Ma précédente note parlait de ce grand illustrateur qu’était Joseph Oberthür. J’ai trouvé récemment sur internet, à un prix très abordable, un charmant petit livre bien connu des chasseurs : « En suivant mon fusil« , de Robert Flament-Hennebique. Réédité en 1939 aux Editions de la Bonne Idée, cet ouvrage raconte quelques souvenirs de chasse, toujours amusants, de l’auteur, industriel parisien à la plume fort jolie.
Il est illustré par quelques-uns des plus grands noms du dessin de chasse : Malespina, de Poret, Mérite et… Oberthür.
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire lire une partie du chapître « Chasses en mer« , qui évoquera bien des souvenirs non seulement aux chasseurs en bateau – sans doute bien rares – mais aussi et surtout aux pêcheurs et plaisanciers mal aguerris.
« Vous êtes sur le quai, en conférence avec un pêcheur narquois qui est de son propre aveu le plus fin marin du pays. Rendez-vous est pris pour le lendemain à une heure impossible : « à cause de la marée… » mais j’incline à penser que les gens de mer ne sont pas fâchés de mettre le Parisien en état de moindre résistance pour lui assurer, à défaut de gibier, le souvenir attendri d’un formidable mal de mer.
Vous voilà donc sur le quai à deux heures du matin. C’est peut-être une bonne heure pour se coucher mais c’en est assurément une bien mauvaise pour se lever. Il fait froid. Un froid humide qui vous glace l’échine. Il pleut probablement aussi et la pluie de mer méprise les imperméables citadins. Enfin, inhabitué de vous lever de si bon matin, vous n’avez rien pu avaler et votre estomac, qui flaire déjà la houle, vous prévient loyalement qu’il ne faut pas compter sur lui.
Tous les éléments d’une excellente partie de plaisir sont donc réunis..
Le résultat dépasse les espérances. Vous embarquez parmi des objets hétéroclites aux angles agressifs, glissez sur le pont gluant, trébuchez dans des gouffres ouverts sous vos pas, et parvenez enfin à vous asseoir, la cheville tordue et le ciré en lambeaux, sur une arête aiguë qui vous scie les fesses.
L’amarre est larguée. Le moteur tourne, après quelques coquetteries, en exhalant cette bonne odeur d’huile brûlée qui contribuera puissamment à la rupture d’un équilibre stomacal déjà bien compromis.
Enfin, le bateau sort des passes. Il s’ébroue joyeusement. Une grande houle plaque ses embruns sur le cuir du marin debout à l’arrière, la pipe à la bouche, les mains dans les poches et la barre entre les genoux. Bientôt va sonner l’heure du Destin, car il a des casiers ou des filets à relever. Ce sont peut-être les siens, vous n’avez rien à dire… Supportez donc en silence le bouchonnement de l’esquif immobilisé en travers de la lame dont il épouse docilement les ondulations changeantes, car la mer est mauvaise. Bien entendu.
On repart enfin. Mais le pêcheur se désintéresse de la chasse. Vous pouvez tirer ce qui passera, bien sûr, mais aucune puissance au monde ne l’empêchera de larguer son chalut ou de tirer ses lignes à maquereaux et comme, pour ce faire, il faut marcher en ligne droite, les évolutions pour ramasser le gibier, si par extraordinaire il y en a, sont absolument impossibles.
En voilà pour une dizaine d’heures, car si la marée oblige à partir tôt, elle ne permet jamais de rentrer de bonne heure. Et quand le matelot goguenard vous aura déposé par la peau du ciré sur un quai étonnamment stable et touchera sans vergogne le prix de sa forfaiture, vous aurez l’impression réconfortante d’en avoir eu pour votre argent.
Voilà la chasse en mer. »
Ah ! Cette odeur de fioul de bateau à l’aube…