Fév 7, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Monsieur Thierry A., de Paris, nous soumet aujourd’hui un superbe bronze de Barye : « Le serpent Python avalant une biche ».
En premier lieu, une petite précision zoologique : quelle est la différence entre un python et un boa, souvent confondus ? Après quelques recherches, j’ai trouvé la meilleure réponse dans « Le règne animal » (Encyclopédie universelle Gallimard). Pythons et boas font partie du groupe des « Henophidiens », qui comprend 11 familles elles-mêmes divisées en 149 espèces. Ce sont des serpents constricteurs, c’est à dire qu’ils tuent leurs proies en les serrant fortement, soit en les étouffant – à chaque expiration, le serpent serre un peu plus son étreinte – soit parce que le cœur de de leur victime ne parvient plus à faire circuler le sang. Ce ne sont pas les seuls serpents constricteurs, mais la plupart font partie de ce groupe.
Les deux principales différences entre boas et pythons sont celles-ci : d’une part ils n’ont pas le même système de reproduction puisque les boas donnent naissance à des petits déjà vivants tandis que les pythons pondent des œufs, d’autre part leur répartition géographique n’est pas identique, les boas vivant surtout en Amérique alors que les pythons se trouvent en Afrique, Asie et Australie, mais il y a des exceptions à cette règle.
Parmi les boas, citons le boa émeraude (jusqu’à 2 mètres), d’un magnifique vert, le boa arc-en-ciel, le boa caoutchouc qui fait passer le bout de sa queue pour sa tête, le boa rosé et bien sûr l’anaconda, qui peut mesurer 10 mètres et peser 250 kg. Chez les pythons, il y a notamment le python vert, qui ressemble au boa émeraude, mais aussi le python indien (5 à 7 mètres) et le python réticulé (6 à 10 mètres). L’anaconda et les très grands boas sont assez grands et forts pour étouffer des proies importantes, comme un âne (ou un homme…).
Revenons maintenant à notre bronze.
Dans leur incontournable « Catalogue raisonné des sculptures de Barye » (Gallimard), Messieurs Richarme et Poletti expliquent qu’en octobre 1838, le Muséum d’histoire naturelle de Paris (rappelons que le zoo de Vincennes n’existe pas encore) crée un reptilarium qui accueille en particulier deux pythons de Java. Quand on sait que nombre d’artistes, en particulier de sculpteurs, passaient de longs moments en ce lieu, il n’est pas étonnant de voir apparaître à ce moment-là des scènes représentant de grands serpents étouffant leur proie, parfois jusqu’à l’exagération. Au remarquable musée Faure d’Aix-les-Bains, on peut admirer un superbe bronze d’Alfred Jacquemart (1824-1896) représentant un éland d’Afrique attaqué par un serpent. Je suis assez sceptique sur le réalisme de cette scène, l’éland, à peu près de la taille d’un cheval, étant la plus grosse des antilopes… Plus étonnant encore, de Barye, le « Cavalier africain surpris par un serpent », que l’on peut voir au Louvre (aile Richelieu) : le reptile fait allègrement le tour du cheval tombé à terre et est encore assez long pour saisir le cavalier à la gorge ! Ce serpent devait vraiment être un monstre… Peut-être un peu moins osé, on trouve encore chez Barye un « Serpent python saisissant un gnou à la gorge ». Pour mémoire, un gnou pèse quand même 200 à 250 kg. Je me demande si Barye n’aurait pas été tenté par un « Éléphant d’Afrique avalé par un serpent » ou par un « Rhinocéros blanc étouffé par un serpent python »…
Les pythons ont donc beaucoup inspiré le très grand Antoine-Louis Barye (1795-1875) puisqu’on retrouve encore dans ses œuvres un magnifique « Python étouffant un crocodile », le saurien étant comme tordu de douleur entre les anneaux de serpent, et un « Python enlaçant une gazelle ». Toutes ces œuvres datent des années 1840. Et enfin, n’oublions pas le très fameux « Lion au serpent », mais cette fois, le reptile est de petite taille et le fauve semble surtout attentif à éviter la morsure probablement venimeuse.
