J’ai lu récemment un petit livre très intéressant sur la genèse du zoo de Vincennes. Il a été écrit en 1947 par Henry Thétard, que les amateurs de cirque connaissent bien pour sa « Merveilleuse histoire du cirque », ouvrage de référence dans ce domaine, même si Madame Violette Médrano m’a dit que certains passages étaient selon elles un peu éloignés de la vérité.
Le zoo de Vincennes est né avec l’Exposition Coloniale de 1931, dont le Maréchal Lyautey était Commissaire Général. Lors de son discours d’inauguration, le 7 mai, le Président Paul Reynaud expliquait : « Le but essentiel de l’Exposition est de donner aux Français conscience de leur Empire. La France sait qu’elle a un Empire outre-mer, elle n’en a pas acquis la certitude profonde et compréhensive, l’Exposition lui offre l’occasion d’en prendre conscience ; elle restera sans profit si elle ne provoque pas une transformation de l’esprit public ».
De mai à novembre 1931, le nombre de visiteurs sera très important : 33 millions soit près de 180 000 personnes par jour. C’est un événement considérable, à la mesure des moyens mis en oeuvre : constructions, aménagement du paysage, mobilisation de nombreux artistes parmi lesquels, par exemple, le sculpteur animalier Paul Jouve.
Début mai 1929, trois ans auparavant, Lyautey assiste à un gala du Cirque de Paris et, à l’issue de la représentation, rencontre Henry Thétard, qui présente ce soir-là un numéro de dressage d’une dizaine de lions prêtés par le très grand dompteur Alfred Court. Lyautey explique à Thétard qu’il a décidé de montrer un jardin zoologique lors de l’Exposition coloniale et lui demande qui pourrait réaliser ce projet. « Un seul homme, lui répond Henry Thétard : Hagenbeck ».
Malgré la réticence du Maréchal à coopérer avec un Allemand, Thétard raconte les innovations de Carl Hagenbeck et de son fils Lorenz en matière de capture et d’importation des animaux sauvages, et le révolutionnaire zoo de Stellingen. La grande innovation d’Hagenbeck, qui nous semble bien naturelle aujourd’hui tant elle est répandue, est de présenter les animaux dans des décors très élaborés (collines artificielles, plans d’eau, etc) et surtout en évitant au maximum les grilles. Les animaux sont donc séparés des visiteurs par des fossés, des rochers, laissant un peu l’illusion que les bêtes sont en liberté. Pour se rendre compte de l’innovation du procédé, il suffit de comparer la fosse aux ours et les grilles du Jardin des Plantes – même si d’importants efforts ont été faits, là aussi – avec les zoos modernes.
Convaincu, Lyautey entrera en pourparlers avec les Hagenbeck en vue de la création du « petit zoo » dont Henry Thétard sera nommé directeur en avril 1931. L’architecte fût Charles Letrosne (1868-1939).
Il serait trop long de raconter ici tous les épisodes de ce parc qui était à l’origine provisoire et s’est finalement maintenu bien au-delà de l’Exposition coloniale. Le projet initial devait s’étendre sur 6 hectares et présenter un panorama de l’ensemble de la faune de nos colonies, mais pour des raisons financières, la surface fut divisée par deux et l’origine de la faune limitée à l’Afrique. Les travaux furent très importants et connurent quelques déboires. On utilisa 250 tonnes de ciment, 600 mètres cubes de sable et de graviers ; on creusa 4 plans d’eau couvrant au total une surface de 2 200 mètres carrés, alimentés par 900 mètres de canalisations.
Mais on reste surtout frappé par le nombre considérable d’animaux qu’il était envisagé d’installer sur une surface somme toute réduite : 2 girafes, 4 éléphants (qui finalement vinrent d’Inde !), 9 zèbres, 12 autruches, 15 antilopes, 14 lions, 100 babouins, 200 oiseaux divers !
Henry Thétard raconte avec beaucoup de talent et d’humour le transfert des animaux par train à partir de la base de Stellingen, les querelles et jalousies entre fonctionnaires et avec Thétard, l’acclimatation des animaux, les batailles et les morts, les évasions, les nombreuses observations réalisées sur les pensionnaires du zoo. Il n’est pas étonnant que les bagarres aient été nombreuses avec 14 lions ou encore 100 singes, dont un trop grand nombre de mâles.
L’auteur termine ce livre très intéressant par un exposé de sa vision du zoo moderne et il faut reconnaître qu’il voyait juste.
Finalement, le zoo fut conservé, agrandi et transformé après la clôture de l’Exposition.
Et voici que l’on reparle, ces jours-ci, du zoo de Vincennes (suite dans quelques jours).
« Des hommes et des bêtes » – Henry Thétard – Editions de la Table Ronde – 1947 – 224 p.