J’ai découvert cet été en visitant la pointe du Cotentin un sculpteur du XIXème siècle que les Cherbourgeois connaissent bien : Armand Le Véel (1821-1905).

Né à Bricquebec dans une famille de commerçants en faïences, il est l’aîné de 13 enfants. Dans ses mémoires, l’artiste raconte que, lorsque son père lui demandait de tenir l’étalage sur les marchés, il dessinait les scènes de bataille de l’Empire imprimées sur la vaisselle.

Valognes Normandie Cotentin

Valognes en Normandie, où Le Véel fut collégien

Collégien brillant et indiscipliné à Valognes puis Cherbourg, il doit travailler et à 16 ans et devient commis épicier. Ses frasques et ses dessins intempestifs lui font perdre son poste… A 19 ans, il s’installe à Paris et vit de petits métiers plus ou moins liés à l’art. Vendeur de statuettes pour la fonderie Susse, il rencontre les grands artistes de l’époque dont Jean-Jacques Feuchère (1807-1852), qui fait naître sa vocation de sculpteur. En 1855, il épousera Eugénie Feuchère, sa fille.

Feuchere Cavalier arabe Pont d'Iéna

Cavalier arabe – JJ Feuchère (Pont d’Inéa à Paris)

La voie normale à l’époque est d’entrer dans un atelier pour se former. Les élèves recherchent un maître talentueux et connu qui les guidera, généralement avec beaucoup d’exigence, et les soutiendra lors des divers concours. Le Véel a la chance de rentrer dans l’atelier de Rude, où il a pour camarades Carpeaux et Frémiet. La formation reçue et le talent de Le Véel devaient être réels car au bout de six mois, il reçoit déjà une commande, dont il peut choisir le sujet. Ce sera un personnage de l’histoire : Le Ligueur, suivi de Le Huguenot.

Le Véel musée de Cherbourg

L’histoire de France et les scènes patriotiques deviendront sa spécialité, d’autant plus qu’il participe aux évènements de ce XIXème siècle très agité. Ainsi, en 1848, il sera l’un des premiers à pénétrer dans Les Tuileries abandonnées par le roi Louis-Philippe, parti précipitamment en exil après avoir refusé que Bugeaud fasse tirer sur les émeutiers.

Le Véel musée de Cherbourg

En 1850, Le Véel participe au Salon pour la première fois en y exposant le buste de l’Amiral de Tourville. Il y reviendra en 1852 avec trois bustes dont celui de Blanqui et encore bien d’autres fois.

Musée de Cherbourg Le Véel

La ville de Cherbourg lance cette année-là un concours pour la réalisation d’une statue équestre de Napoléon Ier. Le Véel remporte ce concours mais finalement le projet est abandonné. Il est relancé en 1855 et le sculpteur l’emporte à nouveau et cette fois les choses iront jusqu’au bout. En 1857, Napoléon III passe un long moment à l’atelier pour voir l’avancement de la sculpture de son oncle. Par conviction politique, Le Véel s’absente durant la visite et évite de rencontrer l’Empereur. Le 25 juillet 1858, l’œuvre est installée à Cherbourg, juste à temps pour une rencontre « au sommet », à l’occasion de l’inauguration du grand bassin de Cherbourg, entre Napoléon III et la reine Victoria dont le yacht jette l’ancre dans le port le 5 août. Quant à l’inauguration de la statue, pour d’évidentes raisons diplomatiques, elle attendra le 8 août, la reine étant repartie deux jours plus tôt.

Cherbourg Napoléon Le Véel

Par la suite, Le Véel connaîtra le succès, à l’occasion de ses participations au Salon ou par des commandes publiques. Le Général Marceau, présenté en 1863, lui vaut la Légion d’honneur, qu’il avoue lui-même avoir « si ardemment convoitée », et pour elle s’être donné tant de mal et avoir dépensé tant d’efforts. Il reçoit la commande d’anges pour l’église Saint-Laurent à Paris, son Charlemagne est acheté par La Maison de l’Empereur et des Beaux-Arts, l’Etat lui commande Tancrède de Hauteville pour la cathédrale de Coutances, Saint Eustache pour l’église de Paris, etc.

