Pour beaucoup, le nom Cognacq-Jay est associé aux studios de télévision, installés à Paris dans la rue du VIIème arrondissement portant ce nom. Mais Cognacq-Jay n’était ni un cameraman ni un présentateur de télévision !
L’Hôtel de Donon
Ernest Cognacq (1839-1928) est le fondateur des Grands Magasins de la Samaritaine. Sans enfant, animé d’ambitions philanthropiques et humanitaires (il a fondé plusieurs crèches, hôpitaux et hospices), il était également amateur d’art, en particulier du XVIIIème siècle, période remise à la mode sous la Second Empire et alors considérée comme le summum du raffinement et de l’élégance. Acquérant lui-même peintures, sculptures, meubles, bibelots ou les faisant acheter pour lui par de célèbres experts et antiquaires parisiens, il a constitué une remarquable collection parfaitement homogène et présentant des chefs-d’oeuvre des plus grands artistes.
Ernest Cognacq
Installé à l’origine dans « La Samaritaine de luxe » attenant au grand magasin, son musée porte le nom d’Ernest Cognacq et de sa femme Marie-Louise Jay. En 1974, cet établissement a été fermé puis, plus tard, les bâtiments ont été vendus. L’Hôtel de Donon, au cœur du Marais, a été choisi pour accueillir la collection. Le musée est ouvert au public depuis décembre 1990.
L’Hôtel de Donon a été construit fin XVIème, sans doute par un proche du célèbre architecte Philibert de L’Orme, puis en partie remanié aux XVIIème et XVIIIème siècles. Au XIXème, abandonné, le bâtiment héberge des activités artisanales qui dénaturent l’ensemble et lorsque l’Etat en fait l’acquisition en 1974, il est dans un triste état. Classé Monument historique en 1984, il est enfin restauré et ses façades retrouvent leur aspect du XVIème siècle.
L’Hôtel de Donon avant sa restauration
Le Musée Cognacq-Jay fait partie de ces petits îlots intimes, chaleureux, préservés de Paris. On croit visiter un superbe appartement quitté il y a peu par ses occupants et l’on se prend à rêver de s’y installer. C’est le genre de joli musée que l’on visite par un dimanche d’hiver gris et très froid avant d’aller prendre un chocolat chaud chez Angelina.
Vue du canal à Venise – Canaletto
Les œuvres sont signées des plus grands noms : les ébénistes Oeben, Carlin, les sculpteurs Lemoyne, Clodion, Houdon, les peintres Tiepolo, Canaletto, Guardi, Greuze, Boucher, Fragonard, etc.
Le banquet de Cléopâtre – Tiepolo
Le retour de chasse de Diane – Boucher
Faunesse et son enfant
Deux petits faunes goûtant du raisin
La finesse des peintures de Guardi est admirable. Les peintures de ce grand artiste sont d’assez petit format mais en s’approchant, on distingue de minuscules détails, des petites touches de pinceau qui figurent très bien un gondolier, un cordage, un sillage, une porte ou une fenêtre ne mesurant pas plus d’un centimètre.
Un tableau représente une scène dramatique mais un peu amusante : visiblement, un galant, pour impressionner une jeune fille, a escaladé une ruine et de là-haut, brandissant un bouquet, a déclamé son amour à la belle. Las ! Le pied de l’intrépide a glissé, une pierre est tombée et voilà l’amoureux qui chute, dans l’affolement général.
L’accident – H.Robert
Au dernier étage, on peut admirer la superbe charpente du bâtiment, l’une des plus belles de Paris, nous apprend-on.
Et puis, forcément, il faut que « l’art » contemporain s’en mêle… Au rez-de-chaussée, une partie des collections a été déménagée pour pouvoir accueillir une reproduction de Greuze sous un verre brisé, un vaisseau glissant sur un toboggan, une peinture tournant en dérision un bel autoportrait de Quentin de La Tour… Dans l’ensemble, c’est assez laid et inutile. D’ailleurs, les visiteurs – et le personnel du Musée – s’apitoient sur la faible qualité de la plupart ces productions en comparaison avec les chefs-d’oeuvre que l’on peut voir dans le reste du musée. Le baratin pompeux des commentaires est comique tant il est caricatural (on évite de justesse la « mise en abîme« …), ce qui donne ceci par exemple :
« L’artiste ré-explore avec aplomb le genre de la peinture de portraits. Loin de vouloir produire des œuvres au rendu réaliste ou idéalisé, il bouscule la tradition à l’aide de formes gestuelles et de recherches abstraites toutes en matière. Multipliant les interventions sur la toile, il vient brosser, estomper la première image méticuleusement peinte avant d’y superposer une seconde écriture, brusque et immédiate, qui évoque les dessins d’enfants. Ce jeu de contrastes, qui est sa marque de fabrique, semble traduire une prise de distance avec la peinture même, ainsi qu’un humour noir et grinçant.«
ou encore : « La série « Portrait fissuré » est une tentative de représenter des aspects tels que « l’objet et sa signification », « la matière physique d’une œuvre en trois dimensions », en les assemblant d’une manière déformée en une seule image, créant ainsi un nouvel angle de vue. Des caractères fictifs sont au cœur de mes œuvres, l’expérience d’observation se crée par le lien qui se forme entre le spectateur et le sujet. »
et enfin, l’inévitable : « Les œuvres de l’artiste travaillent ces relations substitutives (la réduction du tout à la partie, du contenant au contenu, de l’artiste à l’oeuvre) pour exploiter au mieux la plasticité de notre visibilité libidinale : le fétichisme, le voyeurisme, l’exhibition, en un mot les modalités du fantasme, jusqu’à la plus sadique. Le mécanisme du désir n’est en effet pas ici pure affirmation, il se compose des rejets et des différés dans lesquels se noue la relation à l’objet, selon un jeu bien connu des psychanalystes entre pulsion de vie et pulsion de mort. »
Avec de tels chefs-d’œuvres littéraires, il n’y a plus besoin des créations ! Heureusement, cette « exposition » se termine bientôt et, à partir du 6 février, le musée accueillera une exposition intitulée : « Jean-Baptiste Huet, le plaisir de la nature« .
Renseignements sur : http://museecognacqjay.paris.fr/fr/publications/jean-baptiste-huet
Prochaine note : le Musée Carnavalet