Madame Isabelle C. de Paris m’a envoyé de nombreuses photos d’un grand bronze qu’elle appelle « Le Maréchal Joffre », signé Malissard, et demande un avis sur cette belle pièce.
Georges Malissard est né en 1877 à Anzin et mort en 1942 à Neuilly-sur-Seine. Malgré son grand talent, il est un peu oublié de nos jours. C’est dans le remarquable « Dictionnaire illustré des sculpteurs animaliers » du Dr. Hachet (2 tomes – Argus Valentines) que j’ai trouvé le plus d’informations sur cet artiste, et plus précisément sur ce bronze.
Malissard était destiné, par ses origines, à une carrière d’industriel mais sa passion pour l’équitation, les chevaux et la sculpture en décidera autrement. Remarqué par l’architecte Constant, il est présenté à Frémiet et devient sculpteur, spécialisé dans les scènes équestres.
Il connaît alors un grand succès, tant auprès des propriétaires de chevaux dont il réalise le portrait, que du grand public. Avant la guerre, il réalise le portrait de plusieurs chevaux de Guillaume II. Après l’Armistice, l’Etat lui commande une statue des maréchaux vainqueurs : Foch, Pétain et Lyautey.
Malissard savait modeler d’autres sujets que les chevaux : lynx, éléphant d’Asie, chevreuils, sangliers, etc.
Le bronze de Madame C. est bien la réduction de la statue du Maréchal Foch – et non Joffre comme elle le pense – installée à Cassel et inaugurée le 6 juillet 1928 en présence du Maréchal lui-même et du Président Poincarré. Foch se dira à cette occasion heureux de n’avoir point été présenté avec une allure trop martiale mais dans une attitude simple. J’ai relevé que Tarbes, ville natale du Maréchal, possédait également une grande statue de Foch, mais j’en ignore l’auteur.
La plupart des bronzes de Malissard ont été fondus par le très grand Valsuani, mais ce n’est pas le cas de la pièce de notre internaute.
Observons de plus près ce grand bronze (45 cm de long et 47 cm de haut) : Isabelle C. nous dit l’avoir acheté couvert de poussière et l’avoir nettoyé comme il se doit à l’eau chaude, avec une petite brosse douce et du savon. Il était si sale qu’elle craignait, en voyant l’eau noire s’écouler, d’enlever la patine. En réalité, si l’on ne gratte pas un bronze avec du métal ou un objet dur, il n’y a pas de risques de l’abîmer. Le bronze a ensuite été ciré puis frotté et il a retrouvé un lustre que sa propriétaire n’imaginait pas. Elle a enlevé le marbre sur lequel le socle a été vissé et elle a bien fait, car cela allège l’ensemble.
Cette scène est très simple par endroit (la croupe du cheval, le manteau du maréchal) et très détaillée à d’autres (la tête du cavalier et celle de sa monture, le képi, la poitrine du Maréchal et ses décorations). On relève les étuis des pistolets devant la selle et bien sûr le bâton étoilé de Ferdinand Foch.
L’enrênement est bien étudié. Un spécialiste m’a donné les explications du mors, que les cavaliers connaissent sûrement tous : il s’agit d’un mors de filet et d’un mors de bride. Le mors de filet est le plus doux, le plus classique, utilisé dans les conditions ordinaires, mais il est ici doublé d’un mors de bride, système qui permet de parfaitement « tenir » le cheval – en l’occurrence « Bengali », la monture préférée de Foch – même sur le front où les bombardements avaient sûrement de quoi effrayer un cheval. Celui-ci, représenté « au repos, oreilles tendues en avant, donne l’impression d’être attentif au bruit de la canonnade au loin » (Dr. Hachet). Avec ce mors, une gourmette – que l’on voit bien sur le bronze – passe sous la mâchoire inférieure du cheval et le pince fortement si le cavalier tire sur les rênes. En expert, Malissard n’a pas manqué de reproduire exactement la façon de tenir les rênes d’un tel « système » et l’on voit ainsi l’une des rênes passer entre l’annulaire et l’auriculaire du cavalier.
Sur le site internet suivant, on trouve une carte postale de l’entrée de Foch à Metz en 1918, incroyablement semblable à la scène représentée en bronze : http://www.notrefamille.com/cartes-postales-photos/cartes…
Qui sait si Malissard ne s’en est pas inspiré ?
Isabelle C. regrette que les rênes ne soient plus présentes que d’un côté et se demande s’il ne faudrait pas les convertir en rênes simples mais des deux côtés. Ce serait une erreur. Il faut simplement refaire les rênes manquantes. Elle trouvera très difficilement un mince ruban de bronze de 2 ou 3 mm de large et je lui conseille plutôt de le faire faire par une fonderie, qui écrasera au marteau une baguette de bronze de soudure puis la patinera, ce qui sera parfait.
La valeur de ce bronze pâtit du fait que les scènes de ce genre sont passées de mode, Foch n’évoquant peut-être plus grand chose, hélas, pour beaucoup de monde.
Meissonier a réalisé de nombreuses scène de ce genre et l’une d’elles est visible à l’entrée du mess de St-Augustin à Paris ; je ne me souviens plus quel officier est représenté.
J’ai noté quelques résultats plus ou moins anciens de vente pour ce bronze :
– 15 décembre 2010 à Paris : 1 740 Euros frais compris
– 19 septembre 2007 à Stuttgard : 2 100 Euros hors frais
– 21 octobre 2001 à Senlis : 1 665 Euros
– 13 juin 1999 à Lille : 4 264 Euros
La beauté de la scène, la belle réalisation, la patine devraient donner à ce bronze une valeur de l’ordre de 3000 Euros environ. Toutefois, il faut reconnaître que le sujet peu à la mode conduit à estimer le prix de vente de cette pièce aux alentours de 1800 Euros à 2 000 Euros
Vous avez un bronze animalier dont vous souhaitez connaître l’histoire et la valeur ? Envoyez des photos très nettes de l’ensemble, de la signature, de l’éventuelle marque de fondeur et du dessous du socle à cette adresse : damiencolcombet@free.fr, et je vous répondrai.