En novembre dernier (2024), le Musée Bourdelle à Paris présentait l’exposition « Rodin / Bourdelle. Corps à corps« . Une occasion de visiter ce lieu, à deux pas de Montparnasse. Une occasion aussi de découvrir le travail de ce sculpteur français, en espérant faire une aussi belle découverte que lorsque j’ai approché pour la première fois l’oeuvre de Landowski au Musée des Années 30 à Boulogne-Billancourt ou celle d’Alfred Janniot au Musée des Colonies à Paris.

Musée Bourdelle

Antoine Bourdelle dans son atelier

Musée Bourdelle

Le monumental cheval conçu pour le « Monument au Général Alvéar », homme d’Etat et militaire argentin, commandé à Bourdelle en 1913 pour célébrer le centenaire de la République argentine.

Hélas, j’ai été déçu. Non par le musée, agréable, situé dans le très vaste atelier de l’artiste (en fait quasiment un pâté de maison) où les oeuvres sont bien présentées sans appel, pour une fois, au fameux « dialogue » entre oeuvre classiques et oeuvres contemporaines absurdes, tarte à la crème des conservateurs complexés de reconnaître que peu d’artistes contemporains sortis des Beaux-arts n’arrivent pas à la cheville des génies du passé.

On traverse les pièces d’habitation de Bourdelle, chaleureuses et intimes, avec ses meubles, des tableaux et objets divers. Le soir, la cour est très bien éclairée et l’architecture est si particulière que l’on ne sait plus très bien si on est à Paris ou dans un village de province.

Musée Bourdelle

Vue depuis la terrasse.

En fait, c’est le travail d’Antoine Bourdelle qui m’a beaucoup désappointé. La présentation lors de cette exposition de plusieurs oeuvres de Rodin faisait cruellement sentir l’écart de talent entre les deux sculpteurs. Cette différence n’est pas encore trop visible sur les deux Adam ci-dessous mais c’est parce que la facture de celui de Bourdelle, réalisé vers 1888-1889, est d’un style encore très classique – qui montre l’ampleur de ce qu’il aurait pu faire – style dont il s’écartera malheureusement par la suite…

Musée Bourdelle Adam

Deux « Adam » : ci-dessus, de la main de Bourdelle, un travail assez classique qui montre une belle maîtrise de la part de l’artiste.

En bas, de Rodin, un Adam beaucoup plus fort, qui fait immédiatement penser au travail de Michel Ange.

Musée Bourdelle Rodin Adam

Antoine Bourdelle, de son vrai nom Emile-Antoine Bordelles, est né à Montauban en 1861 et mort au Vésinet (région parisienne) en 1929. Entré en apprentissage à 13 ans dans l’atelier d’ébénisterie de son père, il révèle vite ses talents de sculpteur sur bois. Il entre aux Beaux-Arts de Toulouse en 1876 puis de Paris en 1884. Comme cela se faisait alors, il se forme dans l’atelier du très bon sculpteur classique Alexandre Falguière. Il a pour ami François Pompon, Jeanne Poupelet, Jules Desbois, etc. Plus tard, il rencontrera Camille Claudel. En 1885-1886, il décide d’abandonner l’enseignement classique et quitte aussi bien les Beaux-Arts que Falguière. Il entre dans un modeste atelier avenue du Maine, atelier qui s’étendra peu à peu et deviendra le vaste ensemble que l’on visite aujourd’hui. Pour gagner sa vie, il dessine et travaille dans l’atelier de Théo Van Gogh, le frère de Vincent. En voyant ses oeuvres picturales, qui montre un réel talent, on se dit qu’il aurait peut-être dû persévérer dans cette voie…

Musée Bourdelle peinture

Jolie peinture réalisée par Bourdelle.

En 1893, il entre comme praticien dans l’atelier de Rodin, qui l’appuie fortement pour qu’il obtienne la réalisation d’un monument aux morts à Montauban, sa ville natale, tandis que le jury n’apprécie pas du tout son style. Merci Auguste !

