Monsieur O. m’a envoyé il y a déjà plusieurs semaines  – je reçois de très nombreuses demandes d’avis sur des bronzes et j’y réponds toujours, mais je prends parfois du retard – d’excellentes photos d’une pièce signée Moigniez. Je souligne la qualité des clichés car il est difficile de donner un avis sur photos, mais si elle sont de mauvaises qualités, floues, cela devient impossible.

Colcombet bronze ancien Moigniez

Jules Moigniez est né à Senlis en 1835 et mort à Saint-Martin-du-Tertre (Seine-et-Oise) en 1894. Son père était doreur de métaux. Jules fut élève de Paul Comolera (1818-1897), grand sculpteur spécialisé dans les oiseaux. On voit souvent, de Comolera, une jolie petite oeuvre quoique un peu triste : un moineau mort couché sur le dos.

Moigniez exposa sa première scène lors de l’Exposition universelle de 1855 (à 20 ans !) : « Chien braque arrêtant un faisan« . Il exposa ensuite régulièrement au Salon, de 1859 à 1892. Il connût un très grand succès, tant en France qu’en Angleterre et même aux Etats-Unis, y exportant nombre de ses œuvres. Face au succès de son fils, son père créa spécialement une fonderie pour lui ; une grande partie des œuvres furent donc fondues « en famille ».

Très malade, Jules Moigniez s’est suicidé en 1894.

Colcombet bronze ancien Moigniez

Dans le « Dictionnaire illustré des sculpteurs animaliers » du Dr.Hachet (Editions Argus Valentines) comme dans « Les bronzes du XIXème siècle » de P.Kjellberg (Editions de l’Amateur), il est dit que les appréciations sur ses œuvres sont assez contrastées : certains admirent le très grand travail de ciselure, tandis que d’autres considèrent qu’il est poussé à l’excès.

Est-ce pour cela que Moigniez est sensiblement moins coté que d’autres illustres sculpteurs animaliers du XIXème siècle ? Par seulement, me semble-t-il. je trouve qu’il y a chez beaucoup d’œuvres de Moigniez un manque de vie, un aspect trop souvent figé, voire même parfois un peu caricatural. Ce n’est pas vrai de tous ses bronzes, mais un certain nombre, en particulier les chiens et les chevaux, ont une allure raide et manquent de naturel. D’une certaine façon, les bronzes de Moigniez n’ont pas la force de ceux de Barye ni l’exactitude de ceux de Mène.

Revenons au bronze de Monsieur O. Il représente donc une scène d’affrontement entre une petite belette et un coq faisan. Difficile de dire qui a attaqué l’autre car le volatile a sûrement des comptes à régler avec le petit carnivore qui vole les œufs et sait se montrer très féroce, mais la belette, malgré sa petite taille, pourrait bien être tentée de sauter au cou de l’oiseau et de le saigner !

Colcombet bronze ancien Moigniez

La signature en écriture cursive est bien caractéristique de Moigniez. Le dessous du socle révèle un montage un peu hétéroclite fait d’écrous et de clavettes, tout à fait ancien.

Colcombet bronze ancien Moigniez

Le bronze est ici posé sur une pendule tout à fait neutre et dont on voit bien qu’elle est destinée à ne pas nuire au sujet qui la surplombe. Je ne sais qui produisait les pendules de ce type, mais je les ai souvent vues servant ainsi de socle aux bronzes. Cette semaine encore, j’en ai vu une identique supportant un joli petit bronze de Delabrierre.

Le modèle initial du faisan et de la belette a été sculpté en 1864. Moigniez avait donc 29 ans. L’artiste était visiblement tout à fait confirmé à cette date, et le travail du plumage le prouve parfaitement. La belette a pourtant une drôle d’allure, ressemblant un peu à un petit ours. On note aussi l’allure un peu trop « romantique » du faisan, une patte en avant, l’autre en arrière, et la tête inclinée.

Colcombet bronze ancien Moigniez

Bref, il s’agit d’une très belle pièce, parfaitement ciselée et possédant une belle patine mais elle illustre aussi les critiques – peut-être un peu sévères… – qui peuvent être faites à Moigniez. De plus, le thème du faisan, pratiqué par presque tous les sculpteurs du XIXème, je ne sais pourquoi, est plutôt passé de mode. Perdrix et cailles sont également un peu démodées, mais certaines jolies pièces sont encore appréciées.

Colcombet bronze ancien Moigniez

Quelle valeur pour ce grand bronze, dont on donne les dimensions suivantes : 33 cm (long) x 15 cm (prof) x 35 cm (haut) ?

J’ai noté qu’un exemplaire proche, un faisan sur un petit tertre, mais probablement plus petit, était mis en vente à Valence le 17 mars. Interrogé, le commissaire-priseur l’estime à 300 ou 400 Euros.

Par ailleurs, voici quelques résultats de ventes aux enchères pour la même pièce exactement que celle de Monsieur O. :

– Tajan – Mars 2009 : estimé 3500 à 4000 Euros et invendu, ce qui n’est pas étonnant car largement surévalué.

– Liège (Belgique) – Décembre 2000 : adjugé à 1400 Euros

– Saint-Etienne – 1999 : adjugé 1200 Euros

– Toulouse – 1998 : adjugé 2100 Euros

Compte tenu de mes remarques ci-dessus sur les qualités et les « défauts » de ce bronze, il me semble qu’une estimation juste tournerait aujourd’hui autour de 1000 Euros, ou, pour être moins précis, dans une fourchette de 800 à 1200 Euros selon le lieu et le thème de la vente. Il me semble qu’il serait plus apprécié sans la pendule.

Merci à notre internaute de nous avoir montré cette jolie pièce et encore merci pour la qualité des photos.