Jan 14, 2017 | • Lectures recommandées
Je vous tiens régulièrement informé de la parution des ouvrages de Yann Le Sacher, qui a entrepris de parcourir le tour de la Bretagne et de dessiner avec talent et humour les ports, villages, plages, bateaux, criques et personnages de cette région attachante. Yann a commencé aux frontières de la Normandie et de la Bretagne et tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

Le numéro 8 est sorti courant 2016. L’artiste approche de la pointe nord de la Bretagne puisque ce tome couvre la partie de Plouescat à Plouguerneau. On peut penser qu’il faudra au moins 20 livres pour arriver en Loire Atlantique.


Yann saisit très bien la faune domestique et sauvage de la Bretagne !


Yann Le Sacher sait s’amuser des scènes que l’on a tous observées ou vécues un jour en vacances…

En bas de chaque page, un petit dessin très amusant.

Les premiers numéros sont hélas épuisés mais les derniers sont encore disponibles sur ce site : http://www.editions-de-dahouet.com/les-livres-des-e…l
Vous pouvez aussi retrouver Yann Le Sacher sur son blog, avec presque chaque jour un nouveau dessin. Vous pourrez notamment admirer ses originales enveloppes couvertes d’oiseaux :
http://yal.over-blog.com/
Avr 4, 2016 | • Lectures recommandées
Voici un livre très étonnant qui m’a été offert par une collectionneuse et que je vous conseille : « L’éléphant de Napoléon« .

On connait la girafe de Charles X, qui a débarqué à Marseille au XIXème siècle et est remontée à Paris accompagnée de Geoffroy Saint Hilaire, le Conservateur du Muséum, mais l’éléphant dont il est question ici est différent. Il s’agit du projet d’un grand monument qui aurait dû être installé place de la Bastille.
Après avoir envisagé d’y construire un arc-de-triomphe, Napoléon et Vivant Denon, doyen des savants de l’expédition d’Egypte, Directeur du Muséum central des arts et administrateur des arts depuis 1802, décident en 1808 qu’un pachyderme aurait toute sa place sur le lieu de l’ancienne forteresse. Le 2 décembre 1808, la première pierre est posée.

Eléphants de Pairi Daiza (Belgique) arrosant le public
Le 9 février 1810, un décret consacre le projet et prévoit ceci : « Il sera élevé, sur la place de la Bastille, une fontaine sous la forme d’un éléphant en bronze, fondu avec les canons pris sur les Espagnols insurgés ; cet éléphant sera chargé d’une tour et sera tel que s’en servaient les Anciens ; l’eau jaillira de sa trompe. Les mesures seront prises de manière que cet éléphant soit terminé et découvert au plus tard le 2 décembre 1811« .
Vivant Denon prévoit qu’il faudra 177 tonnes de bronze. Car c’est un colosse qui est prévu : 15 mètres de haut et 16 mètres de long, l’ensemble culminant à près de 24 mètres.

Hélas, la conscription a emporté loin de Paris les ouvriers dans la force de l’âge et l’on manque de bras. Le chantier prend du retard et, en 1813, bien que les travaux de terrassement et de maçonnerie soient presque terminés, Napoléon s’impatiente. Tous les ouvriers disponibles doivent être embauchés, surtout les plus âgés, décide-t-il.
Plusieurs projets ont été envisagés : un éléphant nu et seul, un éléphant couvert de draperies et tentures surmonté d’un guerrier grec brandissant une lance, un éléphant portant un immense trône ou encore un siège dont se lève un dignitaire égyptien présentant en offrande un sabre, un éléphant de guerre avec une vaste tour sur le dos, etc.

Eléphant monté par un indien – AL Barye (Musée du Louvre)
Dans tous ces projets, il est prévu une fontaine et des jeux d’eau. Jaillissant parfois de sa trompe vers le ciel, l’eau est également présente sous forme d’une cascade entourant tout le socle. L’alimentation viendra du canal Saint-Martin.