Le « Python avalant une biche » a été créé en 1840 dans sa première version, qui comporte une terrasse (un socle) ovale et presque lisse. La version de Monsieur A. est la seconde, où la terrasse est beaucoup plus naturaliste. Il y a également quelques petites différences dans le placement des animaux.
Les dimensions du bronze de notre internaute sont les suivantes : 34,7 cm de long, 12,1 cm de large. Ce sont bien, à 1 ou 2 mm près – ce qui n’est pas grave – les mesures « officielles » mentionnées dans le catalogue raisonné. Nous observons sur le socle la marque du fondeur : .F.BARBEDIENNE.Fondeur., exactement avec cette calligraphie. Or, MM.Richarme et Poletti nous apprennent que cette signature était utilisée « au tournant du XIXème et du XXème siècle« . Le dessous du socle, avec ses deux barres, est mentionné comme « caractéristique d’une fonte de F.Barbedienne vers 1880« . Et pour ce modèle, les auteurs écrivent que « la réalité de son édition est constitué par le tirage posthume de F.Barbedienne qui est […] l’un des moins importants de la collection ».
Arrêtons-nous maintenant sur la qualité non de la fonte mais de la sculpture elle-même. Pour modeler un serpent, n’importe qui penserait à fabriquer simplement un long boudin de terre ou de cire, ce qui ressemblerait aussi bien à un ver de terre. La très grande habileté de Barye est de parvenir à faire deviner les muscles extraordinairement puissants du reptile : son corps n’est absolument pas cylindrique. Les détails sont admirables : la peau distendue de la mâchoire inférieure du python qui commence à avaler la biche, le haut de la tête du serpent caché par les anneaux, et surtout cette impression que donnent les serpents d’être des bêtes froides et implacables, sans aucune pitié pour la beauté de la biche dont les yeux ouverts montrent encore l’effroi dans lequel elle a succombé. S’y mêle sans doute également une sorte d’épouvante face à la manière dont les serpents dévorent leurs proies : en les avalant intégralement, sans les déchirer comme le ferait un fauve à l’aide de ses crocs et de ses griffes. L’avalement de la bête quasi-intacte semble contre-nature, tant pour la victime que pour le serpent. Il s’agit évidemment d’anthropomorphisme mais c’est un des ressorts importants de la sculpture animalière romantique du XIXème siècle.
La peau du serpent est parfaitement traitée elle aussi. S’écartant radicalement de l’idée de reproduire chacune des écailles – comme on peut le voir par exemple au Louvre, d’un autre sculpteur, dans une monumentale lutte d’Hercule et du serpent, qui a l’air d’une pomme de pin… – l’artiste a opté pour de simples croisillons sur la peau.
Mais finalement pas si simples que cela car ils sont impeccablement dessinés – prouesse également du fondeur – et disposés dans le sens du corps du serpent. Là où la peau est distendue, les croisillons sont larges, tandis que là où le serpent replie ses anneaux, ils sont plus serrés. Enfin, admirons les plis formés par la peau, saisissants de vérité.
C’est donc une superbe pièce que possède Monsieur A., qui plus est dans une très belle patine. Il me demande, enfin, ce que signifient les lettres AA et le numéro 43 gravés sous le socle. Eh bien je n’en sais rien ! S’agit-il d’une marque apposée par le fondeur ? Une galerie ? Un collectionneur ? Ces chiffres sont fréquents mais je n’en connais pas la raison. Peut-être qu’un internaute avisé pourra nous renseigner…
Les modèles de Barye mettant en scène les serpents sont de nos jours très recherchés. Voici quelques exemples de résultat de vente :
– Tout récemment à Paris, le 26 octobre 2011, lors de la vente de la collection Fabius par Sotheby’s : adjugé 24 750 Euros, mais il s’agissait certainement d’une pièce exceptionnelle, probablement de l’atelier Barye, donc qui ne peut servir de point de repère.
– Deauville le 15 août 2011 : estimé entre 3 500 et 4 500 Euros mais invendu.
– New York le 25 avril 2003 : adjugé 6 570 US $
– Londres le 5 oct 2000 : adjugé 6500 GB £
Il est difficile de juger de la pertinence des adjudications de Londres et New York sans précision sur la fonte (Barye ? Barbedienne ? autre ?). Quoiqu’il en soit, pour une fonte Barbedienne de bonne qualité comme c’est le cas ici, je considère qu’une estimation raisonnable se situerait autour de 2 500 à 3 000 Euros.
