail, Frémiet raconte :

« Je pensais alors au meilleur moyen de me tirer du mauvais pas de la peinture de ces figurines. Je pris d’abord de la poussière de laine pour papiers veloutés et avec un mordant, je fis prendre cette poussière sur tout ce qui était vêtements dans les petits soldats ; les fourrures des talpacks et des paquetages furent obtenues de même avec de la soie floche hachée, les brides des chevaux découpées dans de la peau de gant ; tout ce qui dans la nature était en métal, cuirasses, casques, armes, boutons, etc., fut exécuté en bronze avec un soin microscopique, les lisérés des pantalons étaient imités par des fils de soie collés sur les étoffes. »

On imagine le travail colossal et la merveille que représentait cette collection, qui comptait 72 costumes différents et une pièce d’artillerie tirée par des chevaux.

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Qu’est devenue cette série magnifique ? Le pauvre Frémiet eut hélas bien des malheurs avec elle. Outre qu’elle lui a finalement bien peu rapportée au regard du temps extrême qu’elle lui prit (il explique que l’habillage lui prenait autant de temps que la réalisation en sculpture), elle connut dès sa conception un premier épisode douloureux :

« Une fois, un précepteur du Prince Impérial trouva simple, pendant une visite d’un jeune Fleury au Prince, de livrer tous ces soldats comme joujoux aux deux enfants ; le gros oeuvre de ces statues étant en plâtre, à la fin de cette séance, il y avait 23 statuettes avariées. On les fit porter chez moi et Madame Frémiet, qui m’aidait dans les difficultés minutieuses de l’habillage des statuettes, travailla deux mois et demi à réparer le dommage ; on reporta aux Tuileries les objets remis en état, et jamais nous n’eûmes, pour cette corvée gracieuse de notre part, ni une attention ni un remerciement. »

A la lecture de ces lignes, on tremble de rage contre le précepteur imbécile et l’on imagine la tête du pauvre sculpteur en découvrant les dégâts et le peu de considération portée à son oeuvre remarquable.

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Il est amusant d’apprendre que cette histoire, déformée, fut racontée par les frères Goncourt dans leur Journal. D’après eux, le Prince Impérial jouait avec les statuettes sur le plancher quand un gros homme entra, buta et tomba « en plein sur l’armée française qu’il écrase et démolit presque entièrement ». Cet homme était le Général Leboeuf. On déclara donc que c’était le « pronostic de ce qui allait arriver ». Pour éclairer cet trait d’esprit, il faut savoir que Leboeuf fut ministre de la Guerre à l’époque de la guerre contre la Prusse en 1870, qui provoqua la chute de l’Empire. Pour l’anecdote, c’est lui qui déclara : « Nous sommes prêts et archi prêts. La guerre dût-elle durer deux ans, il ne manquerait pas un bouton de guêtre à nos soldats« . Encore une occasion de méditer sur le coq, symbole de la France…

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Frémiet raconte encore qu’il dût accéder au souhait de l’Empereur de figurer parmi les statuettes mais que la pièce fut critiquée par l’Impératrice (Frémiet précise « les aides de camp firent chorus », évidemment…) parce que l’Empereur auraient eu les jambes, au-dessus des genoux, trop courtes « malgré les mesures ». Frémiet dut refaire la pièce à ses frais.

Une autre fois, le surintendant commanda à Frémiet, à l’insu de l’Impératrice et pour lui en faire la surprise, une statuette du Prince impérial en grenadier de la garde. Cette fois, Eugénie le trouva trop pâle et la pièce fut rendue à son auteur… Navré, Nieuwerkerke l’acheta 300 francs pour tenter d’indemniser le pauvre sculpteur.

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Frémiet cite encore un incident qu’il qualifie cette fois de comique : il avait besoin de choisir un modèle de cheval et d’homme pour réaliser son Chasseur à cheval. Il se rendit donc à la caserne d’Orsay et rencontra le Colonel. Celui-ci déclara que ce choix lui appartenait et qu’il allait donc désigner à Frémiet le modèle à retenir. Malgré les explications de l’artiste, qui ne voulait pas forcément le plus bel homme ni le plus beau cheval mais ceux qu’il considérait comme les plus intéressants, l’officier ne céda pas. Frémiet non plus et ils se quittèrent très froidement. Le modèle fut finalement mis à califourchon sur une chaise… Ce colonel me fait d’ailleurs penser à une blague un peu méchante : « Les cavaliers sont comiques : même à pied, ils vous regardent du haut de leur cheval »…

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Mais le plus grand malheur qui frappa cette collection fut sa destruction complète lors de l’incendie des Tuileries par les Communards en mai 1871. Le récit de cette mise à sac, par exemple au lien ci-dessous, est poignant et son « sadisme » constitue encore l’un des grands moments d’illumination intellectuelle révolutionnaire, comme la destruction de très nombreuses statues religieuses sous la Révolution… Ne nous croyons pas à l’abri d’une nouvelle folie de ce genre.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Palais_des_Tuileries#Incendie

Seules quatre statuettes, dispersées, ont été préservées, et une douzaine, que Frémiet avait eu le temps de rééditer en bronze. Le Carabinier à cheval de Madame C. est une édition de l’un de ces modèles sauvé par Frémiet.

Ce bronze, et l’ensemble de la collection, ont donc une histoire remarquable, à garder en mémoire quand on admire les détails exceptionnels de cette pièce, qui mérite donc une légère restauration au fourreau et à l’épée. La tête du cheval, que l’on voit ici en gros plan, ne mesure que 8 cm du bout des lèvres au haut des oreilles.

Bronze ancien Colcombet Frémiet

Combien vaut un si joli bronze, dont la patine est également très belle ?

Il apparaît très rarement dans les ventes aux enchères donc il est bien difficile de donner avec certitude une « cote » pour cette pièce. J’en ai trouvé deux traces :

– Drouot mars 2009 : estimé 2500 à 3000 Euros, il n’a pas trouvé preneur.

– Drouot début 2012 : estimé 1500 à 2000 Euros, il a été adjugé 2000 Euros

Pour ma part, je considère que la valeur de ce bronze est plutôt de 3000 Euros minimum.

Si ces anecdotes de la vie d’Emmanuel Frémiet vous ont plu, sachez que j’en raconterai bien d’autres d’ici quelques jours à propos du livre de Philippe Fauré-Frémiet.

Vous avez un bronze animalier et voulez en savoir plus sur lui ?Envoyez-moi des photos très nettes (vue d’ensemble, signature, marque éventuelle du fondeur, dessous du socle) avec les dimensions exactes de la pièce et je vous répondrai. Envoyez ces éléments à : damiencolcombet@free.fr