En 1810, voulant se faire une idée précise des proportions du géant, Vivant Denon commande aux sculpteurs Moutoni puis Bridan un modèle grandeur nature en bois et fer, recouvert de plâtre. Il est installé sous un vaste hangar au sud-est de la place de la Bastille. Un gardien, le dénommé Levasseur, lui est affecté. Il loge dans une des pattes de l’éléphant.
Mais en 1815, la Restauration stoppe le chantier. S’en suivent idées d’abandon et tentatives de terminer le projet. L’éléphant en plâtre reste là et se dégrade peu à peu. On raconte qu’il héberge des milliers de rats, qu’il sert de refuge aux voleurs. Dans son roman, Victor Hugo en fait le refuge du jeune Gavroche.
Finalement, à la place du pachyderme, on érigera la colonne de Juillet en mémoire des victimes des trois journées de 1831. Et ce n’est qu’en 1846 que le modèle en plâtre, en piteux état, est démoli. Effectivement, des cohortes de rats s’en échappent, terrorisant pour longtemps le quartier.

Lorsqu’on lit ces incroyable histoire, on se demande pourquoi elle n’est pas plus connue. Pour ma part, jamais je n’avais entendu parler de ce projet gigantesque et j’ignorais que la taille excessive du socle de la colonne de Juillet, les têtes de lions sur son pourtour, la voûte circulaire en sous-sol, le passage du canal Saint-Martin dataient du chantier de l’éléphant.
L’intérêt de ce beau livre, passionnant, est multiple : raconter cette incroyable histoire, bien sûr, mais aussi l’illustrer très abondamment avec de nombreuses reproductions de gravures et dessins, élargir la réflexion à la vision de l’orient à cette époque, aux réalisations artistiques et architecturales sur le thème de l’éléphant, etc.
La dernière partie de l’ouvrage est spectaculaire et m’a fait croire que cet éléphant existait bien ! Les auteurs ont en effet reconstitué virtuellement le monument et font défiler à ses pieds majestueux les Parisiens de 1930, 1936, 1968, 2013, etc.

Je vous conseille donc vivement cet ouvrage aussi agréable à lire qu’étonnant et instructif.
L’éléphant de Napoléon
Matthieu Beauhaire – Mathilde Béjanin – Hubert Naudeix – Préface de Georges Poisson
Editions Honoré Clair – 96 pages – ISBN : 978-2-918371-17-5 – Octobre 2014 – 32 €
Fév 15, 2016 | • Lectures recommandées

« Il va sûrement se marier aujourd’hui.
Ce devait être pour hier. En habit de gala, il était prêt. Il n’attendait que sa fiancée. Elle n’est pas venue. Elle ne peut tarder.
Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien et porte sur lui les riches présents d’usage. L’amour avive l’éclat de ses couleurs et son aigrette tremble comme une lyre.
La fiancée n’arrive pas.

Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil. Il jette son cri diabolique :
Léon ! Léon !
C’est ainsi qu’il appelle sa fiancée. Il ne voit rien venir et personne ne répond. Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. Elles sont lasses de l’admirer. Il redescend dans la cour, si sûr d’être beau qu’il est incapable de rancune.
Son mariage sera pour demain.
Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers le perron. Il gravit les marches, comme des marches de temple, d’un pas officiel.
Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n’ont pu se détacher d’elle.
Il répète encore une fois la cérémonie. »
Merveilleux Jules Renard… (Extrait de « Histoires naturelles« )

Sep 26, 2015 | • Lectures recommandées
Régulièrement sur ce site, je vous parle du très talentueux Yann Le Sacher – que je n’ai hélas toujours pas rencontré ! – et je vous tiens au courant de l’édition de ses carnets de dessin. Yann s’est lancé dans un tour du littoral breton en commençant par le nord et présente dans « Une Bretagne par les contours » de très belles pages de chaque village, crique, port, église, phare, château, île découverts ainsi au fil de ses pérégrinations.
Au bas de chaque page, un tout petit dessin humoristique toujours très amusant.

Le tome 7 (De Saint-Pol-de-Léon à Santec en passant par l’île de Batz) est paru et les oeuvres de Yann Le Sacher sont toujours aussi belles. Pour commander le livre ou même toute la collection, rendez vous sur son site : http://yal.over-blog.com/page/1

Le tour complet de la Bretagne devrait nous amener à une vingtaine de tomes, je pense !


Et comme l’artiste est un peu taquin avec l’art contemporain, certains dessins sont désopilants.


