Fév 29, 2012 | • Visites et Musées
Dès que je le peux, je file au Louvre ou au Musée d’Orsay voir les sculptures. Il y a toujours, à la librairie, un beau livre à acheter (cette fois, « Le cheval et la sculpture » par la Dieleman Gallery – Editions du Perron). Mais surtout, il y a les plus beaux bronzes animaliers que l’on puisse imaginer. Par exemple, si vous avez 10 Euros en poche et une heure devant vous, allez voir, dans l’aile Richelieu du Louvre, la très belle collection des Barye, dont les modèles du surtout de table du Duc d’Orléans.

Il s’agissait (il a malheureusement été dispersé) d’un remarquable ensemble auquel plusieurs artistes renommés ont travaillé, et qui comprenait notamment, d’Antoine-Louis Barye, quatre grandes scènes de chasse et plusieurs animaux isolés. Au Louvre, on peut voir deux scènes : la chasse au lion (le lion et la lionne ont tué un buffle et se font à leur tour attaquer par les cavaliers, qui ont l’air d’avoir quelques soucis) et la chasse au taureau sauvage. Il s’agit d’un incroyable enchevêtrement d’hommes et d’animaux qui laissent une terrible impression de sauvagerie et de puissance.

On peut admirer également une partie de la chasse au tigre : l’éléphant d’Asie surmonté d’un cornac. Il manque la nacelle où ont pris place les chasseurs ainsi que les tigres qui montent littéralement à l’assaut de l’ensemble. Sur la photo, derrière cette pièce, on aperçoit le cavalier attaqué par un serpent dont j’ai parlé dans ma note sur le « Serpent python avalant une biche ».

Parmi les autres grandes pièces, il faut voir le très curieux « Angélique et Roger montés sur l’hippogriffe » fondu par Gonon, dont la version en bronze et colorée est en couverture du Catalogue raisonné des bronzes de Barye MM.Richarme et Poletti).

Et puis il y a toutes les autres pièces de Barye, de Frémiet, de Cain, Fratin… Les photos ne sont pas très bonnes car je les ai prises dans de mauvaises conditions (je les referai dès que possible) mais elles donnent un aperçu de la richesse de la collection.

Enfin, on peut admirer un très grand exemplaire, d’une ciselure remarquable, du Lion au serpent, dont le modèle en plâtre est d’ailleurs au musée des Beaux-arts de Lyon.


Fév 7, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
Monsieur Thierry A., de Paris, nous soumet aujourd’hui un superbe bronze de Barye : « Le serpent Python avalant une biche ».

En premier lieu, une petite précision zoologique : quelle est la différence entre un python et un boa, souvent confondus ? Après quelques recherches, j’ai trouvé la meilleure réponse dans « Le règne animal » (Encyclopédie universelle Gallimard). Pythons et boas font partie du groupe des « Henophidiens », qui comprend 11 familles elles-mêmes divisées en 149 espèces. Ce sont des serpents constricteurs, c’est à dire qu’ils tuent leurs proies en les serrant fortement, soit en les étouffant – à chaque expiration, le serpent serre un peu plus son étreinte – soit parce que le cœur de de leur victime ne parvient plus à faire circuler le sang. Ce ne sont pas les seuls serpents constricteurs, mais la plupart font partie de ce groupe.
Les deux principales différences entre boas et pythons sont celles-ci : d’une part ils n’ont pas le même système de reproduction puisque les boas donnent naissance à des petits déjà vivants tandis que les pythons pondent des œufs, d’autre part leur répartition géographique n’est pas identique, les boas vivant surtout en Amérique alors que les pythons se trouvent en Afrique, Asie et Australie, mais il y a des exceptions à cette règle.
Parmi les boas, citons le boa émeraude (jusqu’à 2 mètres), d’un magnifique vert, le boa arc-en-ciel, le boa caoutchouc qui fait passer le bout de sa queue pour sa tête, le boa rosé et bien sûr l’anaconda, qui peut mesurer 10 mètres et peser 250 kg. Chez les pythons, il y a notamment le python vert, qui ressemble au boa émeraude, mais aussi le python indien (5 à 7 mètres) et le python réticulé (6 à 10 mètres). L’anaconda et les très grands boas sont assez grands et forts pour étouffer des proies importantes, comme un âne (ou un homme…).
Revenons maintenant à notre bronze.

