Voici un bronze magnifique d’un très grand sculpteur pourtant un peu méconnu du grand public : Louis-Ernest Barrias (1841-1905). Cette « Jeanne d’Arc entravée » ou « Jeanne d’Arc prisonnière » a été créée en 5 tailles différentes, de 28 cm à 120 cm, celle-ci étant la troisième (50 cm).
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un bronze animalier, j’ai grand plaisir à parler de cette sculpture, créée en 1891, car elle est d’une finesse remarquable et les détails sont incroyablement bien faits.
Le père de Louis-Ernest Barrias était peintre sur porcelaine et son frère Félix-Joseph un peintre reconnu, d’un style « ultra-classique » (il a réalisé « La Glorification de l’Harmonie » sur l’un des plafonds de l’Opéra de Paris). Ernest n’a pas connu une enfance facile car ses parents ne s’entendaient pas, se sont séparés et il dût souvent s’occuper de sa mère malade à qui il était confié, au lieu d’aller à l’école communale. Son frère le mit au dessin puis à la sculpture. Il fut élève de grands maîtres comme Cavelier, Coignet, Jouffroy. Très tôt, il se vit confier par eux les travaux les plus délicats, suscitant raconte-t-il la jalousie des autres élèves qui s’étaient moqués de sa jeunesse, et il se fit peu à peu un nom. A 23 ans, il est Premier prix de Rome !
Bien qu’exempté, il s’engage courageusement dans l’armée en 1870 et souffre particulièrement du siège de Paris ; il en ramène une maladie pulmonaire qui ne le quittera plus. Commandeur de la Légion d’honneur, membre de l’Académie des Beaux-Arts, il est extrêmement respecté par tous pour sa modestie, sa discrétion, sa droiture morale, son dévouement à ses élèves et même à l’occasion pour son talent d’écrivain (cf. son discours de réception à l’Académie). Il meurt de « l’influenza », qu’il aurait paraît-il attrapé en sortant d’une séance à l’Institut !
Admirons le dos de l’armure de Jeanne d’Arc : elle semble plus vraie que nature, avec ses attaches, charnières et rivets. Plus bas, la cote de maille et les jambières en cuir sont remarquables.
Voici les principales œuvres de Barrias, artiste qui se rattache totalement au style classique voire Renaissance, tout comme l’excellent sculpteur Dubois :
– « Les Premières funérailles« , pièce magnifique représentant Adam et Eve éplorés portant le corps d’Abel,
– « Le serment de Spartacus« , visible au Jardin des Tuileries (un peu plus figée que ses autres pièces),
– « Les chasseurs d’Alligators » appelé aussi « Les Nubiens« , immense et fantastique fresque en relief exposée au Musée d’Orsay,
– « Jeune fille de Bou Saada« , charmante,
– « Mozart enfant« , d’une finesse également remarquable,
– « Bernard Palissy« , visible devant le Musée de la céramique à Sèvres,
– « Le monument de la Défense« , en mémoire du siège de Paris et qui donna son nom à ce quartier d’affaires.
Pour voir des images de ces œuvres, tapez simplement « Barrias » sur internet.
On voit assez souvent en vente des petits bronzes très jolis de Barrias : des enfants juchés sur une tortue géante ou bien une conque, portant un panier, avec des escargots, etc.
Le style classique de cet artiste s’exprime parfaitement dans une de ses œuvres les plus connues : « La Nature se dévoilant devant la Science« . Les thèmes de ces œuvres académiques, que l’on retrouve en peinture et en sculpture, sont amusants lorsqu’ils sont poussés jusqu’à l’absurde : « La Grammaire arrêtant la guerre », « La vérité sortant nue du puits », etc. Le peintre La Hire s’en est un peu fait une spécialité. Et pourquoi pas : « Les mathématiques terrassant la barbarie », « La danse repoussant l’orgueil » ou « L’humilité piétinant Mars et Jupiter » ?
Pour en revenir à notre Jeanne d’Arc, on voit nettement sur le socle la signature de Barrias ainsi que le nom et le cachet du fondeur : « Susse Fres Edt » pour Susse Frères Editeurs. La tranche de la terrasse porte cette belle inscription, d’une écriture cursive inclinée vers la gauche : « Vous avez pu m’enchaîner, vous n’enchaînerez jamais la Fortune de France« .
Et voici une dernière photo du joli visage de Jeanne d’Arc, dont l’artiste a su reproduire le côté juvénile, serein et déterminé qu’on lui prête bien.
La dernière fois que cette magnifique et grande pièce est passée en ventes, c’était à Saumur début 2010 et elle a été adjugée moins de 600 Euros hors frais. C’est un prix ridicule pour une oeuvre d’un tel artiste, ce qui montre à nouveau qu’il est parfois possible de faire de belles affaires en salle des ventes !
Vous avez un bronze et vous souhaitez en connaître la valeur ainsi que l’histoire du sculpteur ? Ecrivez-moi à cette adresse : damiencolcombet@free.fr, avec les dimensions exactes de la pièce et des photos très nettes (vue d’ensemble, signature, dessous du socle, marque du fondeur) et je vous répondrai.