Monsieur Thierry A., de Paris, nous soumet aujourd’hui un superbe bronze de Barye : « Le serpent Python avalant une biche ».
En premier lieu, une petite précision zoologique : quelle est la différence entre un python et un boa, souvent confondus ? Après quelques recherches, j’ai trouvé la meilleure réponse dans « Le règne animal » (Encyclopédie universelle Gallimard). Pythons et boas font partie du groupe des « Henophidiens », qui comprend 11 familles elles-mêmes divisées en 149 espèces. Ce sont des serpents constricteurs, c’est à dire qu’ils tuent leurs proies en les serrant fortement, soit en les étouffant – à chaque expiration, le serpent serre un peu plus son étreinte – soit parce que le cœur de de leur victime ne parvient plus à faire circuler le sang. Ce ne sont pas les seuls serpents constricteurs, mais la plupart font partie de ce groupe.
Les deux principales différences entre boas et pythons sont celles-ci : d’une part ils n’ont pas le même système de reproduction puisque les boas donnent naissance à des petits déjà vivants tandis que les pythons pondent des œufs, d’autre part leur répartition géographique n’est pas identique, les boas vivant surtout en Amérique alors que les pythons se trouvent en Afrique, Asie et Australie, mais il y a des exceptions à cette règle.
Parmi les boas, citons le boa émeraude (jusqu’à 2 mètres), d’un magnifique vert, le boa arc-en-ciel, le boa caoutchouc qui fait passer le bout de sa queue pour sa tête, le boa rosé et bien sûr l’anaconda, qui peut mesurer 10 mètres et peser 250 kg. Chez les pythons, il y a notamment le python vert, qui ressemble au boa émeraude, mais aussi le python indien (5 à 7 mètres) et le python réticulé (6 à 10 mètres). L’anaconda et les très grands boas sont assez grands et forts pour étouffer des proies importantes, comme un âne (ou un homme…).
Revenons maintenant à notre bronze.
Dans leur incontournable « Catalogue raisonné des sculptures de Barye » (Gallimard), Messieurs Richarme et Poletti expliquent qu’en octobre 1838, le Muséum d’histoire naturelle de Paris (rappelons que le zoo de Vincennes n’existe pas encore) crée un reptilarium qui accueille en particulier deux pythons de Java. Quand on sait que nombre d’artistes, en particulier de sculpteurs, passaient de longs moments en ce lieu, il n’est pas étonnant de voir apparaître à ce moment-là des scènes représentant de grands serpents étouffant leur proie, parfois jusqu’à l’exagération. Au remarquable musée Faure d’Aix-les-Bains, on peut admirer un superbe bronze d’Alfred Jacquemart (1824-1896) représentant un éland d’Afrique attaqué par un serpent. Je suis assez sceptique sur le réalisme de cette scène, l’éland, à peu près de la taille d’un cheval, étant la plus grosse des antilopes… Plus étonnant encore, de Barye, le « Cavalier africain surpris par un serpent », que l’on peut voir au Louvre (aile Richelieu) : le reptile fait allègrement le tour du cheval tombé à terre et est encore assez long pour saisir le cavalier à la gorge ! Ce serpent devait vraiment être un monstre… Peut-être un peu moins osé, on trouve encore chez Barye un « Serpent python saisissant un gnou à la gorge ». Pour mémoire, un gnou pèse quand même 200 à 250 kg. Je me demande si Barye n’aurait pas été tenté par un « Éléphant d’Afrique avalé par un serpent » ou par un « Rhinocéros blanc étouffé par un serpent python »…
Les pythons ont donc beaucoup inspiré le très grand Antoine-Louis Barye (1795-1875) puisqu’on retrouve encore dans ses œuvres un magnifique « Python étouffant un crocodile », le saurien étant comme tordu de douleur entre les anneaux de serpent, et un « Python enlaçant une gazelle ». Toutes ces œuvres datent des années 1840. Et enfin, n’oublions pas le très fameux « Lion au serpent », mais cette fois, le reptile est de petite taille et le fauve semble surtout attentif à éviter la morsure probablement venimeuse.
Le « Python avalant une biche » a été créé en 1840 dans sa première version, qui comporte une terrasse (un socle) ovale et presque lisse. La version de Monsieur A. est la seconde, où la terrasse est beaucoup plus naturaliste. Il y a également quelques petites différences dans le placement des animaux.
