Voici aujourd’hui un très amusant petit bronze signé Isidore Bonheur. Il représente une scène de cuisine, un chat tendant sa patte vers le feu qui couve sous la marmite tandis qu’un singe, assis sur une casserole retournée, la taille prise dans un collier, grignote quelque chose. Le carrelage de la cuisine est bien dessiné, avec ses tomettes hexagonales.

Il mesure 16,7 cm de long, 8,8 cm de large et 9,5 cm de haut

Isidore Bonheur, frère de Rosa et de Juliette Bonheur, beau-frère de Peyrol (qui fit fondre en bronze bon nombre des créations familiales) a réalisé de superbes sujets, en particulier des chevaux, taureaux et moutons, mais aussi des animaux plus rares : yack, bison, etc.

Ce petit bronze fait penser aux pyrogènes, sortes de vide-poche où l’on mettait autrefois les allumettes. Fratin en créa un grand nombre, fait de singes ou d’ours portant une hotte ou un panier.

Il est possible que la marmite, creuse, fasse effectivement office de pyrogène, mais en réalité cette scène est l’illustration d’une fable de La Fontaine :

LE SINGE ET LE CHAT

Bertrand avec Raton, l’un Singe et l’autre Chat, 
Commensaux d’un logis, avaient un commun Maître. 
D’animaux malfaisants c’était un très bon plat ; 
Ils n’y craignaient tous deux aucun, quel qu’il pût être. 
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté, 
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage. 
Bertrand dérobait tout ; Raton de son côté 
Etait moins attentif aux souris qu’au fromage. 
Un jour au coin du feu nos deux maîtres fripons 
Regardaient rôtir des marrons. 
Les escroquer était une très bonne affaire : 
Nos galants y voyaient double profit à faire, 
Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui. 
Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd’hui 
Que tu fasses un coup de maître. 
Tire-moi ces marrons. Si Dieu m’avait fait naître 
Propre à tirer marrons du feu, 
Certes marrons verraient beau jeu. 
Aussitôt fait que dit : Raton avec sa patte, 
D’une manière délicate, 
Écarte un peu la cendre, et retire les doigts, 
Puis les reporte à plusieurs fois ; 
Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque. 
Et cependant Bertrand les croque. 
Une servante vient : adieu mes gens. Raton 
N’était pas content, ce dit-on. 
Aussi ne le sont pas la plupart de ces Princes 
Qui, flattés d’un pareil emploi, 
Vont s’échauder en des Provinces 
Pour le profit de quelque Roi. 

On s’étonnera peut-être de ce qu’un chat puisse s’appeler « Raton » mais après tout, pourquoi pas. Le plus intéressant dans cette affaire est que cette fable permet de retrouver le sens véritable de l’expression « Tirer les marrons du feu ». Aujourd’hui, on l’entend à peu près comme : « profiter gratuitement du travail préparatoire d’autrui ». Autrefois pourtant – et cette expression existait avant La Fontaine – elle signifiait plutôt : « travailler pour le compte d’autrui et n’en tirer aucun profit ». C’est bien ce qui arrive à Raton, que le malin Bertrand fait travailler mais qui ne parviendra pas à manger un seul marron, le singe les croquant au fur et à mesure qu’ils sortent de la braise. La morale renvoie d’ailleurs bien aux seigneurs et capitaines que le roi envoie à la guerre mais qu’il ne récompensera pas de leurs efforts.

J’aime beaucoup cette phrase de la fable :

Nos galants y voyaient double profit à faire, 

Leur bien premièrement, et puis le mal d’autrui. 

En quelques mots, La Fontaine dessine parfaitement la mentalité des deux pirates, complices dans les mauvais coups qu’ils imaginent sans cesse.

Ce bronze ne porte pas de marque de fondeur mais il s’agit assurément d’une fonte ancienne. Il est apparu en vente à Paris à plusieurs reprises, à des prix élevés pour une pièce de cette taille : par exemple, en 2008, mis en vente par l’étude Coutau-Bégarie et estimé  1200 à 1300 Euros, il a été adjugé à 1800 Euros. Je pense que la valeur de cette pièce devrait plutôt tourner autour de 700 à 800 Euros, mais il faut bien reconnaître qu’elle semble très recherchée.