Vous voulez faire estimer un bronze animalier ? Ecrivez-moi à damiencolcombet@free.fr et envoyez-moi les dimensions et des photos très nettes de votre bronze (vue d’ensemble, signatures de l’artiste et du fondeur, dessous du socle…).
Fév 1, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
(Suite de la 1ère partie)
Mes réponses : je réponds à tous les mails, dans un délai de l’ordre de 2 semaines. Il arrive qu’il soit un peu plus long, notamment en été ou bien lorsque je reçois un grand nombre de demandes simultanées (parfois une dizaine par semaine). A l’inverse, je donne suite très rapidement lorsqu’on m’a soumis une pièce sans intérêt, une copie, ou au contraire une très belle pièce car alors je ne peux résister au plaisir d’en parler.
Je donne majoritairement un avis par mail mais pour certains bronzes intéressants, de grande qualité, d’un sculpteur dont je n’ai pas encore parlé ou au contraire pour une copie que j’utiliserai de façon pédagogique, mes commentaires prennent la forme d’une note sur ce blog. Vous trouverez à droite la liste des notes ainsi rédigées.
Sur le fond, je tiens à préciser qu’il serait sans doute prétentieux de parler d’expertise et, à dessein, je n’emploie jamais ce mot. Je partage simplement mes quelques connaissances issues d’une passion pour la sculpture animalière française, connaissances acquises grâce à la lecture de nombreux livres sur le sujet mais plus encore par l’examen attentif d’un très grand nombre de pièces. Pour dire les choses simplement, lorsqu’on a vu une fois une pièce authentique (bonne fonte ancienne), on en repère immédiatement les copies.
Pour déterminer la rareté d’un bronze, il faut ensuite examiner sans relâche les catalogues de ventes aux enchères, les sites internet des maisons de vente, visiter les galeries, feuilleter chaque semaine La Gazette de Drouot…
De plus, je n’appelle pas mes avis « expertises » parce qu’en réalité rien ne remplace un examen réel de la pièce. Il faut l’avoir en main, en apprécier le poids, les petits indices (les marques de fondeur sont parfois minuscules), les défauts (trous, patine abimée), etc. L’un des pièges les plus courants vient du régule, cet alliage plus léger que le bronze et de moindre qualité. Un œil exercé permet de repérer, même sur photo, que la ciselure est moins précise, les détails moins fins que sur un bronze, mais c’est parfois difficile sur certaines pièces, comme celles de Delabrierre par exemple, alors qu’en ayant la pièce en main, la distinction devient évidente notamment au poids beaucoup plus faible et au son creux que rend le régule.
L’authenticité : c’est là une notion bien complexe dans le domaine des bronzes, qui ont toujours, à de très rares exceptions près, été tirés en plusieurs exemplaires. Un lecteur assidu de La Gazette de Drouot aura vite remarqué que « L’éléphant du Sénégal courant », « Le Tigre et le gavial » ou « La Lionne de Tunis » de Barye, ou encore « L’Accolade » de Pierre-Jules Mêne sont mis en vente, quelque part en France, presque chaque semaine.
Il est extrêmement délicat d’annoncer à quelqu’un qui est fier de posséder ce qu’il croit être un beau bronze qu’il s’agit en fait d’une copie ou d’un surmoulage. Combien de fois ai-je été amené à expliquer, de visu ou par mail, que, certes, le bronze qui m’était montré était dans la famille depuis 40 ans ou qu’il avait été payé très cher, mais qu’hélas il avait une valeur quasi nulle, sauf à tromper un éventuel acheteur, ce qu’évidement je déconseille très vivement.
La valeur du bronze : c’est dans presque tous les cas ce qui intéresse principalement les internautes qui m’écrivent, et c’est compréhensible. Bien entendu, il n’existe pas d’Argus des bronzes animaliers, donc cette valeur est toujours discutable. Généralement, au premier coup d’œil, j’ai une idée assez précise de la valeur des pièces qui me sont proposées, et les recherches ultérieures la confirme souvent. Mais je dois avouer que j’ai parfois découvert avec stupeur des valeurs très élevées que je ne soupçonnais pas – comme par exemple Le Tournoi de Bacqué – ou bien à l’inverse des prix régulièrement observés en salle des ventes et selon moi trop faibles au regard de l’intérêt de la pièce. Mais il s’agit là d’exceptions.