Musée Bourdelle Rodin au travail

« Rodin travaillant à La Porte de l’Enfer » – A.Bourdelle – 1910 – Un style devenu lourd, brutal, sans finesse.

Sa participation à l’Exposition Universelle de 1900 marque un tournant dans sa carrière, qui est lancée. Il se marie en 1904 mais son cœur est vite conquis par une de ses élèves, Cléopâtre Sévastos, qu’il épousera en 1918 après avoir divorcé en 1910.

Musée Bourdelle Daphné devient laurier

Ci-dessus, « Daphné devient laurier » de Bourdelle – Ci-dessous, « Le vieil arbre » de Rodin, que la qualité de la fonte de Rudier magnifie.

Musée Bourdelle Rodin Le vieil arbre

Après avoir voyagé dans plusieurs pays d’Europe, remporté des concours et engrangé des commandes, il réalise son oeuvre principale : Héraklès (cf. mon article sur cette sculpture http://colcombet.com/herakles-archer-par-bourdelle/ En 1910, il participe au projet de construction de théâtre des Champs-Elysées, prenant Isadora Duncan comme modèle pour la réalisation des fresques en façade. En parallèle, il donne des cours et compte parmi ses élèves Alberto Giacometti et Germaine Richier.

Musée Bourdelle La guerre ou Trois têtes hurlantes

« La guerre » ou « Trois têtes hurlantes » – A.Bourdelle. Une déformation des visages qui est voulue mais enlaidit à l’excès la sculpture sans la rendre plus expressive pour autant.

Musée Bourdelle Pallas

« Pallas » – Marbre de Bourdelle. Comme expliqué sur le cartel à côté de l’oeuvre, « ce torse se résume à un cylindre posé sur deux tubes ». Pas très subtil… Dommage car le visage, bien que sévère, est joli.

Il connaît la gloire de 1925 à sa mort en 1929 : nombreuses expositions dans le monde entier, participation à l’Exposition Internationales des Arts décoratifs et industriels modernes en 1925, réalisation d’un monument à Buenos Aires, grande exposition au Palais des Beaux-arts à Bruxelles, installation de son Monument à Mickiewicz place de l’Alma à Paris, etc.

Perclus de rhumatisme, il meurt à Paris le 1er octobre 1929 et est enterré au cimetière du Montparnasse.

Musée Bourdelle La France

« La France » 1ère maquette – A.Bourdelle. L’artiste veut visiblement faire référence à l’art antique mais le résultat est figé.

Musée Bourdelle fresque

Les grandes fresques au 1er étage de la terrasse annoncent déjà la lourdeur de bien des sculptures des années 30.

Musée Bourdelle buste Coquelin cadet

Un joli buste, enfin : celui du comédien Coquelin cadet.

Il n’est pas inintéressant du tout de visiter le musée Bourdelle, d’abord pour admirer le site, mais aussi pour comprendre comme il est compliqué pour un artiste de trouver son style. Cette expression peut faire penser, à notre époque très commerciale, qu’il s’agit de définir un produit marketing original et d’ainsi occuper une niche du marché qui permettra de vendre assez facilement. En réalité, trouver son style signifie plutôt réussir à réaliser une belle oeuvre en faisant presque inconsciemment la synthèse de son propre talent et de tout l’héritage laissé par ses maîtres à l’artiste. Ici, on sent bien la tension entre la formation classique prodiguée par Falguière, l’exigence, la puissance et la sensualité de Rodin, et le rejet du classicisme qu’exprima Bourdelle en quittant les Beaux-arts et Falguière. Mais cette synthèse ne me semble pas faite et à mon avis, l’oeuvre de cet artiste est souvent frustre, peu dégrossie, en tous cas manque beaucoup de subtilité alors que Bourdelle avait certainement les qualités pour faire mieux.