Dans leur incontournable « Catalogue raisonné des sculptures de Barye » (Gallimard), Messieurs Richarme et Poletti expliquent qu’en octobre 1838, le Muséum d’histoire naturelle de Paris (rappelons que le zoo de Vincennes n’existe pas encore) crée un reptilarium qui accueille en particulier deux pythons de Java. Quand on sait que nombre d’artistes, en particulier de sculpteurs, passaient de longs moments en ce lieu, il n’est pas étonnant de voir apparaître à ce moment-là des scènes représentant de grands serpents étouffant leur proie, parfois jusqu’à l’exagération. Au remarquable musée Faure d’Aix-les-Bains, on peut admirer un superbe bronze d’Alfred Jacquemart (1824-1896) représentant un éland d’Afrique attaqué par un serpent. Je suis assez sceptique sur le réalisme de cette scène, l’éland, à peu près de la taille d’un cheval, étant la plus grosse des antilopes… Plus étonnant encore, de Barye, le « Cavalier africain surpris par un serpent », que l’on peut voir au Louvre (aile Richelieu) : le reptile fait allègrement le tour du cheval tombé à terre et est encore assez long pour saisir le cavalier à la gorge ! Ce serpent devait vraiment être un monstre… Peut-être un peu moins osé, on trouve encore chez Barye un « Serpent python saisissant un gnou à la gorge ». Pour mémoire, un gnou pèse quand même 200 à 250 kg. Je me demande si Barye n’aurait pas été tenté par un « Éléphant d’Afrique avalé par un serpent » ou par un « Rhinocéros blanc étouffé par un serpent python »…

Les pythons ont donc beaucoup inspiré le très grand Antoine-Louis Barye (1795-1875) puisqu’on retrouve encore dans ses œuvres un magnifique « Python étouffant un crocodile », le saurien étant comme tordu de douleur entre les anneaux de serpent, et un « Python enlaçant une gazelle ». Toutes ces œuvres datent des années 1840. Et enfin, n’oublions pas le très fameux « Lion au serpent », mais cette fois, le reptile est de petite taille et le fauve semble surtout attentif à éviter la morsure probablement venimeuse.
Le « Python avalant une biche » a été créé en 1840 dans sa première version, qui comporte une terrasse (un socle) ovale et presque lisse. La version de Monsieur A. est la seconde, où la terrasse est beaucoup plus naturaliste. Il y a également quelques petites différences dans le placement des animaux.

Les dimensions du bronze de notre internaute sont les suivantes : 34,7 cm de long, 12,1 cm de large. Ce sont bien, à 1 ou 2 mm près – ce qui n’est pas grave – les mesures « officielles » mentionnées dans le catalogue raisonné. Nous observons sur le socle la marque du fondeur : .F.BARBEDIENNE.Fondeur., exactement avec cette calligraphie. Or, MM.Richarme et Poletti nous apprennent que cette signature était utilisée « au tournant du XIXème et du XXème siècle« . Le dessous du socle, avec ses deux barres, est mentionné comme « caractéristique d’une fonte de F.Barbedienne vers 1880« . Et pour ce modèle, les auteurs écrivent que « la réalité de son édition est constitué par le tirage posthume de F.Barbedienne qui est […] l’un des moins importants de la collection ».

Arrêtons-nous maintenant sur la qualité non de la fonte mais de la sculpture elle-même. Pour modeler un serpent, n’importe qui penserait à fabriquer simplement un long boudin de terre ou de cire, ce qui ressemblerait aussi bien à un ver de terre. La très grande habileté de Barye est de parvenir à faire deviner les muscles extraordinairement puissants du reptile : son corps n’est absolument pas cylindrique. Les détails sont admirables : la peau distendue de la mâchoire inférieure du python qui commence à avaler la biche, le haut de la tête du serpent caché par les anneaux, et surtout cette impression que donnent les serpents d’être des bêtes froides et implacables, sans aucune pitié pour la beauté de la biche dont les yeux ouverts montrent encore l’effroi dans lequel elle a succombé. S’y mêle sans doute également une sorte d’épouvante face à la manière dont les serpents dévorent leurs proies : en les avalant intégralement, sans les déchirer comme le ferait un fauve à l’aide de ses crocs et de ses griffes. L’avalement de la bête quasi-intacte semble contre-nature, tant pour la victime que pour le serpent. Il s’agit évidemment d’anthropomorphisme mais c’est un des ressorts importants de la sculpture animalière romantique du XIXème siècle.

La peau du serpent est parfaitement traitée elle aussi. S’écartant radicalement de l’idée de reproduire chacune des écailles – comme on peut le voir par exemple au Louvre, d’un autre sculpteur, dans une monumentale lutte d’Hercule et du serpent, qui a l’air d’une pomme de pin… – l’artiste a opté pour de simples croisillons sur la peau.