En donnant une valeur à un bronze, je précise fréquemment qu’il serait utile de la faire confirmer par un commissaire-priseur, qui aura la pièce en main. Je rappelle également de temps à autre qu’en salle des ventes, compte tenu des frais, le vendeur percevra au bout du compte entre 82% et 75% du prix d’adjudication tandis que l’acheteur payera 18% à 25% de frais supplémentaires. Un bronze adjugé au marteau 2000 Euros sera payé au total environ 2500 Euros par l’acheteur et le vendeur recevra environ 1600 Euros.
Une estimation n’est pas une garantie de vente à ce prix. Un bronze estimé 2000 Euros partira peut-être à seulement 1000 Euros s’il n’y a pas de prix de réserve et s’il est proposé dans une petite vente. A l’inverse, s’il se trouve dans la salle LE collectionneur qui rêve de ce bronze depuis longtemps ou bien un visiteur occasionnel qui a un coup de cœur et les moyens financiers, ou encore si un marchand sait qu’il a déjà un acheteur pour cette pièce que son client recherche, le bronze peut être vendu beaucoup plus cher.
Les suites : presque toujours, je reçois un petit mail sympathique de réponse à mon avis. Certains m’informent, par exemple, qu’ils se doutaient que leur bronze était une copie mais qu’ils y sont tout de même attachés, ou bien au contraire qu’ils tombent des nues, croyant que la pièce en question n’avait aucune valeur. Je propose souvent quelques conseils aux internautes qui, suite à mon avis, envisagent de vendre leur bronze : je leur livre – gracieusement, je le précise bien – quelques coordonnées de bonnes galeries ou de commissaires priseurs experts en ce domaine. Je n’ai absolument aucun lien avec eux, d’aucune sorte : je ne suis pas « apporteur d’affaires », je ne touche aucune commission sur les ventes ou achats.
Il m’est parfois arrivé de proposer à un internaute d’acheter son bronze mais toujours après avoir donné un avis très objectif sur la pièce. De plus, je recommande systématiquement de montrer d’abord le bronze à un commissaire priseur car je ne veux pas que le vendeur ait après coup le sentiment de s’être fait « rouler ». Ainsi, à deux ou trois reprises, j’ai acheté des bronzes sur lesquels j’avais donné mon avis et le vendeur n’a jamais fait une mauvaise affaire.
Alors pourquoi tout ceci ?
On me recommande souvent de faire payer mes avis. Je ne le souhaite pas car, comme je l’écrivais plus haut, il ne s’agit pas à proprement parler d’expertise.
Les très nombreux mails reçus m’ont souvent permis de découvrir de magnifiques pièces, d’échanger avec des collectionneurs très intéressés par les bronzes animaliers, et, par mes recherches, ils sont pour moi l’occasion d’approfondir mes connaissances et mon sens de la valeur de ces bronzes.
Ils me permettent également de faire découvrir, via mon site, mes propres créations et leur histoire, ce qui est très agréable.
Si vous aussi, vous voulez me soumettre un bronze animalier, écrivez-moi à damiencolcombet@free.fr et envoyez-moi les dimensions exactes de la pièce ainsi que des photos très nettes de l’ensemble du bronze, de la signature de l’artiste, le cas échéant de la marque du fondeur, et du dessous du socle.
Jan 29, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Voici presque deux ans (depuis mars 2009) que je reçois des demandes d’avis sur des bronzes, en nombre suffisant pour pouvoir dresser une sorte de petit bilan.
Fréquence : en moyenne deux demandes pas semaine, mais avec une période estivale beaucoup plus calme et, en hiver, parfois 5 ou 6 demandes par semaine. Bien que je précise qu’elles doivent être adressées par mail à damiencolcombet@free.fr, de nombreuses demandes sont postées en commentaires sur mon blog. D’une part, l’adresse mail du demandeur n’apparaît pas donc je ne peux répondre, d’autre part il n’y a pas de photos, pourtant indispensables à toute analyse.
