Tous les chasseurs révèrent le nom de Joseph Oberthür mais le talent de ce génial dessinateur animalier mérite d’être connu bien au-delà du monde de la chasse.
Joseph Oberthür est né à Rennes en 1872, dans une famille d’imprimeurs d’origine alsacienne installée en Bretagne : il est le fils de François-Charles Oberthür qui fonda cette entreprise réputée bien au-delà des frontières de la Bretagne. Le tréma sur le U sera retiré en 1942 par René pour franciser le nom de la famille. Enfant, je me souviens d’avoir été en classe à Rennes avec des Oberthur. L’entreprise, qui éditait notamment ces grands posters utilisés dans les classes d’histoire, de géographie et de sciences naturelles, existe toujours mais elle a été divisée en trois activités distinctes : Ouest Impression Oberthur pour l’impression et la reliure, François-Charles Oberthur Fiduciaire pour l’activité fiduciaire (dont la conception et la fabrication des cartes à puces) et les Editions Oberthur pour l’édition de calendrier et d’agendas.
Joseph était quant à lui médecin. Passionné de chasse, il révéla rapidement de grands talents de dessinateur et raconte dans ses mémoires qu’étudiant à Paris, il était bien logé et nourri grâce aux moyens de ses parents mais manquant d’argent de poche, il vendait ses premières oeuvres dans une galerie.
Il passa son enfance à Rennes, dans le beau parc de la propriété de ses parents, située à l’époque à la campagne et aujourd’hui en plein centre de la ville. Le Parc Oberthur est de nos jours un parc public appartenant à la ville. Fin XIXème, enfant, Joseph Oberthur y menait des expéditions de chasse, et se souvient même y avoir tué une loutre !
La passion de la chasse tenait tellement ce médecin qu’il constitua une belle meute de chiens et disposait bien sûr de plusieurs chevaux. Même aux non-chasseurs, je recommande vivement la lecture du livre ci-dessous « Chasses et pêches – Souvenirs et croquis« , que l’on trouve facilement et pour quelques dizaines d’Euros sur les sites de livres d’occasion.
« Voilà quinze ans que j’ai fixé ma retraite définitive dans la vieille maison de pêcheur [à Cancale, près de Saint-Malo] que mes grands-parents ont acquise il y a juste un siècle. De la pièce où j’écris, toute la baie s’étale devant mes yeux ; la mer sillonnée par de gracieux petits côtres à la voilure blanche comme des ailes de mouette et par quelques canots à moteur ; les belles bisquines à la voilure majestueuse ont presque toutes disparu : il n’y a plus assez de poisson pour entretenir des équipages de huit à dix hommes. »
« Au temps de mes jeunes années, les baigneurs, les « hors-venus » comme on disait ici, n’envahissaient point notre coin de côte. Pas de villas, rien que des maisons de granit, basses, couvertes en chaume, bâties dans les creux pour être à l’abri du vent, mais aux façades fleuries. Dans la campagne, quelques champs de blé noir ou de choux, mais surtout de la lande toute dorée au printemps par les fleurs d’ajonc. Beaucoup de vieux arbres, ormes, chênes, séparaient les propriétés et donnaient à certaines parties du pays l’apparence d’une forêt. On ne trouvait de vraies fermes, avec des champs de blé et de tabac, que dans l’arrière pays. La population côtière ignorait celle de l’intérieur et les marins considéraient celle-ci avec un certain mépris, les cultivateurs étaient pour eux des « Bertons ». Je me souviens d’un véritable scandale que fut le mariage d’un de nos voisins, fils d’un gros patron de pêche avec la fille d’un riche fermier. »
