Alors que j’étais déjà passionné par la faune depuis mon tout jeune âge, c’est un bronze aperçu un jour chez un antiquaire de Rennes, représentant un héron pris au piège et dont j’ignore encore l’auteur, qui provoqua en moi le choc de la sculpture, à la période de l’adolescence.
Ce fut une révélation, comme s’il devenait possible d’approcher à courte distance des animaux sauvages jusqu’alors trop farouches ou menaçants.
De nombreuses visites dans les zoos, les cirques, des voyages au Kenya, en Tanzanie, au Burkina Faso, en Namibie n’ont fait que renforcer le sentiment que chaque animal est un mystère que l’on ne peut que contempler et admirer longuement.
J’essaie de représenter dans mes animaux une certaine vie intérieure, lourdement marquée par l’instinct. Un peu comme Jules Renard, Colette ou Marcel Aymé, qui décrivent « le cygne et la plomberie orgueilleuse de son cou », l’écureuil qui meurt de peur, le loup qui ne peut se retenir de manger les petits enfants, j’imagine les animaux acceptant sereinement et avec lucidité leur statut officiel, l’aspect inéluctable de leur destin.
L’éléphant admet être lourd, placide et puissant ; le buffle reconnaît qu’il est obtus et brutal ; le gnou sait qu’il a pour fonction essentiel de servir de repas aux fauves ; le guépard souffre tout de même un peu d’être un athlète hors-pair, certes, mais fragile et vulnérable… Et chacun fait pleinement son métier d’animal.
Modeler est d’abord une bataille : avant de commencer, lutte contre l’appréhension de ne pas y arriver. Puis lutte contre le découragement quand une masse de terre ressemble si peu à la vie animale. Lutte encore quand les fragiles pattes ne supportent plus un corps trop lourd, quand une tête chargée de défenses s’incline et que le cou se brise, quand trois pattes touchant le sol n’assurent pas l’équilibre. On admire alors la perfection de la nature, qui sait faire, elle…
Et puis, il y a le moment de grâce, quand l’animal naît. Il suffit de peu de choses : un cou un peu plus court, des oreilles mieux placées, un dos plus creux. Et c’est le miracle : le fauve est là, l’antilope vous regarde, l’éléphant se mettrait presque en marche.