Les dimensions du bronze de notre internaute sont les suivantes : 34,7 cm de long, 12,1 cm de large. Ce sont bien, à 1 ou 2 mm près – ce qui n’est pas grave – les mesures « officielles » mentionnées dans le catalogue raisonné. Nous observons sur le socle la marque du fondeur : .F.BARBEDIENNE.Fondeur., exactement avec cette calligraphie. Or, MM.Richarme et Poletti nous apprennent que cette signature était utilisée « au tournant du XIXème et du XXème siècle« . Le dessous du socle, avec ses deux barres, est mentionné comme « caractéristique d’une fonte de F.Barbedienne vers 1880« . Et pour ce modèle, les auteurs écrivent que « la réalité de son édition est constitué par le tirage posthume de F.Barbedienne qui est […] l’un des moins importants de la collection ».
Arrêtons-nous maintenant sur la qualité non de la fonte mais de la sculpture elle-même. Pour modeler un serpent, n’importe qui penserait à fabriquer simplement un long boudin de terre ou de cire, ce qui ressemblerait aussi bien à un ver de terre. La très grande habileté de Barye est de parvenir à faire deviner les muscles extraordinairement puissants du reptile : son corps n’est absolument pas cylindrique. Les détails sont admirables : la peau distendue de la mâchoire inférieure du python qui commence à avaler la biche, le haut de la tête du serpent caché par les anneaux, et surtout cette impression que donnent les serpents d’être des bêtes froides et implacables, sans aucune pitié pour la beauté de la biche dont les yeux ouverts montrent encore l’effroi dans lequel elle a succombé. S’y mêle sans doute également une sorte d’épouvante face à la manière dont les serpents dévorent leurs proies : en les avalant intégralement, sans les déchirer comme le ferait un fauve à l’aide de ses crocs et de ses griffes. L’avalement de la bête quasi-intacte semble contre-nature, tant pour la victime que pour le serpent. Il s’agit évidemment d’anthropomorphisme mais c’est un des ressorts importants de la sculpture animalière romantique du XIXème siècle.
La peau du serpent est parfaitement traitée elle aussi. S’écartant radicalement de l’idée de reproduire chacune des écailles – comme on peut le voir par exemple au Louvre, d’un autre sculpteur, dans une monumentale lutte d’Hercule et du serpent, qui a l’air d’une pomme de pin… – l’artiste a opté pour de simples croisillons sur la peau.
Mais finalement pas si simples que cela car ils sont impeccablement dessinés – prouesse également du fondeur – et disposés dans le sens du corps du serpent. Là où la peau est distendue, les croisillons sont larges, tandis que là où le serpent replie ses anneaux, ils sont plus serrés. Enfin, admirons les plis formés par la peau, saisissants de vérité.
C’est donc une superbe pièce que possède Monsieur A., qui plus est dans une très belle patine. Il me demande, enfin, ce que signifient les lettres AA et le numéro 43 gravés sous le socle. Eh bien je n’en sais rien ! S’agit-il d’une marque apposée par le fondeur ? Une galerie ? Un collectionneur ? Ces chiffres sont fréquents mais je n’en connais pas la raison. Peut-être qu’un internaute avisé pourra nous renseigner…
Les modèles de Barye mettant en scène les serpents sont de nos jours très recherchés. Voici quelques exemples de résultat de vente :
– Tout récemment à Paris, le 26 octobre 2011, lors de la vente de la collection Fabius par Sotheby’s : adjugé 24 750 Euros, mais il s’agissait certainement d’une pièce exceptionnelle, probablement de l’atelier Barye, donc qui ne peut servir de point de repère.
– Deauville le 15 août 2011 : estimé entre 3 500 et 4 500 Euros mais invendu.
– New York le 25 avril 2003 : adjugé 6 570 US $
– Londres le 5 oct 2000 : adjugé 6500 GB £
Il est difficile de juger de la pertinence des adjudications de Londres et New York sans précision sur la fonte (Barye ? Barbedienne ? autre ?). Quoiqu’il en soit, pour une fonte Barbedienne de bonne qualité comme c’est le cas ici, je considère qu’une estimation raisonnable se situerait autour de 2 500 à 3 000 Euros.
Vous voulez faire estimer un bronze animalier ? Ecrivez-moi à damiencolcombet@free.fr et envoyez-moi les dimensions et des photos très nettes de votre bronze (vue d’ensemble, signatures de l’artiste et du fondeur, dessous du socle…).