Monsieur Arthur M. m’interroge aujourd’hui sur « un ours couché » auquel il nous dit « ne pas porter réellement un grand intérêt, ni sentimental ni esthétique ». Alors, a-t-il raison ou tort de ne pas s’enthousiasmer pour cette pièce ?
Il s’agit d’un bronze appelé par certains « Ours couché sur le dos » et par d’autres « Ours assis ». Il est vrai que sa position est un peu entre les deux. Le sculpteur est Antoine-Louis Barye (1795-1875). Pour en savoir plus sur ce génie, regardez ma note du 31 mars 2009 relative au « Cerf bramant ».
Comme à son habitude, Barye a traité de plusieurs façons ce sujet de l’ours assis : « L’ours assis » de notre internaute, « L’Ours assis N°2 » exactement dans la même position mais qui est en fait une ourse (facile à voir sur un animal couché sur le dos, pattes arrières écartées…) et ne diffère du N°1 que par quelques détails, « L’Ours dans son auge » que Barye ne voulait pas faire éditer mais qui l’a été quand même par Barbedienne, et encore un « Ours légèrement renversé » qui est sans doute le plus beau (et le plus rare).
Barye a également sculpté plusieurs scènes de bataille comprenant un ours : « Ours fuyant des chiens », « Ours terrassé par des chiens de grande race » (j’aime bien cette précision sur les chiens), « Taureau terrassé par un ours » et un très curieux « Ours monté sur un arbre mangeant un hibou » mais je n’ai jamais compris comment était représenté le hibou… Dans le même style, il a modelé un « Ratel dénichant des œufs » : le ratel ressemble à un ours mais n’en est pas un. Je me demande où Barye est allé chercher ce curieux animal. Il devait aimer les curiosités car il a également fait un zibeth, un kevel, un hémione, animaux que peu de gens connaissent. Sa scène la plus curieuse est un orang-outang à cheval sur un gnou. L’ensemble est très bien fait mais franchement grotesque, le singe tenant la crinière de l’animal d’une main, la queue de l’autre. Il parait que c’était pour se moquer des officiels qui avait refusé ses œuvres lors d’un salon.
Mais je m’éloigne de notre ours. Ce modèle a été sculpté vers 1833 et édité vers 1838. Il existe au moins deux variantes de cette pièce : soit avec une terrasse assez esquissée, un peu brute, soit avec un « profil » comme celui présenté par notre internaute, c’est-à-dire avec une sorte de socle très régulier et travaillé comme un piédestal. Cette fonte est plus tardive que la première.
De quel ours s’agit-il ? Evidemment pas d’un ours polaire, au profil beaucoup plus effilé, ni d’un ours des cocotiers, plus chétif, et sans doute pas d’un ours noir (baribal). Il reste, en gros, l’ours brun de chez nous, l’ours à collier et le grizzly. Je pencherais bien pour l’un des deux premiers si Barye lui même n’avait momentanément précisé, lors du Salon de 1833, que l’ours dans son auge était un ours des Alpes. Et comme l’ours assis lui ressemble beaucoup, on peut dire qu’il s’agit d’un ours brun. Du vivant de l’artiste, il y avait encore beaucoup d’ours, sauvages ou apprivoisés par des montreurs d’ours. La viande d’ours était d’ailleurs commercialisée même à Paris. Je me souviens d’un écrivain évoquant de grands quartiers d’ours pendus à la devanture d’une boucherie.
Arthur M. nous donne les dimensions suivantes pour sa pièce : 21 cm x 13 cm x 15 cm. Curieusement, ce ne sont pas tout à fait les dimensions précises « officielles » de cette pièce, qui présente 2 cm de trop. Mais n’est-ce pas une simple petite erreur de mesure ?
Autre élément introduisant un doute sur l’ancienneté de l’ours qui nous est ici présenté : un certain manque de détail et de finesse. Le poil de la patte arrière levée ou de la patte antérieure posée est peu distinct. Pourtant, la marque du fondeur « F.BARBEDIENNE FONDEUR » et le curieux montage dessous, avec une barre transversale, sont ceux des fontes de Barbedienne fin XIXème.
Bref, c’est là que l’on voit les limites de l’expertise par photo : rien ne peut remplacer l’observation de la pièce en réalité et on ne peut exclure ici qu’il s’agisse d’une fonte très tardive voire d’une copie. Il faudrait vérifier ses dimensions exactes, le poids, les détails à certains endroits bien précis (naseaux, yeux, etc). Il faut aussi garder à l’esprit que, curieusement, on trouve fréquemment des plâtres de cet ours, pour une raison que j’ignore. En revanche, on trouve rarement en vente cet ours en bronze.
Avec la réserve émise ci-dessus, si cette pièce est bien une fonte fin XIXème, le sujet étant plaisant, le bronze d’une certaine taille, malgré une patine verte passée de mode mais qui était courante autrefois, ce bronze est une belle pièce. A mon avis, sa fourchette de prix devrait se situer aux alentours de 2500 Euros.
Monsieur M. nous dit que ce bronze a une origine familiale. Il est certain que s’il sait qu’il est dans la famille depuis longtemps, c’est un atout supplémentaire dans l’authentification. Si c’est une copie, sa valeur ne tourne plus qu’autour de quelques centaines d’Euros.
Je comprends bien volontiers que tout le monde ne soit pas passionné par les bronzes animaliers, mais il s’agit tout de même d’une jolie pièce !
Bravo à notre internaute pour les photos parfaites.