Le Véel musée de Cherbourg

De même que Barye et David d’Angers étaient ennemis, Le Véel et Frémiet auront de mauvaises relations. Le second est un protégé du Comte de Niewerkerke, surintendant des Beaux-Arts, proche de l’Empereur et lui-même artiste. Cette concurrence se manifeste notamment en 1866 lorsque la ville de Grenoble commande une réplique de la statue de Napoléon III. Nieuwerkerke exige qu’un concours soit organisé et c’est Frémiet qui l’emporte. En 1874, pour le concours en vue de l’installation d’une Jeanne d’Arc place des Pyramides à Paris, Le Véel propose une œuvre mais, comme on le sait, c’est encore Emmanuel Frémiet qui est choisi.

Le Véel musée de Cherbourg

Un autre aspect de la vie de Le Véel est intéressant : dès sa jeunesse, il a le goût des faïences et les collectionne : « J’avais hérité de mon père un goût très prononcé pour la chasse (…) ; je l’utilisai au pourchas des faïences dont la recherche m’en procura toutes les péripéties et les émotions » écrit-il joliment. Et de fait, il constitua peu à peu une très belle collection qu’il céda en 1864 au musée de Cluny. Sa passion pour l’art et les antiquités l’accompagna tout au long de sa vie. En 1870, il fut nommé à la commission de préservation des musées, dont Courbet était président. S’opposant fortement à ce dernier, qui voulait la mettre à bas, le sculpteur parvient à sauver la colonne Vendôme. En 1885, il prit le poste honorifique de conservateur du musée de peintures et sculptures de Cherbourg et proposa la construction d’un nouveau musée.

Le Véel musée de Cherbourg

Il existait un lien très fort entre Armand Le Véel et le Cotentin. Soutenu dès sa jeunesse par le Conseil général de la Manche et à titre personnel par l’un des conseillers, l’artiste se montra en retour très généreux en faisant de nombreux dons de ses œuvres à la ville de Cherbourg et en lui léguant sa collection d’art décoratif.

Aujourd’hui, le musée d’art Thomas-Henry de Cherbourg présente de nombreuses sculptures de Le Véel. Ce musée porte le nom d’un autre généreux mécène qui dès 1831 offrit à la ville une magnifique collection de plus de 160 œuvres d’art du XVème au début du XIXème siècle, dont voici quelques photos.

Musée de Cherbourg Brueghel l'ancien Allégorie de la terre

Allégorie de la terre – Jan Brueghel l’ancien et Hendrick Van Balen

Les défenseurs de Saragosse – Maurice Orange

Les œuvres de cet artiste exceptionnel qu’était Le Méel sont très finement modelées, le bronze est impeccablement ciselé, les détails des vêtements, des uniformes et des armes sont remarquables. Le Véel, comme d’autres artistes de l’époque, attachait beaucoup d’importance à l’exactitude historique de ces détails. Qui saurait de nos jours réaliser de telles figures historiques ?

Musée de Cherbourg Pannini vue du Ciolisée et de l'arc de Constantin

G. P. Pannini – Vue du Colisée et de l’arc de Constantin

Musée de Cherbourg Léon-Gustave Ravanne Entrée de la flotte russe à Cherbourg en 1896

L’entrée de l’escadre russe dans le port de Cherbourg le 5 octobre 1896 – L.-G. Ravanne

On ne peut s’empêcher de comparer les sculptures de Le Véel avec celles de son « ennemi », Frémiet. Et je dois avouer que ma préférence va finalement à ces dernières, qui possèdent une force, une fougue, un élan épique peut-être plus forts que celles du Normand, tout en respectant une exactitude morphologique qui manque parfois chez Le Véel, particulièrement dans ses chevaux, aux attitudes parfois trop romantiques, comme certains chevaux de Delacroix et Géricaud.

Musée de Cherbourg Aigle saisissant un lièvre

Aigle saisissant un lièvre – J.-B. Oudry

Musée de Cherbourg Camille Claudel Tête de Brigand

Tête de brigand – Camille Claudel

Musée de Cherbourg Le Duc Saint Hubert

Saint Hubert – A. Le Duc

Je vous recommande la visite du joli musée des beaux-arts de Cherbourg, dont vous apprécierez aussi la Cité de la mer, où l’on peut découvrir le sous-marin Le Redoutable et revivre un peu l’épopée des grands paquebots dont l’un des plus fameux, le Titanic.

Cherbourg Le Redoutable sous-marin

Cherbourg

Quant à savoir s’il fait beau là-haut, tout à fait au nord de la pointe du Cotentin, que beaucoup imaginent constamment dans la brume ou sous la pluie, voici la réponse en photo :

Normandie Cotentin

Normandie Cotentin