Monsieur Nicolas S., qui a vu les précédents notes, m’envoie quelques photos d’un bronze. Que peut-on en dire ?

Bronze ancien Barye Colcombet

Il s’agit de la « Panthère saisissant un cerf« , d’Antoine-Louis Barye. En ce qui concerne le sculpteur, on peut se référer à la note sur « Le Cerf bramant » où j’ai brièvement exposé la vie et l’oeuvre de celui qu’on a appelé le « Michel-Ange de la ménagerie ».

Quant au bronze ici reproduit, il s’agit de la première version d’un thème que l’artiste a décliné à trois reprises, les dimensions et la terrasse (le « socle ») étant alors un peu différents, tout comme la position des animaux. Par exemple, dans les versions suivantes, les bois du cerf sont moins développés, la panthère est beaucoup plus allongée alors qu’ici elle est assise, et la queue du fauve passe entre les postérieurs du cerf (ici, elle passe à côté).

Bronze ancien Barye Colcombet

Selon MM. Richarme et Poletti (in « Barye – Catalogue raisonné des sculptures » Gallimard), le modèle a été acheté par la maison Susse dans les années 1830 pour être édité jusqu’à la seconde guerre mondiale. Cette fonderie très prestigieuse a été créée vers 1840 et s’est peu à peu spécialisée dans l’édition, travaillant pour les plus grands sculpteurs.

Les dimensions données par Monsieur S. sont exactement celles précisées par MM. Richarme et Poletti : 54 cm de long, 25 cm de large, 33 cm de haut. Il ne s’agit donc pas d’un surmoulage, ce qui est d’ailleurs évident au vu des photos.

Bronze ancien Barye Colcombet

La scène représente une panthère attaquant un cerf. Dans cette version, il a la bouche entrouverte mais la langue ne pend pas, ce qui semble lui laisser plus de chance que dans les versions suivantes, où l’on voit que la panthère a déjà gagné. Ici, rien de tel : le cerf est bien campé sur ses pattes, la panthère essaye de lui broyer la nuque mais la victoire n’est pas acquise. On voit parfois un herbivore qui semblait résigné à la mort sous la griffe des félins avoir soudain un sursaut et s’extraire des griffes et mâchoires d’un fauve qui veille surtout à ne pas se blesser. En effet, un coup de bois, de sabot ou de corne pourrait lui casser une patte et le condamner à mourir de faim puisqu’il ne pourra plus chasser.

Bronze ancien Barye Colcombet

La ciselure et la patine de cet exemplaire sont superbes : on voit, on sent le poil des deux animaux, les sabots du cerf sont fins, les bois sont plus vrais que nature et, en agrandissant la photo, on voit de très nombreux détails.

Nous avons une indication précieuse : la marque du fondeur « Susse Fres Edt. Paris ». Cela indiquerait plutôt une fonte comprise dans la période fin XIXème-1940, la signature plus ancienne étant un cachet « SUSSE Edit ».

Etape indispensable pour « expertiser » un bronze : l’examen du dessous. Là, je suis un peu décontenancé car je n’en ai jamais vu de tel. On voit un creux qui correspond à la panthère, ce qui est normal, mais la couleur est surprenante et on ne voit pas la moindre trace de vis pour tenir le cerf. N’étant pas familier avec les bronzes de Susse (je connais mieux ceux de Barbedienne), je ne sais pas s’ils sont tous ainsi ou non.

Quelle estimation donner à cette très belle pièce ? Ses atouts sont sa qualité de ciselure et sa patine, la marque du fondeur, ainsi que sa grande taille, mais elle a aussi un peu moins de mouvements que dans les modèles suivants, où la panthère et le cerf sont un peu plus en déséquilibre, ce qui crée une certaine dynamique. On peut l’estimer aux environs de 3 000 Euros. Elle a d’ailleurs été proposée récemment (17 janvier 2009) à l’étude de Provence et estimée de 2 800 à 3 000 Euros (environ 3 500 Euros frais compris).

Précision à propos des estimations : estimer une pièce à un certain prix ne veut pas dire qu’elle trouvera immédiatement preneur à ce prix-là. Encore faut-il qu’elle rencontre précisément un amateur de bronzes de cet artiste et pour ce thème. Lors des ventes aux enchères, bien que cela ne se voit pas, un très grand nombre d’objets ne sont pas vendus.

Pour être certain de vendre une pièce, il faut minorer de façon importante l’estimation, ce qui est dommage. Néanmoins, quand on n’est pas très pressé, on est à peu près certain qu’un jour un acheteur se présentera si le prix est juste. Il peut arriver aussi qu’un amateur ait une raison particulière de mettre plus que l’estimation : parce que la pièce lui manque dans sa collection, parce qu’il a vu la même dans son enfance, parce qu’il ne connait pas la valeur exacte de la pièce, etc. On peut avoir, parfois mais très rarement, une bonne surprise…

Vous voulez connaître la valeur d’un bronze animalier ? Envoyez-moi ses dimensions et obligatoirement des photos (vue générale, dessous, signature du sculpteur, le cas échéant du fondeur) à damiencolcombet@free.fr