Juin 15, 2015 | • Lectures recommandées
L’Association des Membres de l’Ordres des Palmes Académiques (AMOPA) organise chaque année différents concours dont un de « Défense et illustration de la langue française » destiné aux lycéens. La professeur de français de mes enfants propose chaque année à ses élèves d’y participer.
En 2013, le thème était celui-ci : « En vous inspirant de la madeleine de Proust, vous raconterez un souvenir d’enfance (vous pouvez utiliser la première ou la troisième personne), souvenir réel ou imaginaire.«
Je ne résiste pas au plaisir de montrer ici la rédaction de ma fille qui était alors en 4ème et a remporté un prix d’encouragement à l’écriture. Je précise qu’elle a rédigée seule cette rédaction et que je ne l’ai aidée en aucune façon.
« Les oreilles couchées en arrière, la gueule ouverte, ses crocs si aiguisés. Je lui caresse la tête, il me regarde comme il regarderait sa proie. Quatre cent cinquante euros pour celui-ci, proposais-je à la vieille antiquaire.
Ce n’est pas assez me répondit-elle après quelques secondes de réflexion. Ce beau petit bronze de Barye vaut au moins six cents euros.
Après un bref débat, je repartais, le bronze dans ma poche. C’était une affaire !
Je le pose sur ma commode dans le salon. Du haut de ses vingt cinq centimètres, le « Tigre marchant » me donnait tout à coup la nostalgie du bon vieux temps. Je ferme les yeux.
Je revois mon père dans son atelier, sculptant. Il terminait un éléphant. A côté de lui, une misérable table basse avait été aménagée par Papa à notre intention, moi et mes sœurs. C’est là que nous essayions sans grand résultat de donner à l’argile une forme à peu près convenable ressemblant à une gazelle qui faisait plus penser à un teckel monté sur quatre colonnes inégales. En effet mon père était à la fois sculpteur animalier et collectionneur de bronzes anciens, du 19e siècle.
Pour sculpter, il s’était installé dans une ancienne alcôve de l’appartement. C’était une petite pièce. C’est là qu’il faisait ses animaux en terre puis il les emportait à la fonderie, qui les coulait en bronze.
Sur sa table de travail on retrouvait une mirette, des ébauchoirs et d’autres outils. Cette table était éclairée par trois lampes.
En entrant dans l’atelier, à droite, accrochés au mur, se trouvaient cinq paires de cornes de gazelle. A gauche, un canard souchet était naturalisé. En face de la porte trônait une monstrueuse tête de gnou.
Derrière sa table, ses bronzes, encore en terre attendaient sagement d’être emportés à la fonderie. Cette dernière, dans laquelle j’étais allé une fois, faisait un bruit infernal.
Mon père avait ramené d’un de ses voyages au Burkina Faso une dent d’éléphant. Au mur étaient accrochées trois affiches de ses différentes expositions et une du salon des artistes animaliers.
Sur une étagère était perché un aigle signé Barye.
Un jour il avait fait en terre un pain. Mon grand-père était venu et on lui avait demandé de couper le pain. Il avait remarqué que ce dernier devait être au seigle vu sa couleur foncée. Il avait aussi trouvé qu’il était spécialement lourd. Mon grand-père avait retourné le pain et vu qu’il était en terre.
Je rouvris les yeux.
Je décidai de prolonger ce merveilleux moment en allant admirer les bronzes de Frémiet au musée des beaux arts de Lyon. »
Un jour, je mettrai aussi en ligne la rédaction sur le thème de « La chasse au lion » qui a valu cette année un prix AMOPA départemental à un autre de mes enfants.
Avr 8, 2015 | • Lectures recommandées
Je me méfie un peu de Rodin. D’un côté, il y a le mondain, avide de succès, l’homme à femme, celui de Marie-Rose Beuret et de Camille Claudel, celui du Balzac que je ne trouve pas extraordinaire (et dont un humoriste avait dit dans un journal en 1898 qu’il le trouvait « un peu trop’homme de terre en robe de chambre« ) et d’autres œuvres encore qui ne sont peut-être pas si géniales que cela, bref le sentiment que parfois l’homme a pris le pas sur son oeuvre.

L’âge d’airain
Et d’un autre côté, il y a le grand sculpteur, l’élève de Barye, le créateur du Baiser, de la Porte de l’Enfer, du Penseur, des Bourgeois de Calais, de Victor Hugo et de tant d’autres belles œuvres.

