Monsieur Damien W. nous envoie quelques très bonnes photos d’un joli cheval bien ramassé sur ses postérieurs et une jambe levée. Il s’agit bien sûr du « Cheval turc » d’Antoine-Louis Barye.
Je ne reviens pas sur la vie de cet immense sculpteur (1795-1875), dont j’ai souvent parlé dans mes précédentes notes. Je mentionnerai simplement qu’il était si apprécié et renommé que l’année même de sa mort, une exposition rétrospective lui était consacrée à l’Ecole des Beaux-Arts à Paris, puis encore une autre, plus importante encore, 15 ans plus tard (1889), dans le but de lui ériger un monument à Paris. Elle connût un succès mitigé, à la différence de celle organisée fin 1889 aux American Art Galleries de New York, qui permit enfin l’érection du monument situé près du Jardin des Plantes. Il faut dire que les collectionneurs américains aimaient particulièrement Barye : en 1873, par exemple, la Corcoran Gallery of Art à Washington commanda un exemplaire de chacun des bronzes, soit plus de 120 pièces.
Ces informations sont extraites de l’indispensable Catalogue raisonné d’Antoine-Louis Barye, de MM. Poletti et Richarme (Univers du Bronze à Paris), édité par Gallimard. Je précise qu’il ne faut pas confondre Antoine-Louis Barye avec son fils Alfred, également excellent sculpteur (cf. plusieurs notes sur mon site). Notons que deux autres fils étaient ciseleurs. Ainsi, comme chez les Bonheur-Peyrol ou les Mêne-Cain, la sculpture était donc une affaire de famille chez les Barye !
Mais revenons à notre cheval. Pourquoi « turc » ? Je n’en sais rien et si le chanfrein montre plutôt les traits d’un cheval arabe, l’allure général me semble plus lourde.
Ce cheval fût un très grand succès dès sa création, mais le modèle a en réalité beaucoup évolué au fil du temps. Le premier Cheval turc date de 1874 et mesure 33 cm de long. Il a l’antérieur gauche levé. Ont suivi :
– Cheval turc n° 2 antérieur droit ou gauche levé (1840), terrasse rectangulaire, mesurant 32 cm de long et dont la musculature est beaucoup plus travaillée que sur le numéro 1. Tous les numéros suivants auront une morphologie assez proche de ce n°2. Les deux chevaux, levant une jambe différente, étaient destinés à faire pendant l’un de l’autre.
– Cheval turc n°2, toujours antérieur droit ou gauche levé mais cette fois terrasse ovale (1857) et mesurant 29 cm. Il n’y a pas que la terrasse (le « socle ») qui change : la position de la tête et la queue sont également un peu différents.
– Cheval turc n°3 antérieur gauche levé sur terrasse carrée (1870) et mesurant 19 cm.
– Cheval turc n° 4 antérieur gauche levé sur terrasse carrée (1870) et mesurant 13 cm de long.
Ainsi, en comptant toutes les versions selon l’antérieur levé, ce n’est pas moins de 7 versions différentes que Barye a réalisé.
Dans une note mentionnée dans le livre de MM.Richarme et Poletti, Barye écrivait : « le cheval doit avoir en résumé quatre choses larges : le front, le poitrail, la croupe, et les membres ; quatre longues : l’encolure, les rayons supérieurs, le ventre et les hanches ; quatre courtes : les reins, les oreilles, les paturons et la queue« . Que l’on soit ou non d’accord avec les canons de la beauté équine ainsi décrits, force est de constater que Barye étudiait donc de façon quasi-scientifique ses sujets d’inspiration. Cette volonté de coller à la réalité fût encore plus manifeste lorsqu’il accourut au zoo avec Géricault pour étudier le cadavre d’un fauve mort peu avant.
Le cheval de notre internaute est le n°3, comme en atteste les dimensions qu’il a relevé : 19 cm de long. Damien W. a noté l’inscription du fondeur : Barbedienne, ce qui est généralement un gage de qualité, encore plus si ce grand fondeur, qui fit l’acquisition de nombreux chefs-modèles lors de la grande vente qui suivit de très peu la mort de Barye, a apposé son fameux « cachet or » constitué des initiales FB sur un petit rectangle doré. Il ne semble pas que ce soit le cas ici.
Les auteurs du catalogue raisonné estiment que ces fontes postérieures à la mort de Barye sont très nombreuses. C’est donc la marque du fondeur et plus encore la qualité de la fonte, la ciselure, la patine qui en font une belle pièce ou un bronze quelconque. On peut même relever que de nos jours la Réunion des Musées nationaux en propose un très beau moulage en résine.
Il est évidemment difficile d’en juger uniquement sur photo car rien ne remplace l’examen de visu, mais le cheval de Monsieur W. semble très beau.
Fréquemment présenté dans ses différentes dimensions lors de ventes aux enchères, le cheval turc est presque toujours assez coté. J’ai ainsi relevé, pour un modèle identique à celui de notre internaute, un exemplaire adjugé 2 900 Euros par Artcurial Deauville le 6 décembre 2009. C’est une enchère récente qui me semble juste. On note toutefois que le prix des bronzes après des années d’inflation, est en train de baisser assez rapidement. J’ai aussi relevé une adjudication le 14 décembre 2009 à 9 500 Euros (Artcurial Drouot) mais ce prix très élevé ne peut être dû qu’aux qualité exceptionnelles de la pièce (fonte Barye, Brame, Delafontaine ?).