Mais finalement pas si simples que cela car ils sont impeccablement dessinés – prouesse également du fondeur – et disposés dans le sens du corps du serpent. Là où la peau est distendue, les croisillons sont larges, tandis que là où le serpent replie ses anneaux, ils sont plus serrés. Enfin, admirons les plis formés par la peau, saisissants de vérité.

C’est donc une superbe pièce que possède Monsieur A., qui plus est dans une très belle patine. Il me demande, enfin, ce que signifient les lettres AA et le numéro 43 gravés sous le socle. Eh bien je n’en sais rien ! S’agit-il d’une marque apposée par le fondeur ? Une galerie ? Un collectionneur ? Ces chiffres sont fréquents mais je n’en connais pas la raison. Peut-être qu’un internaute avisé pourra nous renseigner…

Les modèles de Barye mettant en scène les serpents sont de nos jours très recherchés. Voici quelques exemples de résultat de vente :
– Tout récemment à Paris, le 26 octobre 2011, lors de la vente de la collection Fabius par Sotheby’s : adjugé 24 750 Euros, mais il s’agissait certainement d’une pièce exceptionnelle, probablement de l’atelier Barye, donc qui ne peut servir de point de repère.
– Deauville le 15 août 2011 : estimé entre 3 500 et 4 500 Euros mais invendu.
– New York le 25 avril 2003 : adjugé 6 570 US $
– Londres le 5 oct 2000 : adjugé 6500 GB £
Il est difficile de juger de la pertinence des adjudications de Londres et New York sans précision sur la fonte (Barye ? Barbedienne ? autre ?). Quoiqu’il en soit, pour une fonte Barbedienne de bonne qualité comme c’est le cas ici, je considère qu’une estimation raisonnable se situerait autour de 2 500 à 3 000 Euros.
Vous voulez faire estimer un bronze animalier ? Ecrivez-moi à damiencolcombet@free.fr et envoyez-moi les dimensions et des photos très nettes de votre bronze (vue d’ensemble, signatures de l’artiste et du fondeur, dessous du socle…).
Fév 1, 2012 | • La valeur d'un bronze ancien
(Suite de la 1ère partie)
Mes réponses : je réponds à tous les mails, dans un délai de l’ordre de 2 semaines. Il arrive qu’il soit un peu plus long, notamment en été ou bien lorsque je reçois un grand nombre de demandes simultanées (parfois une dizaine par semaine). A l’inverse, je donne suite très rapidement lorsqu’on m’a soumis une pièce sans intérêt, une copie, ou au contraire une très belle pièce car alors je ne peux résister au plaisir d’en parler.

Je donne majoritairement un avis par mail mais pour certains bronzes intéressants, de grande qualité, d’un sculpteur dont je n’ai pas encore parlé ou au contraire pour une copie que j’utiliserai de façon pédagogique, mes commentaires prennent la forme d’une note sur ce blog. Vous trouverez à droite la liste des notes ainsi rédigées.

Sur le fond, je tiens à préciser qu’il serait sans doute prétentieux de parler d’expertise et, à dessein, je n’emploie jamais ce mot. Je partage simplement mes quelques connaissances issues d’une passion pour la sculpture animalière française, connaissances acquises grâce à la lecture de nombreux livres sur le sujet mais plus encore par l’examen attentif d’un très grand nombre de pièces. Pour dire les choses simplement, lorsqu’on a vu une fois une pièce authentique (bonne fonte ancienne), on en repère immédiatement les copies.
Pour déterminer la rareté d’un bronze, il faut ensuite examiner sans relâche les catalogues de ventes aux enchères, les sites internet des maisons de vente, visiter les galeries, feuilleter chaque semaine La Gazette de Drouot…

De plus, je n’appelle pas mes avis « expertises » parce qu’en réalité rien ne remplace un examen réel de la pièce. Il faut l’avoir en main, en apprécier le poids, les petits indices (les marques de fondeur sont parfois minuscules), les défauts (trous, patine abimée), etc. L’un des pièges les plus courants vient du régule, cet alliage plus léger que le bronze et de moindre qualité. Un œil exercé permet de repérer, même sur photo, que la ciselure est moins précise, les détails moins fins que sur un bronze, mais c’est parfois difficile sur certaines pièces, comme celles de Delabrierre par exemple, alors qu’en ayant la pièce en main, la distinction devient évidente notamment au poids beaucoup plus faible et au son creux que rend le régule.

