Il y a quelques années (20 ?), une affaire de faux passeport d’un homme politique a donné lieu à l’apparition dans les médias d’une insupportable expression utilisée à tout bout de champ et de façon inappropriée : « vrai-faux ». Désormais, on n’entend plus faux, mais « vrai-faux » en permanence : un « vrai-faux » alibi, un « vrai-faux » document, une « vraie-fausse » information… Cela ne veut rien dire.

Ceci étant dit, je vais vous parler ici d’un faux faux bronze !

Un ami a acheté, lors d’une vente aux enchères, un taureau couché de Rosa Bonheur. Il me l’a montré car il était très sceptique sur l’authenticité de cette pièce.

Effectivement, plusieurs éléments étaient très troublants : d’abord une patine grisâtre curieuse, comme si la pièce était en… zinc ; ensuite, une ciselure très sommaire ; et encore, le dessous du socle gris foncé uni ayant une allure trop neuve ; enfin et surtout des dimensions anormales, puisque la longueur de cette pièce, telle que mentionnée dans les livres, est de 27 cm alors que le bronze que nous avions entre les mains mesurait 29 cm. Un écart de 2 cm soit près de 10% est trop important pour qu’il s’agisse d’une erreur de mesure. La signature – Rosa B – était en revanche bonne.

Cet ami a exposé ces faits au commissaire-priseur qui, honnête, lui a immédiatement proposé de reprendre la pièce et de le rembourser, puisque le bronze était annoncé comme « Bronze de Rosa Bonheur » et non « Bronze d’après Rosa Bonheur ». Il a toutefois marqué son étonnement puisque ce bronze venait d’une succession un peu ancienne : « cette pièce n’est peut-être pas une fonte d’époque, mais elle date sans doute des années 1950 » a-t-il fait remarquer.

Nous avons donc commencé par nettoyer soigneusement ce bronze, très encrassé. Première découverte : les détails sont bien présents, ce qui se voit sur la queue, l’œil du taureau, le chanfrein.

Deuxième opération : cirage. Un petit tour à la fonderie nous a permis de chauffer légèrement le bronze avant de le cirer, ce qui fait davantage pénétrer la cire. Et là, la patine est devenue superbe, tout à fait identique à un autre taureau de Rosa Bonheur – debout celui-ci – que possède également cet ami. On était alors en présence d’un beau bronze… sauf qu’il mesurait 2 cm de trop !

C’est le livre de référence « Les Bronzes du XIXème » de Pierre Kjellberg qui a apporté la clé de ce mystère, à l’article Rosa Bonheur : « Des sujets différents, certains tirés par d’autres fondeurs que Peyrol, ont été présentés en 1973 à la galerie des Arts décoratifs, à Lausanne, dans le cadre de l’exposition Les Animaliers du XIXème siècle. Il s’agit de Bélier couché 9,5 x 22,5 cm […], Taureau beuglant 15 x 22 cm, Taureau couché 15 x 29 cm ».

Et voilà, nous étions en présence d’une de ces pièces, ou au moins identique à l’une d’elles.

A peine cet article terminé, je découvre qu’à Boulogne/mer, le 25 juin prochain (2011 donc), sera mis en vente un Taureau couché de Rosa Bonheur, fondu par Peyrol, son beau-frère, donc au-dessus de tout soupçon de copie ou surmoulage – les bronzes de Rosa et Isidore Bonheur fondus par Peyrol sont les plus recherchés – et dont la longueur est annoncée comme faisant 28,5 cm !

Voici qui illustre encore une fois la très grande difficulté à s’y retrouver entre les vrais et les faux bronzes, les exemplaires authentiques, les fontes d’atelier, les bronzes « d’après.. », les surmoulages, les fontes tardives… Et finalement, comme dans d’autres domaines, il n’y a qu’en « pratiquant » énormément, autrement dit en observant de très très nombreuses pièces, que l’on peut se faire une idée de l’authenticité d’une pièce.

Et cet ami a conservé son taureau couché, ce qui lui a permis de posséder les 3 taureaux que Rosa Bonheur a réalisés : Taureau marchant, Taureau beuglant et notre Taureau couché.