Chasses Internationales – N°12 – Hiver 2018-2019 – Les cerfs de Barye

« Ces ménageries où se rend Barye ne possèdent pas seulement des cerfs élaphes mais aussi des espèces exotiques. C’est donc dans ces parcs que Barye concevra ses Cerfs de Virginie, Cerf de Java, Cerf axis et Cerf du Gange. »

Article de Damien COLCOMBET

"Les cerfs de Barye" - Chasses Internationales - n°12 - Hiver 2018-2019

LA VALEUR D’UN BRONZE : « CHEVAL A L’ENTRAINEMENT ET SON LAD » PAR A. DU PASSAGE

Il est temps de renouer avec les notes sur « La valeur d’un bronze« , la dernière datant d’avril 2015. Depuis cette date, j’ai reçu plus une soixantaine de demandes d’avis, auxquelles j’ai répondu systématiquement, mais je n’ai guère vu d’œuvres susceptible de faire l’objet d’une note : artistes déjà étudiés plusieurs fois (les bronzes de Barye, Mêne et Delabrierre sont les sculpteurs dont on me soumet le plus souvent les créations), copies et fontes tardives sans beaucoup d’intérêt, photos de trop mauvaise qualité pour pouvoir les publier ici, etc.

Mais voici une belle sculpture d’un artiste dont je n’ai pas encore parlé : le Comte du Passage.

Monsieur T. me soumet d’excellentes photos d’une très grande pièce mesurant 110 cm de long, 45 cm de large et presque 70 cm de haut : « Cheval à l’entraînement et son lad« .

Arthur Marie Gabriel Comte du Passage est né à Frohen-Le-Grand dans la Somme en 1838 et y est mort en 1909, au château de Bernaville. Il commença une carrière militaire et pratiqua en même temps la sculpture auprès de maîtres illustres : Barye et Mêne. Alors qu’il est sous-lieutenant à Maubeuge, il expose au Salon en 1865. Il réalise aussi des dessins de sport publiés dans les journaux de l’époque. Toutefois, à cette époque de sa vie, il considère tout cela comme une simple formation artistique et n’envisage pas de quitter la carrière militaire pour l’art.

Hippodrome de Lyon Parilly
C’est en 1862 qu’une lourde chute de cheval le handicape définitivement et qu’il doit quitter le métier des armes. S’il a les plus grandes difficultés à se déplacer à pied, il peut encore monter à cheval et suivra de nombreuses chasses à courre. Par ailleurs, il se lie d’amitié avec Toulouse-Lautrec.
Le sculpteur travaillait dans son atelier, au château de Bernaville à Frohen, et envoyait régulièrement ses œuvres au Salon des Artistes Français.

Arthur du Passage a deux proches également artistes : son fils Edouard-Guy, essentiellement peintre et aquarelliste, et son frère Charles-Marie (1848-1926), sculpteur animalier dont l’œuvre tourne essentiellement autour de la chasse.
Tout ceci est décrit notamment dans deux ouvrages : le Dictionnaire des bronzes du XIXème siècle, par Pierre Kjellberg (Editions de l’Amateur), et dans “A nos chevaux et à ceux qui les sculptent”, de Guy de Labretoigne, très beau livre paru récemment (Art-Select). Notre bronze est d’ailleurs reproduit en photo dans ces deux livres.

 « A nos chevaux et à ceux qui les sculptent » – G. de Labretoigne
Arthur du Passage a réalisé un nombre relativement limité de modèles, essentiellement des chevaux et cavaliers mais aussi quelques chiens, un lièvre, un chevreuil attaqué par deux chiens. Parmi ses œuvres, j’ai relevé un très beau “Cheval marchant avec son lad” et un “Contrebandier” intéressant. Le cheval et le lad étaient visiblement des sujets de prédilection puisqu’il fit aussi une “Jument sanglé par son lad” et donc ce “Cheval à l’entraînement avec son lad”. On ne connaît pas toujours ses fondeurs, mais il y eut au moins Colin, bien connu et apprécié, et Boudet. Notre internaute n’a pas vu de cachet de fondeur, mais il peut être difficile à distinguer.

Ce modèle est très connu et a été fondu en plusieurs exemplaires. Personnellement, je lui trouve comme petit défaut que le cheval semble un peu trop bas, trop près du sol, et qu’il aurait été plus élégant en étant un rien plus en hauteur. Mais c’est néanmoins une très belle pièce, très dynamique et originale. Dans les plus belles ciselures, comme celle-ci, on voit bien les veines sur la peau du cheval.
Comme souvent avec les grandes œuvres du Comte du Passage, il a été fondu en plusieurs tailles : 45 cm, 63 cm et donc, comme celui-ci, 110 cm de long. D’après les résultats des salles des ventes, il existerait même encore d’autres tailles, mais il s’agit probablement d’erreurs de mesure.
Ce « Cheval à l’entraînement avec son lad » passe souvent en salle des ventes car il a certainement connu beaucoup de succès à l’époque de l’artiste, très connu de son vivant.

Voici quelques résultats plus ou moins récents selon la taille. Il faut garder en mémoire, en lisant ces chiffres, que le prix des bronzes anciens connaît une baisse sensible depuis quelques années, et encore plus depuis environ un an, comme beaucoup d’antiquités d’ailleurs.
En 110 cm :
– Uppsala (Suède) en juin 2015 : adjugé à l’équivalent de 22 500 €
– Bayeux en avril 2014 : adjugé à 70 000 €
– Paris en 2008 : adjugé à 36 000 Euros
– St Germain en Laye en déc. 2006 : estimé 32 000 à 35 000 Euros, il n’a pas été vendu.
– Deauville en août 2006 : estimé 50 000 à 60 000 Euros, il n’a pas été vendu.
– Calais en 2003 : adjugé à 15 000 Euros.
Pour information, le modèle mesurant 63 cm de long a été adjugé ces dernières années entre 20 000 € en 2007 à Londres et 6200 € en octobre 2013 à Chartres. Quant au modèle de 45 cm, il a été adjugé entre 6500 € en 2011 à Paris et 2800 € en 2013 à Anvers.
Ce modèle a donc l’inconvénient d’être assez courant et un peu marqué par son époque, mais il a l’avantage d’être très beau, dynamique, signé par un très bon sculpteur et d’avoir un petit côté anglais assez plaisant.
L’exemplaire de notre internaute a deux intérêts majeurs : il est très grand et de très belle qualité, me semble-t-il et autant qu’on puisse en juger sur photos. Si son propriétaire a la preuve qu’il a été acheté à l’artiste, comme il l’affirme, c’est un atout important.
Je pense qu’aujourd’hui, en tenant compte de la tendance à la baisse des prix et des résultats de vente, le modèle en 110 cm pourrait être estimé autour de 25 000 Euros, celui en 63 cm autour de 6000 Euros, celui en 45 cm autour de 4000 Euros (NB : il s’agit là d’estimations hors frais acheteur et hors frais vendeur, ces frais étant de nos jours de l’ordre de 24% à 29%). Mais nous avons vu un très beau résultat à Bayeux en avril 2014. C’est même un chiffre exceptionnel.
Si un document atteste la très bonne origine de notre exemplaire, s’il présente un bon cachet de fondeur, il n’est pas exclu que, sans renouveler cet exploit, ce beau bronze puisse atteindre les 40 000 ou 50 000 Euros.