Madame Sylvie F. m’a envoyé un joli cheval en bronze, que l’on sent musclé, dans la position typique des chevaux effrayés ou reculant : l’œil grand ouvert, les postérieurs ployés et surtout les oreilles en arrière. Dimensions : 20,5 cm x 17 cm.

Bronze ancien Barye Colcombet

Il s’agit bien sûr du « Cheval percheron » d’Antoine-Louis Barye (1795-1875), sculpteur renommé dont j’ai abondamment parlé sur mon site. La première édition de ce Percheron a eu lieu vers 1870. On ne peut s’empêcher de le rapprocher du « Cheval turc », qui a à peu près la même position : un antérieur levé, un postérieur touchant à peine le sol du bout du sabot.

A tort, on assimile souvent les percherons aux plus lourds chevaux de trait. C’est faux et il suffirait de placer côte à côte un Ardennais, un Breton, un Comtois et un Percheron pour que ce dernier ait presque, par contraste avec les trois autres, l’allure d’un cheval de selle.

Bronze ancien Barye Colcombet

Au risque d’être contredit par beaucoup, je trouve que le cheval n’est pas l’animal que Barye père maîtrisait le mieux : son « Cheval demi-sang tête levée » et son « Pur-sang d’Arabie » ont la tête trop petite, le « Cheval attaqué par un tigre » aurait presque un style année 30 et, malgré son immense succès, son « Cheval turc » n’est pas extraordinaire. Le « Cheval surpris par un lion (1ère version) » est mieux, mais il faut bien reconnaître que l’on est loin des chevaux de Mêne, dont on croit voir les muscles frémir sous la peau.

Ce Percheron me semble avoir, là encore, une tête trop petite, des oreilles trop longues et il est bien haut sur pattes ! La musculature de l’épaule est exagérée et la pièce ne présente guère de  détails ; la ciselure est un peu molle. Enfin, le socle très épais alourdit exagérément la pièce. Mais ce n’est qu’un avis car, comme on le verra plus loin, c’est un bronze de valeur.

Bronze ancien Barye Colcombet

Madame Sylvie F. a relevé un petit cachet sur la terrasse. On y lit les noms suivants : « Fumière Thiébaut Fres Paris Gavignot Srs ». Il s’agit de la marque de fondeur de Thiébaut, dont l’histoire est très riche.

En 1787, Charles Cyprien Thiébaut prend la direction de l’entreprise où il travaille, s’installe rue du Faubourg-Saint-Denis et produit essentiellement des cylindres de cuivre et accessoirement quelques objets d’art. Son fils et surtout son petit-fils Victor vont fortement développer la société et créer une fonderie en 1851. Les pièces produites sont brutes et les finitions, ciselures, patines sont réalisées par d’autres fondeurs, comme Barbedienne. Thiébaut va ainsi réaliser des bronzes pour Carpeaux, Pradier, Dubois, etc, ainsi que les médailles de David d’Angers.

Bronze ancien Barye Colcombet

Les trois fils de Victor reprendront ensuite la fonderie et produiront même des armes. Ils déménageront l’atelier rue de Villiers et ouvriront une boutique avenue de l’Opéra. On leur doit notamment le monument à la Défense de Paris (Barrias), le Triomphe de la République (Dalou) place de la Nation ainsi que la statue de la Liberté du pont de Grenelle. Fin XIXème siècle, le dernier survivant des trois frères Thiébaut s’associe avec Fumière et Gavignot, d’où le cachet sur notre percheron, puis d’autres cessions et associations suivront rapidement, avec des cachets différents et, finalement, la société disparaîtra en 1926.

Thiébaut a acheté huit modèles de Barye, dont notre Percheron mais aussi le « Petit chameau de perse », la petite « Lionne debout », le petit « Lion debout ».

On peut donc dater avec assurance la pièce de notre internaute des dernières années 1800, probablement 1898. On mesure ici l’importance de relever la présence sur un bronze d’une marque de fondeur.

Bronze ancien Barye Colcombet

Ce bronze apparaît régulièrement en salle des ventes mais n’est tout de même pas extrêmement courant. Le hasard fait qu’un exemplaire fonte Thiébaut sera mis aux enchères dans quelques jours (28 mars) à Deauville. Il est estimé entre 9000 Euros et 12 000 Euros hors frais, ce qui est beaucoup trop cher. Il me semble absolument impossible que ce bronze monte à ce prix. N’oublions pas que les fontes Thiébaut sont des fontes posthumes, et donc qu’elles ne peuvent pas être estimées au prix d’une fonte du vivant de Barye.

J’ai trouvé quelques exemples de vente de ce Percheron qui, bien que trop élevées à mon sens, sont plus raisonnables : 30 000 francs (4500 Euros) à Pontoise le 3 mars 2001, 4 500 GB£ le 29 avril 2003 à Londres, 4 850 Euros le 14 décembre 2009 chez Artcurial (pour une estimation de 2000 Euros à 3 000 Euros).

Je pense que l’estimation donnée par Artcurial est la bonne : ce bronze devrait valoir environ 3000 Euros. Mais visiblement le sujet attire les collectionneurs et il se vendrait plutôt autour de 4 500 Euros.

Merci à Madame Sylvie F. d’avoir envoyé des photos de cette belle pièce.

Vous avez un bronze animalier et vous souhaitez en connaître la valeur et l’histoire du sculpteur ? Envoyez-moi (damiencolcombet@free.fr) des photos très nettes de l’ensemble de la pièce, du dessous du socle, de la signature et de toute autre marque visible (cachet, marque de fondeur, etc). Je vous répondrai (gracieusement) sous quelques jours.