Qualité des demandes reçues : elle est extrêmement variable. Dans les meilleurs cas, heureusement fréquents, je reçois bien :
- Au moins une photo d’ensemble,
- Une photo de la signature de l’artiste,
- Une photo de la marque du fondeur, lorsqu’elle est présente,
- Une photo du dessous du socle
- Les dimensions exactes.
et surtout les photos sont nettes. Il est quasiment impossible de donner un avis pertinent sur la base de photos floues.
Malheureusement, je reçois beaucoup de demandes de ce style, sans photo jointe ni autre précision :
- « J’ai un bronze signé Barye. Quelle est sa valeur ? »
- « Je possède un grand lion en bronze. Il pèse 5 kg. Combien vaut-il ? »
- « Combien puis-je vendre un cheval de Mêne ? »
- « J’ai un lion marqué Barye de 30 cm de haut à peu près. Selon vous, est-il authentique ? »
Comment répondre à ces mails ? C’est comme si l’on demandait d’estimer une voiture en donnant uniquement sa marque. Je suis à chaque fois tenté de répondre ironiquement « Un certain prix ! », ce que je ne fais pas car je crois qu’en réalité leurs auteurs ignorent souvent qu’il existe de très nombreux « faux » bronzes (mauvais retirages, copies, surmoulages…) et que chaque modèle a été édité en plusieurs exemplaires, parfois très nombreux.
De même, une photo floue n’est d’aucune utilité : tout au plus parvient-on à identifier le modèle, mais la différence entre une « bonne » pièce et une copie se reconnaissant aux petits détails, à la ciselure, à la précision des accessoires, comment y parvenir sur la base d’une photo floue ?
Les modèles reçus : Barye père (Antoine-Louis) arrive en tête, de très loin, mais d’autres sculpteurs reviennent régulièrement : Frémiet, Isidore Bonheur, Mêne, Delabrierre, ou encore Gaston d’Illiers, Moigniez… J’ai découvert certains artistes que je ne connaissais absolument pas, comme Bacqué par exemple (cf. note sur « Le Tournoi ») ou Demay. De temps à autres, me sont présentés des sujets que je ne me hasarde pas à commenter car ils sortent du domaine des bronzes animaliers français des XIXème et XXème siècles : des personnages, des bronzes asiatiques (dont l’éléphant attaqué par des tigres, que l’on me propose souvent).
Environ 50% des photos reçues concernent hélas des bronzes de peu de valeur : modèles non signés, sans grand intérêt esthétique, copies, surmoulages. Parmi les 50% restant, on retrouve fréquemment, de Barye, les panthères de l’Inde et de Tunis et différents cerfs, ou de Mêne les chevaux Ibrahim et Djinn, et, encore plus courants, ses différents modèles de lévriers.
(A suivre)
Déc 5, 2011 | • La valeur d'un bronze ancien
Monsieur Gilbert M. nous donne l’occasion de voir ici une pièce très étonnante mais absolument remarquable : l’Écorché de cheval, du sculpteur Isidore Bonheur.
« Écorché : n.m. Beaux-Arts. Statue ou dessin représentant un homme ou un animal dépouillé de sa peau pour l’étude » in Le Petit Larousse.
Je n’exposerai pas à nouveau la vie incroyable de la famille Bonheur, en particulier pas celle, fort discrète apparemment, de celui que sa sœur Rosa appelait « Mon vieux Dodore » et qui, pour l’anecdote, était notamment chargé par elle de descendre et remonter chaque jour dans l’appartement une brebis domestiquée, comme on le ferait aujourd’hui pour un chien. Si vous voulez en savoir plus sur cette lignée d’artistes, il faut vous reporter à ma note relative à l’excellent « Rosa Bonheur » de Marie Borin.
Isidore Bonheur, qui savait tout modeler ou presque – ce qui le rapproche un peu de Frémiet – est particulièrement connu pour ses chevaux, toujours magnifiques. Ils atteignent d’ailleurs souvent des sommets en ventes publiques. A titre d’exemple parmi les touts derniers résultats : « Le Grand Jockey » (longueur : 75 cm) a été adjugé à près de 11 000 Euros frais inclus à New York le 19 octobre dernier. Mais à mon sens ses plus belles pièces sont ses magnifiques étalons ni montés ni même sellés, statiques mais pleins d’élégance et de puissance, comme ce grand pur-sang (longueur : 49 cm) adjugé à près de 8500 Euros frais inclus par Christie’s à Londres le 8 mai 2009.
