Lors de mes fréquentes visites au musée des Beaux-arts de Rennes, j’ai toujours été frappé d’étonnement devant une grande peinture (161 cm x 188 cm), une vue aérienne de Paris, plus précisément de la Seine et de la colline de Chaillot lors de l’Exposition de 1937, vues du 2ème étage de la tour Eiffel. La perspective est juste, les couleurs sont belles mais surtout la foule est particulièrement bien représentée. En s’approchant, on voit qu’en fait, chaque petit personnage est minutieusement peint, ce qui a dû demander un travail considérable.
« L’exposition de 1937 vue du deuxième étage de la tour Eiffel » – A.Devambez – Huile 1937.
Détail de la foule du tableau ci-dessus.
J’ai découvert récemment qu’en partenariat avec le musée de Rennes, le Petit Palais à Paris consacrait justement une exposition à l’auteur de cette oeuvre, le peintre André Devambez. Je l’ai visitée à deux reprises et je vous la conseille vivement. Mais dépêchez-vous : elle se termine le 5 février.
« Les grands hommes réunis dans la maison Devambez » – Lithographie et gouache 1905.
On reconnaît François Ier, Victor Hugo, Louis XIV (en bas à gauche) donnant sa carte à Napoléon Ier, Edmond Rostand, Sarah Bernhardt, etc. A droite, Le père d’André Devambez accueille une reine.
André Devambez est né à Paris en 1867. Son père Edouard, graveur et éditeur de livres d’art, s’installera en 1870 passage des Panoramas (2ème arr.). Elevé dans un climat artistique, André s’inscrit en 1884 à l’Académie Julian dans l’atelier de deux grands maîtres, Benjamin-Constant et Jules Lefèbvre. L’année suivante, il entre à l’Ecole nationale des beaux-arts. En 1889, il expose pour la première fois au Salon des Artistes Français. En 1890, à sa troisième tentative, il obtient le prix de Rome avec Le reniement de Saint Pierre, que l’on peut voir au Petit Palais. Il s’installe à la villa Médicis fin 1891 pour un long séjour puisqu’il se terminera officiellement début 1896, mais il sera interrompu par le service militaire de l’artiste.
« Paris sous la Commune ; l’appel » – Huile 1906.
En 1900, se tient l’Exposition universelle de Paris. La maison Devambez y obtient une médaille d’or et André est choisi pour illustrer la transformation et l’utilisation du papier. Cette même année, il épouse Cécile Richard, fille d’un chimiste alsacien. Il ne cessera plus d’exposer : au cercle artistique Volney, à la fameuse galerie Georges Petit (qui lui consacrera une exposition personnelle en 1913), aux Artistes Français, au Salon des Humoristes, dans différentes galeries à Nantes, Mulhouse, Strasbourg, Québec, etc.
« Le souvenir », panneau central du triptyque « La pensée aux absent » – Huile 1926-1936
Il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1905 (il sera fait Officier en 1930 puis Commandeur en 1938). En 1910, il reçoit commande de grands panneaux pour la nouvelle ambassade de France à Vienne. Pour cela, il se rendra à plusieurs reprises dans la capitale autrichienne mais, suite à la décision de l’ambassadeur de France, en 1912, de ne pas les installer, il faudra attendre 1990 pour que ces grandes peintures sur le thème des avions, métro, omnibus et aéroplanes soient placées dans ce qui s’appelle aujourd’hui le salon Devambez.
« Les projets pour l’année prochaine » – Lithographie en couleurs.
« Les incompris » (détail) – Huile 1904.
« Affalés sur une banquette de brasserie, un quarteron de bohêmes, peintres sans clientèle, acteurs sans théâtre, publicistes sans journal, dame féministe mûrie et tournée à l’aigre, boivent, théorisent et vaticinent » (Louis Vauxcelles, critique d’art)
1914 : c’est la guerre ! André Devambez a 47 ans et est trop âgé pour être mobilisé mais il n’est pas question pour lui de rester « à l’arrière ». Il participe aux premières missions de peintres organisées par le musée de l’Armée et se rend en Belgique et dans le Nord Pas-de-Calais. En 1915, il s’engage volontairement dans la section Camouflage du 13ème régiment d’infanterie et part pour la Somme mais le 3 juin, des éclats d’obus le blessent grièvement aux jambes et près de l’œil gauche. Il subit une longue convalescence mais il souffrira toute sa vie des suites de ces blessures, ce qui ne l’a pas empêché de repartir sur le front près de Verdun dès 1917.
« Souilly » – Huile, 1917. A l’arrière-plan, un camion peint par les peintres camoufleurs.
« L’attaque » – Plume, encre et gouache 1915.
La paix revenue, Devambez voyage en Espagne, Angleterre, Italie et continue à peindre et exposer. Après plusieurs tentatives, il est élu à l’Académie des beaux-arts en 1929 et nommé chef d’atelier de peinture aux Beaux-arts de Paris. Il ouvre cet atelier aux artistes femmes. Il sera professeur honoraire aux Beaux-arts en 1937, membre de l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Lyon en 1940. Il s’éteint chez lui en 1944. Un an plus tard, l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts lui consacre une rétrospective. Même si les épreuves ne l’ont pas épargné, particulièrement pendant la guerre, il connut donc une vie heureuse couronnée de succès et d’honneurs.
« Mon petit-fils » – Huile.
« Les Rois mages » – Gouache 1904. Une vision originale de l’adoration des mages !
Ce qui frappe chez André Devambez, c’est la grande diversité de ses talents. Il fut à la fois peintre classique, intimiste, religieux, portraitiste, caricaturiste, illustrateur notamment de publicités et d’albums pour enfants, affichiste, visionnaire et satiriste. Les oeuvres présentées au Petit Palais reflètent bien toute cette palette.
« Quai de métro, heure de pointe » – Lithographie sur vélin rehaussée à l’encre noire, vers 1910 (déjà !).
Mais si le titre de l’exposition est « Vertiges de l’imagination« , c’est parce que Devambez a peint de très nombreuses vues aériennes, imaginaires ou réelles. Fasciné par les progrès techniques des moyens de transport, il a représenté des avions et imaginé des omnibus volants. On comprend qu’il ait été nommé Peintre du ministère de l’air en 1934. Ce point de vue « d’en-haut » l’a conduit à illustrer Les voyages de Gulliver, de Jonathan Swift.
« La charge » – Huile vers 1902
« Gulliver en tournée » – Huile 1909.
« Port-aviation » – Huile 1910.
« Le dirigeablobus au-dessus de la place de l’Opéra » – Lithographie en couleurs 1910.
Enfin, pour terminer, signalons ses charmantes minuscules huiles (de 5 cm à 20 cm de long) réalisées pour les expositions « Tout-Petits » à la bien-nommée galerie Georges Petit, auxquelles Devambez participa pour la première fois en 1917.
« L’hôtel de la maison rouge à Clisson » – Huile 1939 (16 cm x 22 cm)
« Auguste a mauvais caractère » (extrait) – Album pour enfant (ici, le repentir) – 1914
« Ulysse et Calypso » – Huile 1936.
André Devambez (1867-1944) – Vertiges de l’imagination
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston Churchill – Paris 8ème
Du 9 septembre 2022 au 5 février 2023 – Tous les jours du mardi au dimanche de 10h à 18h (19h vendredi et samedi)
Et pour vous reposer après l’exposition ou pour oublier les trois affreuses sculptures « contemporaines », criardes et insensées, placées devant l’entrée du Petit Palais sans doute dans l’espoir – vain – d’y trouver un peu de légitimité…, asseyez-vous un instant dans le joli jardin exotique au cœur du musée.