La réalisation en bronze d’une sculpture suscite beaucoup de questions. Le processus est en effet assez complexe et souvent mal compris ; certains imaginent même que l’on sculpte le bronze comme on taille la pierre. J’ai déjà expliqué ici les longues étapes du moulage, du tirage de la cire, des retouches, de la coulée du bronze, etc. mais face aux nombreuses questions, je propose ci-dessous une vingtaine de photos décrivant pas à pas la fonte de « Coquet, taureau charolais« , photos réalisées à la fonderie Barthélémy Art à Crest (Drôme), que je remercie. Je précise qu’il s’agit ici du procédé de la fonte à la cire perdue. Je n’utilise pas le procédé de la fonte au sable.

Au commencement, il y a le modèle créé par l’artiste. Il peut être en terre crue comme ici, en terre cuite, en plâtre, en cire, en pierre ou tout autre matériau. Le licol est en cuir et les petits anneaux en métal. La chaîne qui fait le tour des cornes et l’anneau qui passe dans les naseaux ont été retirés car il est presque impossible de les mouler puis de leur faire suivre toutes les étapes ci-dessous. Ils seront donc ajoutés à la fin sur le modèle terminé.

Un moule du modèle en terre est réalisé. Ce moule est en fait double : une première couche en élastomère (à droite), au contact du modèle en terre dont elle épouse parfaitement la forme, et, par dessus, une deuxième couche (à gauche), plus solide et surtout rigide, formée de plâtre et de crin ou de sisal, et qui maintient en place l’élastomère, souple.

Lorsque l’élastomère et le plâtre sont secs, on démoule le modèle original en terre, rendu à l’artiste. On voit parfaitement ici, sur l’une des deux moitiés du moule, les deux structures : à l’intérieur, le moule en élastomère, et à l’extérieur la couche rigide en plâtre et sisal.

Dans le moule, on réalise une réplique en cire du modèle original en terre. Pour ce faire, on applique au pinceau, avec beaucoup de soin, une couche de cire assez fine. On n’utilise pas de la cire d’abeille mais une cire à base de pétrole.

Lorsque les différentes parties du moule en élastomère sont ainsi recouvertes de cire, on referme le moule en veillant à un ajustement parfait.

Il faut maintenant épaissir, par l’intérieur, la fine couche de cire, trop fragile pour être démoulée. Par un trou ménagé à cet effet, on coule de la cire très liquide et on tourne le moule en tous sens pour que la cire se répartisse uniformément.

Le démoulage de la pièce en cire est une opération délicate. On enlève d’abord la coque en plâtre puis on ôte le moule en silicone, qui, comme on le voit, est resté souple.

La cire est relativement solide mais parfois, les cornes, les oreilles, le bout des pattes cèdent et restent dans le moule en élastomère.

Le modèle en cire juste démoulé nécessite de nombreuses retouches. Il faut effacer les plans de joints (les petits décalages entre les différentes parties du moule), recoller ce qui s’est cassé, compléter les manques, effacer les éventuelles bulles, heureusement rares, etc. Sur ce taureau, il faut notamment boucher le trou sous le ventre par lequel la cire liquide a été coulée, reprendre en partie le licol, qui comporte des manques, et coller la queue, moulée à part.

Voici le modèle en cire après retouches. Celles-ci sont faites en partie par la fonderie, en partie par l’artiste. Tout ce qui peut être corrigé à cette étape doit l’être car les travaux sur le bronze sont beaucoup plus difficiles. En général, je signe et numérote mes modèles à ce stade.

Les formes en cire sont positionnées sur une sorte de manège. Des barrettes de cire sont placées de façon à former des égouts pour évacuer la cire lorsqu’elle fondra. Des petits trous sont pratiqués pour permettre au plâtre, à l’étape suivante, de remplir l’intérieur du modèle et former un « noyau » (sinon, le sujet en bronze serait plein). Des tiges de métal insérées dans ces trous maintiendront le noyau en place lorsque la cire aura fondu.

Un cylindre métallique est descendu sur la « grappe » des modèles en cire et fixé au socle. On en assure l’étanchéité avec un film plastique.

Le cylindre contenant les cires est alors rempli de plâtre.