Pour réaliser de telles merveilles, Isidore avait forcément une excellente connaissance de l’anatomie des équidés. Était-elle essentiellement livresque ? Allait-il plutôt réaliser des observations aux abattoirs ? On peut le penser car sa sœur s’y rendait, ce qui justifia sa demande d’autorisation à la Préfecture de pouvoir « s’habiller en homme », autrement dit de pouvoir mettre un pantalon, pour des raisons de discrétion vis-à-vis de la population très masculine de ces lieux et par commodité.
Isidore a donc réalisé cet écorché étonnant. A vrai dire, c’est un écorché partiel, mais on y reconnaît tous les muscles et même les tendons et, par endroit, les veines.
Isidore Bonheur n’est pas le seul à s’être attaqué à ce sujet : parmi d’autres, citons Géricault (1791-1824), avec qui Barye assista à la dissection d’animaux sauvages au Jardin des plantes, et qui modela lui aussi un Écorché de cheval. Isidore Bonheur a peut-être été inspiré par les incroyables pièces anatomiques de Honoré Fragonard (1732-1799) cousin du peintre Jean Honoré Fragonard, en particulier de son « Écorché d’un cheval et de son cavalier ». Il s’agit là de réalisations à la limite de la médecine et de l’art par les attitudes dramatiques intentionnellement données aux sujets. Pour en savoir plus, reportez-vous par exemple à Wikipedia :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Honor%C3%A9_Fragonard
Plus près de nous et bien postérieur à I.Bonheur, André Arbus a réalisé en 1972 un Écorché de cheval visible à Villeneuve d’Ascq, mais dans un style beaucoup plus moderne.
Il est extrêmement difficile de donner une estimation pour une telle pièce, aussi atypique. Le thème peut radicalement rebuter certains collectionneurs ou au contraire ravir des passionnés d’équitation. Lorsque je donne des estimations, je le fais de manière intuitive, d’après mon expérience, puis je fais quelques recherches de résultats de vente pour les vérifier. Cette fois, j’ai dû directement faire ces recherches, même si l’un de mes critères a priori, finalement assez pertinent dans la majorité des cas (« est-ce que j’aimerais posséder cette pièce ? »), était très favorable.
Je suis tombé sur deux résultats intéressants car ils donnent des chiffres élevés bien que les deux ventes soient très différentes : l’une à Londres en 1998, l’autre à Deauville en août 2011. Notre Écorché a été adjugé à l’équivalent de 10 500 Euros dans le premier cas et à 6500 Euros dans le second. Je pense que ce sujet, assez grand (36 cm de long) devrait pouvoir renouveler le chiffre de Deauville, soit 6 500 Euros, dans une belle vente sur le thème animalier ou, mieux, de l’équitation (Deauville, Saumur ou autre).
La présence de la marque du fondeur Peyrol, mari de Juliette Bonheur et donc beau-frère de Rosa et Isidore, est un facteur certain de valorisation d’un bronze de ce type mais notre internaute n’en parle pas. On la trouve généralement sur la tranche de la terrasse – le socle – où il est simplement écrit en tout petit : « PEYROL »
Un dernier point : sur les premières photos envoyées par M.Gilbert M., le bronze présentait de curieuses traces blanches dans les creux. Était-ce du plâtre ? Difficile de le dire sur photo. Monsieur M. a finalement nettoyé son bronze – ce qui se fait très simplement avec un peu de savon à l’eau tiède, puis il faut le cirer – et le blanc a disparu : il s’agissait d’anciennes traces de savon mal rincées !
Vous avez un bronze animalier et vous souhaitez en savoir plus sur son auteur, son histoire, sa valeur ? Envoyez-moi des photos très nettes (vue d’ensemble, signature, marque éventuelle de fondeur, dessous du socle) à damiencolcombet@free.fr. Il est impossible de fournir un avis sans photo nette.
Nov 29, 2011 | • La valeur d'un bronze ancien
Monsieur Patrick C. a réalisé de très belles photos, particulièrement nettes, d’un bronze d’Emmanuel Frémiet. Il nous dit n’avoir aucun doute sur son authenticité mais en demande une estimation.
