J’aime beaucoup le cirque, surtout, évidemment, pour ses animaux.
Oh ! Je sais bien que, malgré d’incontestables progrès et des réglementations plus strictes, bon nombre d’entre eux ont une toute petite cage et que les conditions sanitaires ne sont pas toujours extraordinaires. Mais c’est ainsi : depuis que suis petit, comme beaucoup, l’odeur de la paille, des éléphants, des fauves me ravit. Lorsque j’étais enfant, dans le village breton où je passais mes vacances, des petits cirques venaient l’été s’installer de nuit sur un champ à deux pas de la maison et nous étions réveillés par les coups de masse que deux monteurs assénaient en alternance sur les piquets destinés à monter la tente.
On attendait avec impatience que les camions-cages s’ouvrent et l’on découvrait parfois des animaux fascinants : une hyène à moitié folle à force de tourner dans sa cage, un hippopotame somnolent dans une cuve douteuse, un ours, un méchant babouin… A force d’en voir, les lamas et les poneys nous agaçaient un peu et nous étions fort déçus quand la ménagerie se réduisait à ces animaux-là. Habilement, un des membres du cirque nous assurait qu’à la représentation, il y aurait des fauves mais que le camion était en panne à 10 km. On ne voyait évidemment jamais ce camion, qui n’était qu’un moyen de nous attirer.
A Rennes, où la place du Champ-de-Mars offrait beaucoup plus de place, les grands cirques – Amar, Pinder, Jean Richard – déployaient leurs fastes. On apercevait parfois quelques « grands noms » et je me souviens de Jean Richard, Roger Lanzac, Achille Zavatta, Sampion Bouglione, Violette Medrano, Dick Chipperfield… Et quelle émotion en découvrant le fantastique « American Circus » : 3 pistes, plus de 60 chevaux, plus de 20 éléphants immenses…
J’ai retrouvé cette fascination dans un tout petit livre intitulé « Célébration du cirque » de Jean Monteaux. En voici un extrait que j’aime particulièrement :
« L’entracte offre à l’amateur de Cirque une joie nouvelle. Il s’intègre à la foule mouvante, il entre dans la procession désordonnée qui le conduit à la ménagerie.
Il l’a déjà visitée, le matin ou l’après-midi. Mais y vivrait-il qu’il serait toujours ému par l’odeur dont il distingue tous les composants ; les éléphants fleurent le foin chaud, les chevaux dégagent une buée végétale, les fauves ont un parfum âcre et sensuel qui prend aux reins, les otaries sentent toujours l’eau de lessive, des chimpanzés montent un parfum de fête foraine à cause des cacahuètes qu’ils épluchent, la girafe, isolée dans son enclos, curieusement, est inodore.
Il distribue le sucre, donne le pain dont il a empli ses poches en partant de chez lui ; et les baves qui se mélangent sur ses mains lui sont un délicieux plaisir. Puis il s’arrête devant le gorille.
Il subit, tête basse, honteux d’être humain, les réflexions et les quolibets que les « curieux » adressent au géant résigné – résigné mais pas indifférent : il souffre de cette atroce incompréhension populaire. L’amateur n’a pas cette résignation ; l’ignoble sottise de la foule lui devient vite insupportable. Alors, il redresse la tête ; son regard rencontre celui du gorille.
Le gorille Platon – Bronze de D.Colcombet
Il ne s’éloigne pas : il s’enfuit comme s’il avait commis une mauvaise action en sachant qu’il ne pourra jamais la réparer. le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ; les yeux du gorille en cage non plus.
L’amateur regagne sa place vers la fin de l’entracte. Avant que se rallument les projecteurs, il a toujours quelque incident à observer. le câble retendu, la sciure ratissée, un trapèze libéré, un lustre remonté, l’ouvreuse qui précipite la vente de ses bonbons pour aller enfiler un maillot pailleté de cycliste ou de patineuse, sont autant de détails qu’il croit être le seul à remarquer.
Quand les musiciens s’asseyent à leur pupitre, il éprouve l’impression confortable du père de famille qui voit ses fils s’attabler pour un dîner de famille.
A la seconde ouverture, sa joie rebondit. Elle est aussi neuve, aussi intacte, aussi enthousiaste qu’à la première. »