Madame de J. nous adresse des photos d’un bronze superbe, signé Isidore Bonheur. Je devine, grâce à quelques expressions contenues dans son mail, que cette internaute connaît bien les chevaux : elle parle d’une monte « à cru » (sans selle), « du pied du cheval » (et non de la patte), d’un cheval « tenu en main »… Pour ne pas être indiscret, je ne raconterai pas ici l’histoire de ce bronze, mais elle y est très attachée car il lui vient d’un proche qui en admirait beaucoup les détails très travaillés et parfaitement exacts. C’est l’une des caractéristiques du travail d’Isidore Bonheur.
Isidore Bonheur est né à Bordeaux le 15 mai 1827 et mourut en 1901. Ces dates sont assez proches de celles de sa sœur, la fameuse Rosa : 1822-1899. La vie de Rosa est d’une richesse incroyable. Il suffit pour s’en persuader de relever quelques exemples ; un père saint-simonien qui finit par vivre dans un phalanstère, une enfance heureuse mais pauvre, au point que sa mère sera enterrée dans une fosse commune, un ami et protecteur de la famille qui s’avère être son père, un don exceptionnel pour la peinture et la sculpture, une passion pour le bétail, en particulier les bœufs et les moutons, des entrevues avec la Reine Victoria, avec l’Impératrice Eugénie, avec Sadi Carnot, la Légion d’honneur, une très grande renommée aux Etats-Unis, une grande amitié avec le vrai Buffalo Bill, qu’elle fait venir en France avec sa troupe et de grands chefs indiens, des animaux apprivoisés parmi lesquels une lionne (Fatma) et un cerf (Jacques), une autorisation préfectorale pour avoir le droit de porter un pantalon – officiellement pour raisons médicales, mais en réalité pour pouvoir se promener à sa guise dans la nature – des amantes, etc…
Il faut lire le passionnant « Rosa Bonheur« , largement illustré, édité par le Musée des Beaux-Arts de Bordeaux (William Blake & Co. Editeur). On y apprend notamment que l’empreinte artistique du père, Raymond, qui vivait – très mal – en dessinant et donnant des cours de dessin a fortement marqué les enfants, et pas seulement Rosa et Isidore : Auguste est peintre, comme Juliette, et celle-ci se mariera avec le fondeur Peyrol, qui réalisera la plupart des bronzes de Rosa ; leur fils, Hippolyte Peyrol, sera lui-même sculpteur. Pierre-Jules Mêne sera très proche de la famille Bonheur ; Rosa l’appelait familièrement : « mon vieux PJ ». Cain fût aussi un ami intime.
Mais finalement on sait assez peu de choses de la vie personnelle d’Isidore Bonheur, qui était peut-être plus calme. Très doué pour la sculpture mais aussi le dessin, qu’il avait appris de son père, il exposa pour la première fois en 1848 au Salon. Il avait alors 21 ans seulement et ne cessa plus d’exposer, avec succès. Sa dernière oeuvre fût un monument en hommage à sa sœur, inauguré en 1901 à Fontainebleau. Après le décès de Rosa, un litige apparut entre la famille Bonheur-Peyrol, avec à sa tête Isidore, et Anna Klumpke, que, à la surprise générale, Rosa institua comme légataire universelle et il s’en suivit de complexes manœuvres et accords autour des œuvres de la défunte.
Il est intéressant de relever qu’à partir du Salon de 1848, où Isidore exposa pour la première fois, Rosa cessa de montrer ses sculptures à Paris afin de ne pas gêner son frère.
L’oeuvre d’Isidore Bonheur est très riche et d’une très grande qualité. Il a surtout réalisé des chevaux, mais produit également toutes sortes d’animaux, très recherchés : taureau, chat, lièvre, cerf, lion, mais aussi dromadaire, ours, antilope (certainement pas sa plus belle pièce !), un zèbre attaqué par une panthère et même… un yack !
Comme c’est, avec Rosa, l’un de mes sculpteurs favoris (d’où la longueur de cette note !), j’ai fait des recherches sur d’éventuels ouvrages se rapportant spécifiquement à lui, mais hélas, je n’ai rien trouvé hormis le mémoire d’une étudiante bordelaise. J’ai appelé la faculté puis le professeur pour tenter d’en avoir une copie, mais malheureusement ils ne l’avaient pas. J’ai finalement trouvé la trace de ce document aux archives de Bordeaux, mais il est interdit de le reproduire ! Je n’ai donc pu me le procurer. Si quelqu’un pouvait m’aider, je lui en serais très reconnaissant.
Madame de J. a fait, elle aussi, des recherches et découvert un élément extrêmement intéressant : son bronze est directement inspiré de l’un des cavaliers du « Marché aux chevaux« , tableau de Rosa. La similitude est frappante. Il faut d’ailleurs relier ceci au fait qu’Isidore a réalisé des bas-reliefs en bronze reproduisant certains tableaux de sa sœur, comme le très connu « Labourage nivernais » (à voir au Musée d’Orsay à Paris – ou « Le Marché aux chevaux », justement.
Quelle valeur donner à ce très beau bronze, de grande taille (56 cm x 54 cm) et sur lequel on reconnait bien la signature Bonheur (je suis un peu étonné par le prénom Isidore en entier, I. étant plus fréquent), en particulier le B dont la queue repart vers l’arrière (Rosa signait ses bronzes d’un simple Rosa B. avec le même détail sur le B) ?
Sans avoir pu le voir et l’examiner avec précision, il est difficile de dire autre chose que : « une très grande valeur ». Il est en effet fort rare. On peut s’inspirer du prix d’un sujet très proche, où le garçon d’écurie est à pied, et qui a été estimé entre 15 000 et 20 000 US$, ce qui est peut-être un peu cher toutefois. Très intuitivement, on pourrait évoquer 10 000 à 15 000 Euros, mais un amateur pourrait faire s’envoler l’enchère…
Merci à Madame de J. de nous avoir donné l’occasion d’admirer cette très belle pièce.
Vous vous interrogez sur la valeur d’un bronze ? Envoyez-moi (damiencolcombet@free.fr) des photos très nettes de la pièce, de la signature, de dessous du socle, le cas échéant de la marque du fondeur et les dimensions exactes, et je vous donnerai mon avis.