J’ai parlé à plusieurs reprises sur mon site d’Emmanuel Frémiet (1824-1910), sans doute LE plus grand sculpteur animalier français, qui savait tout faire : de l’archange Gabriel (placé au sommet du Mont-Saint-Michel) au cavalier romain, du canard au héron, de Washington à Etienne Marcel, du chameau au chien de chasse. En feuilletant « La main et le multiple« , édité par le Musée des Beaux-Arts de Dijon et le Musée de Grenoble, on reste totalement confondu par l’abondance et la diversité de son oeuvre.
En se référant à cet ouvrage, on apprend précisément que le titre exact (et assez long…) de l’oeuvre est « Centaure Térée emportant dans son antre, vivant et se débattant, des ours pris dans les montagnes de l’Hémus », et qu’il fut montré pour la première fois en 1861, en plâtre.
Mes – rapides – recherches sur internet relatives au centaure Térée n’ont rien donné : il y est question de Térée, qui fut transformé en… huppe mais qui n’était pas un centaure, ou bien des centaures en général, mais c’est tout. Les centaures, à l’exception de quelques-uns dont Chiron, étaient des êtres brutaux et représentaient pour les Grecs les appétits animaux. Si un érudit helléniste nous lit, je serais heureux d’en savoir plus sur Térée et sa passion pour les ours vivants…
Frémiet réalisa en fait plusieurs fois cette scène, avec des différences notables. Celle ici présentée est bien la première, éditée en bronze probablement en 1863. La seconde fut éditée en 1900 : Térée a de plus grandes oreilles, les coudes écartés et l’ours est soulevé plus haut que dans la première version.
Cette oeuvre fut violemment critiquée à son apparition, le centaure ne semblant pas être un « animal » digne d’être représenté en sculpture, ce qui est assez absurde. Antoine-Louis Barye représenta dans les années 1850 un « Thésée combattant le centaure Biénor » qui connut un grand succès. A l’entrée du Parc de la Tête d’Or à Lyon, on peut voir une Centauresse embrassant un faune, oeuvre du sculpteur Augustin Courtet et datant de 1848. Ce bronze a malheureusement une patine assez laide qui lui donne l’air d’être en plastique…
Les dimensions de ce bronze sont officiellement les suivantes : 36,8 cm de haut, 38,2 cm de long et 15,5 cm de profondeur.
On retrouve ici le souci du détail de Frémiet : les griffes de l’ours, les traces laissées sur le sol par ses pattes arrières traînant sur le sol, la gueule du fauve, l’air résolu et sûr de lui du Centaure…
Monsieur C. indique que la queue a été cassée et bien réparée. En réalité, il s’agit du montage d’origine, à clavette. Le dessous du socle montre bien qu’il s’agit d’une pièce ancienne.
On retrouve de temps à autre ce bronze dans les ventes aux enchères. Curieusement, sa cote n’est pas aussi élevée qu’on pourrait le penser. Il me semble que la raison vient du fait que les scènes mythologiques sont passées de mode. Il faut dire que l’enseignement du latin et encore plus du grec est en voie de disparition et que cette riche culture tend hélas à s’effacer des mémoires. Pas partout heureusement, et je connais une petite fille de 11 ans qui vient de terminer le récit des douze travaux d’Hercule et a trouvé cela passionnant ! Au fait, combien de travaux d’Hercule sauriez-vous citer ?
Pour en revenir à notre bronze, j’ai noté qu’il avait été adjugé à Drouot en 1996 pour l’équivalent de 3300 Euros et, plus récemment, à Louviers en mars 2008 à 2800 Euros.
Je considère pour ma part qu’un tel bronze devrait plutôt être estimé autour de 6 000 Euros. Toutefois, mis en vente et estimé à 6000 ou 7000 Euros, il a été plusieurs fois invendu. Il faut donc croire, malheureusement, qu’il serait adjugé probablement autour de 3500 Euros.
Vous avez un bronze animalier et vous voulez en connaître l’histoire et celle de son auteur, sa valeur ?
Envoyez un mail à damiencolcombet@free.fr accompagné des dimensions exactes et de photos très nettes (vue d’ensemble, dessous du socle, signature de sculpteur, le cas échéant du fondeur) et je vous répondrai.
