Certains savent que j’ai eu la chance de commencer mon activité de sculpteur sous le regard attentif de Alain Delon, qui vient de nous quitter. Je voudrais ici lui rendre hommage pour sa fidèle attention et la gentillesse dont il a toujours fait preuve à mon égard. Je ne prétendrais pas qu’il était un ami ou même que nous étions proches mais il a été souvent présent en pointillé pendant plusieurs années et c’est avec émotion que je souviens de nos rencontres ou de nos échanges au téléphone.
Tout a commencé grâce à Rembrandt Bugatti (1884-1916), immense sculpteur animalier, fils de l’ébéniste Carlo Bugatti et frère de Ettore le fameux constructeur de voitures. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour l’oeuvre de Rembrandt Bugatti, ce génie torturé qui finit par mettre fin à ses jours après avoir vécu les horreurs de la Grande Guerre.
Je savais que Alain Delon possédait de nombreux bronzes de Bugatti ; était paru un ouvrage sur sa collection, que je feuilletais souvent. L’entreprise où je travaillais alors avait organisé en septembre 2005 une grande soirée de gala à Paris et invité des stars dont Delon. Je dois dire qu’à son arrivée, comme toute l’assistance, j’ai été littéralement estomaqué par l’aura qu’il dégageait : grand, très droit, un regard fulgurant, il était extraordinairement impressionnant. J’avais apporté mon exemplaire de son livre et j’ai pu m’approcher de lui pour solliciter une dédicace.
Une conversation très sympathique s’en est suivie au cours de laquelle il m’a recommandé de faire l’acquisition du Catalogue raisonné (ouvrage recensant l’intégralité des oeuvres d’un artiste) des bronzes de Bugatti mais à l’époque, ce livre écrit par Jacques-Chalom des Cordes et Véronique Fromanger des Cordes – réédité depuis – était épuisé. Alain m’ayant indiqué qu’il en avait plusieurs exemplaires, il a promis de m’en faire parvenir un.
Le 25 décembre de cette même année, Alain m’a téléphoné pour me dire qu’il attendait ce jour pour m’offrir l’ouvrage en question. Il m’a dit s’être trompé : en fait, il n’en avait plus qu’un mais cela lui faisait plaisir de m’offrir son exemplaire personnel. Clin d’œil amusant du destin : la première page de ce livre que j’ai ouverte montrait une carte postale de Rembrandt Bugatti en vacances à St-Briac, petit village breton où je passe mes vacances depuis toujours ! Par la suite, Véronique Fromanger m’a gentiment envoyé d’autres exemples de ces cartes postales briacines écrites par le sculpteur.
Dans sa dédicace sur le Catalogue raisonné, Alain faisait allusion à l’un de ses chiens – on sait qu’il en était fou – qui avait rongé le coin de l’ouvrage.
Pour remercier Alain de ce geste d’une grande délicatesse, je lui ai offert l’un de mes premiers bronzes, le buffle d’Afrique en alerte. Il n’a pas manqué de m’appeler pour me remercier et ainsi, de temps en temps, il me téléphonait pour échanger sur la sculpture, l’art, ses films, etc. Je me souviens d’un jour où il avait longuement évoqué Jean Gabin (« Mon maître »), Bourvil avec qui il avait tourné Le Cercle rouge, Lino Ventura qu’il aimait beaucoup, Romy Schneider bien sûr. « Tous mes amis sont partis maintenant et c’est bien triste » me disait-il. Il m’avait aussi raconté la façon dont il avait constitué sa collection de bronzes : en visite chez l’antiquaire Alain Lesieutre à Paris, il était tombé en arrêt sur des sculptures animalières posées négligemment par terre : des Rembrandt Bugatti. Adulé de son vivant, l’artiste était un peu oublié et ses oeuvres n’avait pas encore la cote qu’elles ont aujourd’hui (son Tamanoir a été adjugé à 1,5 millions d’Euros en 2016 à Drouot).
Un jour, Alain m’a appelé pour me dire qu’il avait repéré mon gorille Platon en vente à Drouot : « Il est magnifique et je vais l’acheter ! » promit-il, ce qu’il fit. Le lendemain de la vente, il me rappelait pour me faire partager sa joie et m’avait annoncé qu’il le mettrait dans sa collection, entre un Bugatti et un Guyot (1885-1972), autre grand sculpteur animalier dont il commençait à acheter les oeuvres. Dans un article de la Gazette de Drouot paru en mars 2010 (ci-dessus), ce gorille Platon est mentionné. Un peu plus tard, il me dit avoir repéré une autre de mes oeuvres à Drouot, mon chimpanzé Socrate et sa tortue, « Mais je ne peux pas tout acheter ! » regrettait-il. Il en fit pourtant l’acquisition : « J’ai craqué pour Socrate ! » me dit-il le lendemain.
Au fil des années, nous avons ainsi échangé cartes de vœux et conversations. Alors que je n’étais encore que sculpteur amateur, il m’avait vivement incité à consacrer ma vie à mon art et avait même écrit un mot sympathique pour le vernissage d’une exposition organisée à Bruxelles par Philippe Heim et Bruno Couck en 2014. Il avait insisté pour que, lors de mes expositions, j’indique mes bronzes qui figuraient dans sa collection, et en 2013, il espérait venir lui-même au Salon National des Artistes Animaliers de Bry-sur-Marne me remettre le prix Sandoz, ce qu’il n’a finalement pas pu faire.
En 2013, alors que j’assistais avec mon épouse à la représentation de la pièce « Une journée ordinaire » où jouaient Alain Delon et sa fille, il avait envoyé quelqu’un me rechercher dans l’assistance, pourtant très nombreuse, et m’avait accueilli dans sa loge à l’issue de la représentation. Il était aussi heureux qu’ému de jouer avec Anouchka : « Après ça, je peux mourir tranquille ! » m’assura-t-il. Je lui remis le livre que j’avais édité sur mes sculptures et le lendemain, il me rappelait pour m’en remercier.
En 2013, à l’issue de la représentation de Une journée ordinaire.
Malheureusement, la fatigue et la maladie ont fait que ses appels se sont espacés.
Alain a toujours été d’une grande gentillesse, d’une vraie délicatesse et loin de l’image qu’il pouvait parfois donner, d’une très grande humilité notamment lorsqu’il parlait des grands acteurs qu’il avait connus et des artistes dont il collectionnait les oeuvres. C’était un passionné et j’espère qu’aujourd’hui, là où il est, il a l’occasion d’échanger avec Rembrandt, Dürer, Bugatti, Guyot et tous les autres qu’il a tant aimés.
Merci Alain !