Dans tous les récits de chasse, les pisteurs sont loués pour leurs extraordinaires dons tant pour voir les animaux que pour retrouver leurs traces. J’avoue que j’ai d’abord été un peu sceptique : en voiture ou à pied, il m’arrivait fréquemment de repérer un animal avant les deux pisteurs. Je mettais donc un peu les qualités qu’on leur prête sur le compte de la cécité des chasseurs. C’était se montrer bien prétentieux !

 

Combien de fois nos vaillantes vigies ont-elles fait arrêter la voiture parce qu’elles avaient su repérer une silhouette parfaitement camouflée, un bout d’oreille, une tache immobile mais un peu plus sombre qui révélait une antilope, ou un peu de poussière au loin, soulevée par une bête en marche ! Mais le plus fort vient de leur extraordinaire science du comportement animal et de leur sens de l’orientation. Après deux heures de marche dans la brousse, sans que nous puissions identifier le moindre point de repère, ils savaient retrouver la piste et la voiture et ramener tout le monde à bon port.

Sculpture Colcombet Burkina Faso

Un matin, nous avons vu une centaine de buffles galoper parallèlement à la piste, à une centaine de mètre de la voiture, puis traverser devant nous, assez loin. Aussitôt, tout le monde descend, sans faire le moindre bruit ; on prend les carabines, les gourdes, les jumelles, le trépied qui sert à stabiliser la carabine au moment du tir et nous suivons les pisteurs. L’un d’eux allume tout de suite une cigarette dont la fumée indique le sens du vent, élément fondamental pour la traque d’animaux qui en général voient mal, entendent assez bien et sentent parfaitement (à peu près le contraire de l’homme).

Sculpture Colcombet Burkina Faso

Nous voilà partis pour une heure de marche dans les pailles, herbes sèches d’environ 1,50 m de hauteur, sans rien voir d’autre qu’un pisteur qui, d’un air assez nonchalant, repère quelques traces, une bouse plus fraîche que les autres – il y a beaucoup de buffles sur ce territoire – quelques herbes coupées. Soudain, il nous fait signe de nous arrêter. Nous ne voyons toujours rien, mais nous entendons un meuglement très grave à environ 50 mètres. Il y a là une cinquantaine de buffles au repos. Cette proximité est très impressionnante même s’il n’y a pas de réel danger tant qu’aucun animal n’est blessé. Il faut comprendre que les animaux ont tous une peur panique de l’homme et qu’ils préfèrent toujours la fuite tant qu’ils en ont la force.

Sculpture Colcombet Burkina Faso

Malheureusement, un bruit, un geste, une saute de vent mettent le troupeau en alerte et il part au galop, presque sans bruit. La traque recommence pendant près d’une heure, selon le même scénario, et nous sommes stupéfaits de constater que le pisteur va encore nous amener au contact des animaux malgré l’absence totale de visibilité. L’un des chasseurs s’avance avec le pisteur, à bon vent, pour trouver un beau mâle, tandis que je reste en arrière avec l’autre pisteur et l’autre chasseur. Mais n’étant pas certain que sa cible est un mâle, le chasseur attend – à juste titre – et le troupeau repart au galop… droit sur nous ! Nous ne voyons pas les animaux mais voyons et entendons les herbes et arbustes se coucher sur un front de plusieurs mètres, et de plus en plus près. A ma question, le pisteur répond que « oui, ça danger »… Nous nous rapprochons d’un arbre et le troupeau, nous apercevant, nous évite. Les animaux n’attaquait évidemment pas mais ne nous voyaient et ne nous sentaient pas.

Sculpture Colcombet Burkina Faso

Il est également arrivé que, aux heures chaudes, marchant sans un bruit dans un « couloir » à éléphant dans de très hautes herbes, le pisteur nous arrête net et nous fasse reculer doucement, face à quelques hautes masses grises somnolant à l’ombre mais se tournant lentement vers nous et écartant un peu les oreilles…