Juin 13, 2011 | • La valeur d'un bronze ancien
Il y a quelques années (20 ?), une affaire de faux passeport d’un homme politique a donné lieu à l’apparition dans les médias d’une insupportable expression utilisée à tout bout de champ et de façon inappropriée : « vrai-faux ». Désormais, on n’entend plus faux, mais « vrai-faux » en permanence : un « vrai-faux » alibi, un « vrai-faux » document, une « vraie-fausse » information… Cela ne veut rien dire.
Ceci étant dit, je vais vous parler ici d’un faux faux bronze !
Un ami a acheté, lors d’une vente aux enchères, un taureau couché de Rosa Bonheur. Il me l’a montré car il était très sceptique sur l’authenticité de cette pièce.
Effectivement, plusieurs éléments étaient très troublants : d’abord une patine grisâtre curieuse, comme si la pièce était en… zinc ; ensuite, une ciselure très sommaire ; et encore, le dessous du socle gris foncé uni ayant une allure trop neuve ; enfin et surtout des dimensions anormales, puisque la longueur de cette pièce, telle que mentionnée dans les livres, est de 27 cm alors que le bronze que nous avions entre les mains mesurait 29 cm. Un écart de 2 cm soit près de 10% est trop important pour qu’il s’agisse d’une erreur de mesure. La signature – Rosa B – était en revanche bonne.
Cet ami a exposé ces faits au commissaire-priseur qui, honnête, lui a immédiatement proposé de reprendre la pièce et de le rembourser, puisque le bronze était annoncé comme « Bronze de Rosa Bonheur » et non « Bronze d’après Rosa Bonheur ». Il a toutefois marqué son étonnement puisque ce bronze venait d’une succession un peu ancienne : « cette pièce n’est peut-être pas une fonte d’époque, mais elle date sans doute des années 1950 » a-t-il fait remarquer.
Nous avons donc commencé par nettoyer soigneusement ce bronze, très encrassé. Première découverte : les détails sont bien présents, ce qui se voit sur la queue, l’œil du taureau, le chanfrein.
Deuxième opération : cirage. Un petit tour à la fonderie nous a permis de chauffer légèrement le bronze avant de le cirer, ce qui fait davantage pénétrer la cire. Et là, la patine est devenue superbe, tout à fait identique à un autre taureau de Rosa Bonheur – debout celui-ci – que possède également cet ami. On était alors en présence d’un beau bronze… sauf qu’il mesurait 2 cm de trop !
C’est le livre de référence « Les Bronzes du XIXème » de Pierre Kjellberg qui a apporté la clé de ce mystère, à l’article Rosa Bonheur : « Des sujets différents, certains tirés par d’autres fondeurs que Peyrol, ont été présentés en 1973 à la galerie des Arts décoratifs, à Lausanne, dans le cadre de l’exposition Les Animaliers du XIXème siècle. Il s’agit de Bélier couché 9,5 x 22,5 cm […], Taureau beuglant 15 x 22 cm, Taureau couché 15 x 29 cm ».
Et voilà, nous étions en présence d’une de ces pièces, ou au moins identique à l’une d’elles.
A peine cet article terminé, je découvre qu’à Boulogne/mer, le 25 juin prochain (2011 donc), sera mis en vente un Taureau couché de Rosa Bonheur, fondu par Peyrol, son beau-frère, donc au-dessus de tout soupçon de copie ou surmoulage – les bronzes de Rosa et Isidore Bonheur fondus par Peyrol sont les plus recherchés – et dont la longueur est annoncée comme faisant 28,5 cm !
Voici qui illustre encore une fois la très grande difficulté à s’y retrouver entre les vrais et les faux bronzes, les exemplaires authentiques, les fontes d’atelier, les bronzes « d’après.. », les surmoulages, les fontes tardives… Et finalement, comme dans d’autres domaines, il n’y a qu’en « pratiquant » énormément, autrement dit en observant de très très nombreuses pièces, que l’on peut se faire une idée de l’authenticité d’une pièce.
Et cet ami a conservé son taureau couché, ce qui lui a permis de posséder les 3 taureaux que Rosa Bonheur a réalisés : Taureau marchant, Taureau beuglant et notre Taureau couché.