Le Baiser
Mais au-delà de l’appréciation personnelle des œuvres de Rodin, je voudrais vous faire partager ici quelques lignes de sa main découvertes dans un petit livre édité en 2011 chez Fayard « Faire avec ses mains ce que l’on voit« . Tout n’est pas passionnant dans ce livre mais j’ai été touché par certains passages. Voici ce qu’écrit « le maître » :
« Ce qui m’a guidé, c’est surtout ce grand amour de la Nature ; oui, il faut l’aimer, être constamment avec elle. C’est la véritable Grande Muette, mais elle finit par vous parler, par vous inspirer, et par vous livrer ses secrets.
Il n’y a de vrai que la nature qu’il faut savoir regarder. On ne le sait pas. Quand on est jeune, on s’éparpille, on se gaspille. On a dans la cervelle un tas d’imaginations, de rêves, d’idées toutes faites. On cherche des sujets dans sa tête, il faudrait apprendre à ouvrir les yeux. C’est difficile. »

Et encore ceci qui me plaît beaucoup. Une lecture superficielle ferait penser que pour suivre ce conseil, il faut que l’exagération dont parle Rodin se voit. Or non, elle doit être si bien faite qu’elle ne se voit pas. Observez les bourgeois de Calais : leurs membres sont disproportionnés, les mains sont immenses mais il n’y a là rien de choquant.
« Toujours, toujours, j’ai copié la nature dans sa naïveté, et c’est en exagérant le mouvement que j’obtiens parfois une souplesse qui se rapproche du vrai. C’est en somme ce que faisaient les Anciens : ils amplifiaient la nature« .

Jean d’Aire, l’homme à la clé, l’un des Bourgeois de Calais (Musée de Bruxelles)
Rodin insiste encore :
« Il faut donc se mettre devant la Nature, devant son mystère.
Il faut, pour la pénétrer, donner sa vie ou une grande partie de sa vie. Ainsi, ce que l’on apprend d’elle on le retient, car on le fait sien. Et si l’on comprend quelque chose, c’est un don créateur que la nature s’est laissée ravir. Les observations faites devant la nature sont votre création. […]
Mais il est nécessaire pour cela d’être lent, de se tromper, de revenir ensuite sur le sujet de son étude, de même qu’il faut battre et rebattre le fer pour qu’il soit fort.
On ne gagnerait rien à comprendre du premier coup, car à chaque étape de l’art, il faudrait recommencer son travail. Pour qu’il entre dans l’habitude de votre cerveau et qu’il devienne le secret de votre art, il faut s’assimiler longuement le secret de la nature. Ce n’est pas tout que la tête comprenne, il faut en quelque sorte que tout le corps s’en nourrisse, il faut que cela entre dans le sang. C’est ce que l’on peut appeler la passion, l’amour éperdu de son art. Tout ce qui se fait trop vite ne peut pas être profondément compris, car il y a de la passion dans l’entière compréhension et la passion n’est pas une chose qui vous traverse mais une chose qui vous habite, qui vous possède. »

Le Penseur
Auguste Rodin sait se montrer très critique envers certains artistes :
« La plupart des œuvres contemporaines manquent totalement de métier. Tout y est faux, parce que la volonté de l’artiste n’a pas été mûrie par l’observation directe et par l’expérience personnelle. C’est l’anarchie des esprits, et aussi l’anarchie des formes.
Il serait indispensable que les nouvelles générations d’artistes apprissent de nouveau la sainteté du métier, pour que l’art redevienne ce qu’il a toujours été, l’expression complète et consolante de l’idéal humain. Il faudrait qu’ils sussent que ce que l’on appelle le métier aujourd’hui, n’est que le trompe-l’œil facile et insignifiant de quelques branches de l’industrie, et non de quelques genres de l’art.«
Et pour finir, quelques conseils avisés et parfois difficiles à accepter :
« Accueillez les critiques justes. Vous les reconnaîtrez facilement. Ce sont celles qui vous confirmeront dans un doute dont vous êtes assiégé. Ne vous laissez pas entamer par celles que votre conscience n’admet pas. »
Faire avec ses mains ce que l’on voit – Auguste Rodin – Fayard Coll. Mille et Une Nuits 2011 – 232 p. – 5 €