Ci-dessus, un cylindre rempli de plâtre prêt pour la cuisson.

Les cylindres sont enfournés. La cuisson prend plusieurs jours ; elle est très progressive et très surveillée. Dans le four, qui monte à plusieurs centaines de degrés, le plâtre va sécher puis la cire va fondre et s’écouler par les « égouts » et, finalement, un trou aménagé à cet effet dans le fond du cylindre. Le noyau en plâtre, à l’intérieur de chaque pièce, ne tient plus par la cire, qui a disparue, mais grâce aux tiges de métal prévues pour cela (cf. plus haut).

Le bronze d’art est un alliage composé d’au moins 85% de cuivre. Il est livré sous forme de lingots à la fonderie, conformément à la composition qu’elle a spécifiquement demandée. La température dans le creuset atteint 1200°C.

Lorsque le bronze est liquide, il est vigoureusement mélangé pour l’homogénéiser et faire remonter les impuretés. Elles seront retirées avec une sorte d’écumoire.

La coulée : malgré la fréquence de l’opération (souvent plusieurs par semaine), c’est toujours un moment important et spectaculaire. Le bronze en fusion, magnifique, est versé avec beaucoup d’habileté dans chacun des cylindres. Il va occuper l’espace laissé libre par la cire, qui a disparu.

Peu après la coulée, parfois aussitôt, le cylindre de plâtre est plongé dans l’eau, qui se met à bouillir à gros bouillon mais refroidit quand même brûtalement le plâtre, qui éclate.

La forme en bronze apparaît alors. Mais elle n’est pas belle : il faut enlever le plâtre restant, scier les « attaques » (les tiges de bronze reliant les modèles au support) et défaire la grappe. C’est le décochage.

Une fois décoché et nettoyé, le modèle a meilleure allure. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire pour boucher les trous, faire totalement disparaître les restes d’attaques que l’on voit ici sous les sabots postérieurs et au milieu de la queue, reprendre la surface du bronze, boucher les éventuels petits creux, combler les manques, etc. C’est la ciselure, essentielle.

Voici le taureau après retouches. Comme sur la cire, elles sont effectuées par la fonderie et par l’artiste, qui a toujours son mot à dire.

Afin d’éroder les arêtes coupantes, le bronze est placé pendant quelques heures dans un tonneau vibrant et humide rempli de petits cônes en céramique.

Il reste à patiner le bronze. Pour enlever l’inévitable oxydation qui se forme très vite et créer des micro aspérités permettant à la patine d’accrocher, le modèle est sablé à haute pression. Il prend une allure blanchâtre et mate.

La patine est une oxydation de la surface du bronze. Les oxydes sont appliqués au pinceau sur le bronze fortement chauffé au chalumeau. Le coup de main du patineur – ici Aurélien, qui travaille sur tous mes bronzes et connaît parfaitement mes souhaits – est essentiel. Il faut suffisamment chauffer la pièce pour que la patine tienne mais il ne faut pas « brûler » le bronze en le chauffant trop.

On peut utiliser toutes sortes d’oxydes afin d’obtenir les teintes les plus variées. En ajoutant un peu de gouache à ces oxydes, on peut avoir des verts, des jaunes, des rouges superbes. Mais la patine ne doit pas être épaisse comme une couche de peinture : il faut deviner le métal et créer ce que les patineurs appellent « de la transparence ».

Voici le taureau patiné ; il est mat car pas encore ciré. La patine est fragile : si on la laissait ainsi, les traces de doigts se verrait et la patine s’abîmerait.

La cire que l’on applique, transparente, noire ou marron, ajoute encore des nuances au bronze. Ce n’est qu’à ce stade que l’on sait si la patine est réussie ou non. Elle peut même encore évoluer légèrement pendant quelques heures. Si elle ne convient pas, il faut sabler le modèle et recommencer. Sur la photo ci-dessus, on voit la chaîne et l’anneau du museau, touche finale de cette pièce.

En utilisant non plus de l’oxyde de fer mais du blanc de titane, on peut obtenir une patine blanche identique à la robe des vrais charolais.

 Le licol du taureau a été patiné avec soin en marron, donnant parfaitement l’illusion du cuir.