Bien avant de découvrir l’immense talent de son frère Isidore, j’ai toujours particulièrement aimé Rosa Bonheur (1822-1899). Est-ce d’abord grâce à son merveilleux patronyme ? Est-ce dû à l’éblouissement devant le très grand « Labourage nivernais » exposé aujourd’hui au Musée d’Orsay ? Est-ce pour sa passion envers les moutons et les bovins ?
Je ne sais mais j’ai toujours été particulièrement touché par ses peintures et ses bronzes, même si hélas ceux-ci sont en nombre réduit puisque Rosa laissa volontairement le champ libre à son frère Isidore.
J’avais déjà le beau livre illustré « Rosa Bonheur », édité par le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux et William Blake and Co. Edit. mais quelle joie en découvrant il y a quelques jours la parution d’un nouveau livre « Rosa Bonheur – une artiste à l’aube du féminisme » de Marie Borin (Pygmalion – 444 p. – Mai 2011 – 23,90 Euros).
Je n’en ai encore lu qu’un quart mais j’ai bien du mal à le quitter tant il est intéressant. J’ai un peu craint, à la lecture du titre, une appropriation ultra-féministe au mépris de la réalité, mais au contraire, l’auteur s’attache à revenir à la « vraie » Rosa, intelligente, déterminée, indépendante, mais humble, généreuse, droite et lucide.
J’ignorais combien l’enfance de Rosa avait été malheureuse et à quel point elle en a été marquée. Sa mère, née de parents inconnus, découvrit à la mort de son oncle bien aimé et protecteur, Jean-Baptiste Dublan de Lahet, que celui-ci était en fait son père et les papiers lui révélant l’identité de sa mère disparurent mystérieusement dans les 48 heures du décès.
A 11 ans, Rosa perdit cette mère adorée et très courageuse, âgée de seulement 37 ans. Son père avait pratiquement abandonné sa famille pour rentrer dans une communauté saint-simonienne qui, il faut bien le dire, était quasiment une secte. A la dissolution de cette communauté, Rosa retrouvera son père, mais vivra comme un déchirement son remariage. Heureusement, elle se lie d’amitié avec la famille Micas, dont la fille, Nathalie, et Rosa ne se quitteront plus jusqu’à la mort de la première. Marie Borin combat d’ailleurs la thèse de l’homosexualité de Rosa Bonheur, qui fût souvent demandée en mariage mais refusa toutes les propositions, hantée par le malheur de son enfance et surtout de sa mère.
Extrait :
Le talent de Rosa éclate alors qu’elle est encore très jeune. Les œuvres qu’elle présente au Salon sont immédiatement et unanimement saluées, et lui valent une très grande notoriété, en France et en Angleterre, puis aux Etats-Unis, où elle fait des rencontres étonnantes. D’ailleurs son mode de vie est assez excentrique. En particulier, elle ne peut se retenir d’acheter toutes sortes d’animaux qu’elle héberge comme elle peut : moutons, chèvres, cerf, lionne, taureau et vaches (qu’elle ne parvient pas à ramener d’Angleterre), etc.
Extrait :
Elle est la première femme artiste décorée de la Légion d’honneur ; elle rencontre l’Impératrice Eugénie (qui débarque à l’improviste à son atelier), Napoléon III et le Prince impérial, le Président Sadi Carnot, la Reine Isabelle II d’Espagne ; elle devient amie de Barye, Mêne, Cain, de bien d’autres grands artistes.
On a beaucoup parlé de l’autorisation qu’elle reçut de la Préfecture de police de pouvoir s’habiller en pantalon. En réalité, comme on peut le lire ci-dessous, Rosa Bonheur n’en tire aucune gloire et ne revendique rien à ce sujet précis, mais elle a une haute idée de la dignité de la femme et tient à ce que celle-ci soit considérée selon cette dignité, ce qui n’était pas toujours le cas à l’époque. Nul doute que son très fort caractère sût imposer cette volonté lorsque c’était nécessaire.
Extrait :
Je conseille donc vivement ce livre captivant et attachant. Il serait idéal d’avoir sous la main, lors de sa lecture, le livre précité édité par le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux.
Et pour terminer, une anecdote pour ceux qui sont agacés de voir le nom de leurs œuvres déformé dans les expositions, catalogues et salles des ventes : le fameux tableau « Labourage nivernais » fut présenté au Salon de 1849 sous le nom de… « L’abordage nivernais » !
Château de By à Thomery, près de Fontainebleau – Ancienne propriété de Rosa Bonheur