« Lorsque [mon frère et moi] eûmes une dizaine d’années, pendant les vacances au bord de mer, nos parents ne pouvaient plus nous surveiller de près. Ils recevaient de nombreux amis, partaient constamment en excursion et, sans nous compter, l’omnibus était comble ; d’ailleurs, ces promenades, ces visites de site et de propriétés manquaient d’attrait pour nous. Au lieu de faire nos devoirs de vacances nous allions courir les grèves avec les moussaillons du voisinage ; je connaissais plusieurs vieux pêcheurs qui avaient pour moi une place dans leur canot et je rentrais souvent en retard ; mon frère, souffrant du mal de mer de façon incoercible, restait à m’attendre sur le plancher des vaches : cela ne pouvait durer et comme nos parents avaient fait un essai malheureux en nous envoyant faire nos devoirs chez une espèce de toqué, ils se mirent en campagne pour trouver [comme précepteur pour l’été] l’oiseau rare ; je dois reconnaître qu’ils réussirent au delà de toute espérance pour les deux parties. »
« Un jeune séminariste du pays, d’une famille de marins, depuis quelques mois surveillant à notre collège, avait fait amitié avec nous ; pendant les récréations, nous parlions de notre cher Cancale, de pêche et de bateau ; il était plein d’entrain et de gaieté, d’esprit large, remarquablement érudit pour un si jeune homme. […] Les trois années de vacances que nous passâmes ensemble restent sans doute les plus belles de notre jeunesse. Une heure de travail bien employée suffisait, s’accordant toujours avec les moments creux des horaires de marées ; lorsqu’il s’agissait d’une grande journée de pêche ou de navigation on remettait devoirs et leçons au lendemain ; le programme n’en souffrait pas, car nous y mettions le maximum de bonne volonté.
En même temps, nous apprenions à appareiller un bateau, à connaître les basses et amers de la côte, à gréer nos lignes et à chercher de la bouette [des appâts]. »
Joseph Oberthür est un formidable conteur et un remarquable dessinateur. Bien entendu, ses sujets de prédilection se rapportent à la chasse dans nos régions : chevaux, chiens de meute, cerfs, sangliers, chevreuils, daims, renards, canards, etc.
Mais il a également publié des livres aux thèmes beaucoup plus originaux : les animaux préhistoriques ou la grande faune d’Afrique.
Cet artiste sait allier l’exactitude morphologique à la spontanéité des scènes qu’il dessine. Ses très nombreuses journées de chasse en France et à l’étranger lui fournissent l’inspiration de multiples anecdotes souvent amusantes, récits d’une époque où finalement la vie rurale était proche de celle de l’Ancien Régime.
Pour être tout à fait juste, il arrive parfois que certaines de ses peintures soient un peu trop naïves, les couleurs trop vives. Je pense que ses plus belles réussites sont ses études, en couleurs ou au crayon.
Il est également amusant d’observer que ses dessins exotiques sont moins réalistes que ceux du gibier d’Europe, probablement parce qu’Oberthür s’est trop peu – ou pas du tout ? – rendu en Afrique et en Amérique alors qu’il consacrait tous ses loisirs à la chasse dans nos bois, champs et étangs français.
Joseph Oberthür finit sa vie à Cancale, entre Saint-Malo et le Mont-Saint-Michel, dans la propriété héritée de ses grands-parents, où il mourut en 1956. Enfant, il y fit de formidables parties de pêche, dont le récit fait partie des meilleures pages de ses mémoires.
On trouve régulièrement des œuvres de Joseph Oberthür en salle des ventes et elles ne sont généralement pas trop chères, en comparaison avec celles de de Penne, par exemple. En format A4, une jolie étude d’oiseaux, de chevreuils ou de canards se situera dans une fourchette de 350 à 500 Euros.
La plupart des nombreux livres de Joseph Oberthür peuvent être trouvés sans difficultés sur internet ou à la Librairie de Montbel rue de Courcelles à Paris. Certains ont été réédités il y a quelques dizaines d’années et les véritables collectionneurs de beaux livres préféreront les éditions plus anciennes. Pour 15 Euros, j’ai trouvé chez un bouquiniste il y a quelques jours le charmant « Près des oiseaux » (1939) de Jean de Witt, illustré par Oberthür.