L’authenticité : c’est là une notion bien complexe dans le domaine des bronzes, qui ont toujours, à de très rares exceptions près, été tirés en plusieurs exemplaires. Un lecteur assidu de La Gazette de Drouot aura vite remarqué que « L’éléphant du Sénégal courant », « Le Tigre et le gavial » ou « La Lionne de Tunis » de Barye, ou encore « L’Accolade » de Pierre-Jules Mêne sont mis en vente, quelque part en France, presque chaque semaine.
Il est extrêmement délicat d’annoncer à quelqu’un qui est fier de posséder ce qu’il croit être un beau bronze qu’il s’agit en fait d’une copie ou d’un surmoulage. Combien de fois ai-je été amené à expliquer, de visu ou par mail, que, certes, le bronze qui m’était montré était dans la famille depuis 40 ans ou qu’il avait été payé très cher, mais qu’hélas il avait une valeur quasi nulle, sauf à tromper un éventuel acheteur, ce qu’évidement je déconseille très vivement.

La valeur du bronze : c’est dans presque tous les cas ce qui intéresse principalement les internautes qui m’écrivent, et c’est compréhensible. Bien entendu, il n’existe pas d’Argus des bronzes animaliers, donc cette valeur est toujours discutable. Généralement, au premier coup d’œil, j’ai une idée assez précise de la valeur des pièces qui me sont proposées, et les recherches ultérieures la confirme souvent. Mais je dois avouer que j’ai parfois découvert avec stupeur des valeurs très élevées que je ne soupçonnais pas – comme par exemple Le Tournoi de Bacqué – ou bien à l’inverse des prix régulièrement observés en salle des ventes et selon moi trop faibles au regard de l’intérêt de la pièce. Mais il s’agit là d’exceptions.
En donnant une valeur à un bronze, je précise fréquemment qu’il serait utile de la faire confirmer par un commissaire-priseur, qui aura la pièce en main. Je rappelle également de temps à autre qu’en salle des ventes, compte tenu des frais, le vendeur percevra au bout du compte entre 82% et 75% du prix d’adjudication tandis que l’acheteur payera 18% à 25% de frais supplémentaires. Un bronze adjugé au marteau 2000 Euros sera payé au total environ 2500 Euros par l’acheteur et le vendeur recevra environ 1600 Euros.

Une estimation n’est pas une garantie de vente à ce prix. Un bronze estimé 2000 Euros partira peut-être à seulement 1000 Euros s’il n’y a pas de prix de réserve et s’il est proposé dans une petite vente. A l’inverse, s’il se trouve dans la salle LE collectionneur qui rêve de ce bronze depuis longtemps ou bien un visiteur occasionnel qui a un coup de cœur et les moyens financiers, ou encore si un marchand sait qu’il a déjà un acheteur pour cette pièce que son client recherche, le bronze peut être vendu beaucoup plus cher.
Les suites : presque toujours, je reçois un petit mail sympathique de réponse à mon avis. Certains m’informent, par exemple, qu’ils se doutaient que leur bronze était une copie mais qu’ils y sont tout de même attachés, ou bien au contraire qu’ils tombent des nues, croyant que la pièce en question n’avait aucune valeur. Je propose souvent quelques conseils aux internautes qui, suite à mon avis, envisagent de vendre leur bronze : je leur livre – gracieusement, je le précise bien – quelques coordonnées de bonnes galeries ou de commissaires priseurs experts en ce domaine. Je n’ai absolument aucun lien avec eux, d’aucune sorte : je ne suis pas « apporteur d’affaires », je ne touche aucune commission sur les ventes ou achats.
Il m’est parfois arrivé de proposer à un internaute d’acheter son bronze mais toujours après avoir donné un avis très objectif sur la pièce. De plus, je recommande systématiquement de montrer d’abord le bronze à un commissaire priseur car je ne veux pas que le vendeur ait après coup le sentiment de s’être fait « rouler ». Ainsi, à deux ou trois reprises, j’ai acheté des bronzes sur lesquels j’avais donné mon avis et le vendeur n’a jamais fait une mauvaise affaire.

Alors pourquoi tout ceci ?
On me recommande souvent de faire payer mes avis. Je ne le souhaite pas car, comme je l’écrivais plus haut, il ne s’agit pas à proprement parler d’expertise.
Les très nombreux mails reçus m’ont souvent permis de découvrir de magnifiques pièces, d’échanger avec des collectionneurs très intéressés par les bronzes animaliers, et, par mes recherches, ils sont pour moi l’occasion d’approfondir mes connaissances et mon sens de la valeur de ces bronzes.
Ils me permettent également de faire découvrir, via mon site, mes propres créations et leur histoire, ce qui est très agréable.

Si vous aussi, vous voulez me soumettre un bronze animalier, écrivez-moi à damiencolcombet@free.fr et envoyez-moi les dimensions exactes de la pièce ainsi que des photos très nettes de l’ensemble du bronze, de la signature de l’artiste, le cas échéant de la marque du fondeur, et du dessous du socle.