Un petit livre paru récemment fait grand bruit en ce moment dans le monde des artistes, galeries, salles des ventes, collectionneurs et jusque sur le site du libraire en ligne Amazon.fr où les commentaires se répondent. Il s’agit de « La Grande Falsification – L’art contemporain » de Jean-Louis Harouel (Avril 2009 – Editions Jean Cyrille Godefroy – 172 p. – 15 Euros).
L’auteur est diplômé de Sciences Po., Agrégé des Facultés de droit, professeur à Paris II, grand connaisseur de la pensée de l’économiste Jean Fourastié et spécialiste de la sociologie de la culture (« Culture et contre-cultures » – 3ème éd. PUF 2002).
Sa thèse n’est pas tout à fait nouvelle mais elle est claire, documentée, illustrée, écrite d’une plume alerte, et par moment le déboulonnage enthousiaste de quelques grandes figures de l’art moderne est très drôle.
En résumé, l’auteur identifie le début de la crise de l’art – il traite essentiellement de la peinture et un peu de la sculpture mais pas du théâtre – à l’irruption de la photographie, qui a fait paniquer les artistes, persuadés que désormais leur travail de transcription du réel disparaîtrait au profit de cette nouvelle technique. S’en est suivie une tentative de sacralisation de l’artiste pour son rôle de medium, voyant, messie, en communication directe avec la nature ou les forces surnaturelles. Alimentée par une certaine philosophie plutôt obscurantiste et essentiellement d’origine allemande (XIXème), cette tendance poussée à l’extrême a abouti à détacher totalement l’artiste de la création. Autrement dit, puisqu’il est adoré en tant qu’artiste et non plus en tant que créateur d’œuvres admirables, il peut faire n’importe quoi – ou même rien ! – et doit même si possible se laisser totalement aller : plus je suis moi, plus on m’aime, donc je ne produis plus aucun effort, aucune idée, aucune recherche et ainsi je serai pleinement moi-même, laissant s’exprimer sans contrainte mon essence divine.
Les meilleurs exemples cités en sont d’une part cette exposition il y a quelques années dans une galerie parisienne « branchée » où il n’y avait… rien, les visiteurs étant prié d’entrer deux par deux, de se placer au centre de la pièce, de fermer les yeux et de percevoir les ondes de la création, d’autre part l’exposition par un artiste connu de ses excréments en boîte de conserve (tout ce qui vient d’un dieu est donc digne d’admiration…).
Bien sûr, comme toujours, cette tendance a été récupérée par tous ceux qui y ont vu la possibilité de gagner beaucoup d’argent, soit directement en vendant très cher ce qu’un enfant de 5 ans réaliserait en dix minutes ou ce qu’une usine produit quotidiennement à des centaines d’exemplaires, soit indirectement en bénéficiant d’une publicité massive et gratuite via l’exposition de collections d’art moderne.
En lisant ce livre, je repensais à quelques anecdotes vécues :
– Un jour, en compagnie du Conservateur, je visitais le musée d’art moderne d’une grande ville française. Comme nous étions pressés, la visite se faisait un peu au pas de charge. Poussant la porte d’une salle encombrée de gravas et de sacs poubelles, il s’excusa que les travaux n’étaient pas tous finis. Après réflexion, il fit marche arrière et retourna dans la salle : il s’agissait non pas d’un chantier mais d’une oeuvre d’art… Il en était un peu confus !
– Un artiste-peintre, deuxième Prix de Rome et décédé aujourd’hui, m’a raconté qu’un de ses amis artiste, de nos jours très connu (et dont je préfère taire le nom), avait trouvé dans un magasin de bricolage une sorte de pâte durcissant à l’air libre et l’avait fait déborder d’une valise entrouverte. « Tu vas voir que ces c… là vont l’acheter très cher » disait-il… Pari gagné !
– J’ai présenté un jour mes éléphants en bronze à une galerie d’art lyonnaise. Après avoir regardé le travail de modelage et admiré la fonte, on m’a dit que c’était très bien mais que pour être exposé dans cette galerie, il fallait faire la même chose mais très moderne, avec des angles droit et quelques gros trous en plein milieu…
– Dans le livre d’or de l’exposition Pinault à Dinard, en 2009, il y avait cette perle : « Madoff avait encore beaucoup à apprendre ».
Si l’art n’est plus qu’une idée, est-ce de l’art ? Peut-on réellement dire que la seule fonction de l’art est de « poser question » quand la réponse est immédiate ? Comment peut-on accorder le Grand Palais à un « plasticien » qui se contente d’empiler des montagnes de vêtements ? N’y a-t-il plus aucun grand artiste figuratif contemporain puisqu’aucun n’a droit à une telle enceinte ? Pourquoi le fait d’annoncer que tel artiste « se pose des questions sur la mort », est « interrogé par le temps qui passe » lui donne-t-il automatiquement un statut hors norme alors que mon boucher, le gardien de phare et le PDG de Microsoft se posent les mêmes questions ?
Bien entendu, le livre de de J.-L. Harouel est proche du pamphlet et parfois un peu caricatural, mais il faut s’efforcer – ce qui est facile – de comprendre le message et admettre qu’un petit livre d’environ 170 pages ne peut contenir toutes les nuances qui s’imposent. C’est un livre à lire absolument. Je ne critiquerai qu’un seul passage, celui où l’auteur se moque de la « fièvre créatrice » et de la très grande émotion quasi-surnaturelle de l’artiste lorsque l’oeuvre apparaît entre ses mains de peintre ou de sculpteur. Cette émotion est réelle et n’est pas qu’une posture.
Une chose est rassurante toutefois : j’observe que l’éblouissement devant l’art contemporain se tasse, sans doute après les déconvenues de certains suite à la crise économique, et que les amateurs sont de plus en plus nombreux à dire que le roi est nu…